Alain Mabanckou « Pour être entendu, il faut être du cercle »

— Entretien réalisé par Lionel Decottignies —

alain_mabanckouL’écrivain congolais occupera la chaire de création artistique du Collège de France. Cette haute distinction est une première pour un romancier. L’auteur de « Verre cassé » profitera de cette « tribune » pour mettre à l’honneur la littérature africaine. Parallèlement, le Salon du livre de Paris, du 17 au 20 mars, rend hommage à Pointe-Noire, sa ville de naissance.
HD. Votre entrée au Collège de France est-elle un signe de fierté ?
ALAIN MABANCKOU. Il est important demontrer que les écrivains doivent être pris au sérieux et méritent de participer aux débats intellectuels. L’exégèse de la littérature est trop souvent confiée aux spécialistes, aux agrégés. Les praticiens et les créateurs en sont souvent exempts. En ce sens, cette nomination me touche.

HD. La France traverse une crise et une crispation identitaires. Votre nomination est un symbole ?
A. M. J’ose croire que mon introni-sation repose sur ma qualité d’écrivain. Si l’on m’avait choisi pour mes origines africaines, je serais sorti froissé. La littérature se définit non pas par les origines, mais par l’univers que l’auteur apporte au débat. Néanmoins, je ne suis guère dupe et je comprends la portée du symbole pour cette institution datant du XVIe siècle. Il est important que la littérature africaine entre enfin au Collège de France afin qu’on ne la ghettoïse plus, qu’on ne ghettoïse plus l’imaginaire du continent noir. Ce geste permet d’accorder la parole à l’Afrique et reconnaître que les Africains, émancipés de l’esclavage et de la colonisation, ont une voix à faire entendre.

HD. Vous avez déclaré : « Le travail finit par aboutir et donner quelque chose. Mais nous n’avons pas cherché à être des notables… »
A. M. En France, pour être entendu,il faut entrer dans le cercle. À l’extérieur de celui-ci, nous demeurons inaudibles. La présence de Dany Laferrière à l’Académie française permet de redonner la voix à des peuples. Nous gardons toutefois une certaine indépendance. J’aurais pu renoncer au Collège. Au-delà de ma personne, il s’agit de donner à lire et à entendre la parole d’écrivains qu’on n’a jamais lus.
Léopold Sédar Senghor, initiateur du mouvement de la négritude, était un notable. Aimé Césaire, le plus virulent, était maire et député. Sa lettre à Maurice Thorez a acquis une dimension historique car elle fut prononcée devant l’Assemblée. Le Collège de France est une grande tribune.

HD. Par-delà les réjouissances, votre nomination ne traduit-elle pas un retard français ? Vous qui enseignez depuis 14 ans aux États-Unis.
A. M. La France accuse un retard.Un enseignement généralisé des littératures africaines n’existe pas. Il existe par exemple aux ÉtatsUnis des cours d’études postcoloniales. Ce retard est d’autant plus surprenant que Paris et la France ont une légitimité notamment par le Congrès des écrivains et artistes noirs qui s’est tenu en 1956 à Paris. Ce décalage provient de la difficulté de la France, ancienne grande puissance coloniale, à regarder son passé. En France, il existe un nombre incalculable de musées, mais rien relatif à l’histoire coloniale. La France est traversée par des tabous et des non-dits. Mettre la littérature africaine au goût du jour permet de parler du colonialisme et de ses atrocités. Il faut, par ailleurs, aussi se méfier des discours très africanistes de certains intellectuels du continent noir.

HD. Peut-on parler de littérature africaine ?


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