Angkor, cité khmère en danger

Carnet de route : Cambodge

— Par Roland Sabra —

La démesure ! Voilà ce que je retiens d’une courte, trop courte visite sur le gigantesque site d’Angkor. Les chiffres donnent le vertige. Plus de 700 monuments, bouddhistes et hindouistes, sont dispersés à travers 400 kilomètres carrés, en partie couverts par la forêt. Angkor est un nom générique. Il ne désigne pas un monument ou un temple particulier mais l’ensemble des constructions et des sanctuaires qui s’élèvent sur l’emplacement jadis occupé par la capitale des rois khmers. La région du Grand Lac est habitée depuis le néolithique. Un survol de la région permet d’identifier des sites d’habitation circulaires. Les premières traces écrites de l’histoire du pays se trouvent dans les rapports que les commerçants chinois qui ( déjà!) au début de l’ère chrétienne commencent à explorer le Sud-est asiatique. Les Chinois appelait le principal pays avec lequel ils échangeaient Funan. Le contrôle de cette région était stratégique puisqu’il portait sur les routes maritimes du delta du Mékong et le golfe de Thaïlande. C’est par l’intermédiaire du commerce avec la Chine et avec l’Inde que le bouddhisme et l’hindouisme vont se propager dans le pays. Funan est aussi le titre d’un superbe film d’animation de Denis Do sur la dictature sanguinaire des Khmers Rouges, ces enfants de Mao. L’histoire bégaie.

Pendant les premiers siècles de notre ère l’organisation politique ressemble alors à celle de ville-états, fortifiées en guerre plus ou moins permanente les unes avec les autres. Les épisodes d’unification se succèdent et ne durent que le temps d’un règne avant de laisser place, à la mort du souverain, à un nouvel éclatement politique. Il faudra attendre le IXe siècle pour qu’un conquérant plus audacieux unifie durablement le pays. Il s’appelait Jayavarman II. Il régna 45 ans de 790 à 835 et se proclama en 802 empereur du monde. Pas moins que ça ! La transmission du pouvoir ne s’est pas faite dans le calme et tranquillité. Complots, alliances puis trahisons se sont succédés Nombre de successeurs désignés ont été assassinés et remplacés. Il manque un Shakespeare khmer pour nous restituer la saveur des intrigues de l’époque. En tout cas est-il que chaque vainqueur a ajouté quelque énorme monument à l’ensemble en évitant la plupart du temps de détruire les constructions déjà existantes. Il reste aujourd’hui comme principal témoignage de l’architecture khmère, et finalement de la civilisation khmère des édifices religieux considérables en nombre et extrêmement variés dans la forme. Construits en matériaux durables, briques, latérite ou grès à l’image des dieux immortels auxquels ils sont dédiés, ils sont aussi le plus souvent entourés d’une enceinte pour les protéger des pouvoirs maléfiques. En dehors de ces bâtiments religieux ne subsistent que des traces des habitations et des palais royaux construits en bois. Seules la Terrasse des Éléphants qui était la base de l’ancienne salle du trône du palais et la Terrasse du Roi Lépreux ont survécu aux affronts du temps. La passion religieuse des Khmers est une passion pour l’essentiel importée de l’Inde par l’intermédiaire du commerce. La prospérité indienne a était attribuée aux dieux protecteurs hindous qui adoptés facilement, ont trouvé leur place sans difficulté à coté des divinités locales dans une cosmologie, somme toute, très, similaire. Çiva, le protecteur suprême, mais aussi Vishnu et puis Bouddha ont très vite été l’objet d’une dévotion particulière. Le caractère d’abord étranger de la religion a sélectionné les éléments importés en évitant la prolifération des sectes qui fleurissent en Inde. De même le bouddisme a lui aussi été épargné par le fractionnisme. C’est le « Grand Véhicule » qui s’est imposé.

Le gigantisme des temple n’avait pas pour but d’accueillir un nombre important de fidèles. Il résultait de la volonté de construire la plus belle résidence possible pour le dieu immortel auquel il était dédié. Par ailleurs, comme ce dieu n’était là que sous la forme d’une statue, il n’avait pas besoin d’un grand espace pour ses déplacements ;-). La dimension des pièces est donc chichement mesurée. Un des plus grandes, la salle du sanctuaire de Angkor Vat est un carré de moins de cinq mètres de coté. Un grand temple n’est donc pas un grand palais mais une réunion de sanctuaires multiples avec une divinité principale en son centre. Au royaume des dieux plus on est de fous plus on rit. Le temple de Preah Khan par exemple a été conçu à l’origine pour abriter 400 dieux, auxquels allait s’ajouter au fil du temps une multitude d’autres divinités. Les galeries reliant les sanctuaires n’étaient en aucune façon destinées au passage, à la circulation de pèlerins, comme ne témoignent la hauteur des seuils de portes, quand porte il y avait, car il existe des galeries tout à fait inaccessibles. L’avantage du polythéisme c’est que pendant que les dieux règlent leurs affaires entre eux, ils fichent la paix aux hommes.

Le plan d’un temple obéit à une logique qui veut que la résidence du dieu soit une image de l’univers et qu’il siège sur le mont Meru au centre du monde, la tour sanctuaire, le prasat avec ses cinq pics entouré de différentes enceintes, qui représentent les montagnes et la douve qui symbolise l’océan primordial.

Aujourd’hui le site est menacé non pas par la végétation ou la forêt mais par les hordes de visiteurs qui ne respectent aucune des consignes et qui dépoitraillées, ’interpellent en hurlant,grimpent sur les ruines, escaladent les édifices pour la photo souvenir, sitôt prise et sitôt oubliée et dont la seule trace visible sera la dégradation d’un bas relief.

Cambodge mars 2019

R.S.