— Par M’A —
Samedi 15 novembre, la salle Frantz Fanon de Tropiques-Atrium affichait complet pour accueillir Ubu Président, la farce politico-musicale de Mohamed Kacimi mise en scène par Isabelle Starkier. Devant un public martiniquais peu habitué aux comédies musicales, souvent sidéré, parfois rieur, parfois glacé d’effroi, mais finalement conquis, la troupe a livré un spectacle qui fait vibrer l’héritage d’Alfred Jarry en plein cœur de notre époque – et de nos inquiétudes.
Dès les premières minutes, le fameux « Merdre » résonne comme un coup de tonnerre. Bienvenue en absurdie : un territoire où la démagogie devient sport national, où le grotesque sert de guide politique, et où chaque sondage se joue comme un round de boxe. Tout se passe sur un ring, littéralement, métaphore limpide d’une vie politique transformée en combat de spectacle. Quand le public rit, le rire se coince dans la gorge : la caricature ressemble étrangement à l’actualité.
Un Ubu terrifiant et hilarant
Au centre du chaos, Stéphane Miquel campe un Père Ubu monumental, grotesque, terrifiant, mélange de bouffonnerie et de tyrannie infantile. Avec ses accents de Trump et son art de « vendre du vent », il incarne un despote décomplexé, prêt à toutes les outrances pour accéder au pouvoir. À ses côtés, Clara Starkier, Mère Ubu flamboyante, mène en réalité la danse. Stratégique, dominatrice, tendre et monstrueuse à la fois, « on malfanm », elle pousse son mari vers la présidence comme on propulse une marionnette – ou un pantin explosif.
Le duo, excédant toutes les limites du bon goût, constitue le moteur d’un spectacle qui assume pleinement le trop-plein, le délire, l’exagération. Rien n’est subtil – mais tout est juste.
Une troupe explosive et polyvalente
Autour d’eux, trois comédiens-musiciens – Stéphane Barrière, Michelle Brûlé et Virgile Vauglade – passent d’un instrument à un personnage avec une aisance bluffante : journaliste affamée de buzz, maire corrompu, président sortant désespéré… Autant de figures contemporaines, immédiatement reconnaissables, qui nourrissent une galerie mordante et hilarante.
Les chansons d’Alain Territo, entre tango déglingué, hymnes absurdes et chœurs satiriques, donnent au spectacle des airs de cabaret politique, dans une énergie qui rappelle à la fois le théâtre musical des années 70 et la frénésie des formats viraux actuels.
Grotesque, carton-pâte et miroir du réel
Visuellement, Ubu Président frappe fort. Les costumes outranciers, les visages grimés jusqu’à l’absurde, le décor en carton-pâte et la scénographie volontairement « moche » composent un univers où rien ne cherche le réalisme – et où tout devient plus vrai. Le grotesque révèle brutalement ce que le quotidien dissimule : la vacuité des slogans, la manipulation permanente, l’ascension possible d’un incompétent total au sommet de l’État.
La modernisation du texte fonctionne à merveille : promesses intenables, influenceurs politiques, surenchère médiatique, sondages omniprésents… La pièce ne se contente pas de faire rire : elle montre, en miroir déformant, les dérives d’un système dont nous sommes à la fois les victimes et les spectateurs.
Une ovation finale pour un miroir dérangeant
Au terme d’une heure et demie de chaos joyeux, grinçant et impeccablement rythmé, le public martiniquais a réservé une belle et sincère ovation aux artistes.
La farce a fait mouche : si, au tout début les rires étaient modérés, et parfois nerveux, c’est que le spectacle fait entendre, sous le vacarme comique, un cri d’alarme sur l’état de notre démocratie.
Ubu Président, en se jouant de tout, rappelle brutalement que le grotesque n’est peut-être pas seulement sur scène… mais aussi autour de nous.
M’A
P.S. : Les scolaires ont apprécié avec enthousiame le spectacle qui s’est prolongé par une avalanche à n’en plus finir de questions et de remarques. L’avenir est sauf.
