A propos de « Poésie Pays » et de « Frapadingos »

— Par Roland Sabra —

L’architecture un peu raide de la Salle Frantz Fanon à Tropiques-Atrium ne s’y prêtait pas et pourtant la soirée  « Poésie Pays » a bal(l)adé le public du coté du café-concert. Poésie Pays, est une déclinaison de ces soirées proposées et mises en scène par Guy Régis Jr, metteur en scène, dramaturge et comédien haïtien, accompagné de Wooly Saint Louis Jean, grand interprète de la chanson créole et de Daphné Ménard, chanteur ténor et comédien diseur. Chaque semaine, à Port-au-Prince, sont organisées des soirées au cours desquelles auteurs, comédiens, chanteurs, lecteurs viennent se retrouver et, tour à tour, partager avec les autres, poèmes et chansons. Guy Régis Jr en maître de cérémonie, au pied de la scène, Wooly Saint Louis Jean, guitare sur les genoux  assis sur le proscenium et Daphné Ménard à la voix angélique, au milieu du plateau ont pris par la main la salle pour l’emmener visiter ou revisiter les plus beaux poèmes de la littérature haïtienne contemporaine du côté de Georges Castera, Syto Cavé, Lyonel Trouillot, James Noël, Pierre Richard Narcisse, Frankétienne, Gary Augustin mais aussi, assurés qu’ils sont d’une identité conquise dans la lutte, du coté de Brassens, Brel, Victor Hugo, Gainsbourg. Il faut avoir entendu La Mauvaise réputation (Movet not ), reprise par une partie du public dans une version différente semble-t-il de celles de Sam Alpha et de Danyel Wayro, pour avoir une idée du moment d’émotion et de partage que fût cette soirée réussie. Longtemps après le concert les visages radieux et illuminés des spect-acteurs en témoignaient encore dans la nuit foyalaise. On reprendra à bon compte le souhait de Selim Lander de voir se multiplier ces rencontres entre poètes, chanteurs et publics.

Des Frapadingos pas si frappadingues que cela mais plutôt enjoués, dans un style potache très travaillé, un faux air d’improvisation professionnalisé, ont enchanté la Salle Aimé Césaire de Tropiques-Atrium le 22 mai. Ils étaient une bonne douzaine, issus comme d’habitude de Cuba, d’Argentine, du Pérou, du Brésil, d’Uruguay, avec des invités venus des pays qu’ils traversent ou en exil à Paris, tous percussionnistes au talent avéré et reconnu dans la jungle des tambours qui les habite autant qu’ils y demeurent. Et quand ils les délaissent c’est pour le temps d’une récréation vers le cajon, le pandeiro, quijada, la conga. Ça tape et ça cogne dur autour de lignes mélodiques soutenues et envoûtantes avec une belle humeur, du soleil au cœur mêlé de joie sincère et de facéties fraternelles sous la baguette déjantée du chef Minino Garay, l’homme-tambour argentin installé à Paris de puis plus de 20 ans. Le répertoire, fait de chacareras et de milongas, de jazz revisité et de musiques africaines acclimatées, se construit en invoquant sur le plateau aute de pouvoir pour le moment les convoquer, mais ils finiront bien par y arriver, forces célestes, puissances vaudou, et autres divinités sacrées de la pensée magique.

Les entrées étaient libres et gratuites. On a donc vu un public nouveau et nombreux envahir les gradins de la salle, se reconnaître dans un métissage prolifique et attester une fois de plus d’une culture musicale, d’un sens du rythme propres aux latitudes tropicales ou, pour être plus près de la vérité, liée à son histoire. Là encore les rappels, salle debout, ont été intenses.

Fort-de-France, le 23/05/2018

R.S.