À Fort-de-France, création  de la Commission « Mémoire et Transmission »

Dans le cadre du Festival Culturel, ouverture du Cénacle sur le thème « Dialogue entre Histoire et Mémoire dans l’espace public »

France Antilles : Pour débattre de ces questions d’actualité : Karfa Sira Diallo, fondateur et président de l’Association Internationale Mémoires et Partages basée à Bordeaux et Dakar ; Sandrine Lemaire, agrégée et docteure en Histoire de l’Institut Universitaire Européen de Florence (Italie), la Martiniquaise Jeanne Wiltord, psychiatre et psychanalyste à Paris, Robert Philomé, présentateur des Matinales de France 24 ; mais aussi Danielle Marcelline, avocate, Keycia Virapin-Arnaud, étudiante au Campus Caribéen des Arts et membre du MIR, ou encore Alexane Ozier Lafontaine, qui intervenait à titre personnel.

Ce Cénacle se poursuit ce soir, vendredi 24 juillet, à 18h30, au Kiosque Guédon, sur le front de mer de Fort-de-France. Au programme notamment, le dialogue dans l’espace public.

Soirée du 23 juillet : 

Après un « débat » public qui, faisant suite aux prises de parole officielles, a par instants frisé la caricature, deux des spectateurs debout s’affrontant comme dans un combat de coqs, Danielle Marcelline, l’une des modératrices de la séance, a su faire preuve d’un bel esprit d’à propos, reprenant la demande de Karfa Sira Diallo à davantage « d’humilité », terme que d’aucuns contesteront sans doute, mais les humains de bonne volonté auront compris qu’il s’agissait là de montrer un peu plus de modestie et  moins d’orgueil, de reconnaître que nous sommes l’aboutissement d’une lignée de générations responsables, qu’en aucune façon il ne s’agissait de nous tenir humbles ni de subir ni de courber la tête !

D’une voix ferme, presque au bord de l’émotion, et qui n’aurait pas sur ce sujet-là admis la controverse, disant fausse l’assertion selon laquelle rien n’avait été fait, Danielle Marcelline nous a demandé de considérer que, dans de nombreux Conseils municipaux, cette question de la mémoire, de l’histoire et de la ville avait été abordée. Et citant Paulette Nardal, que d’ailleurs le Cénacle mit une année précédente à l’honneur, elle tint à préciser que des choses avaient été réalisées depuis soixante ans, « de l’élection d’Aimé Césaire à Didier Laguerre », par la mairie de Fort-de-France… Enfin, un clin d’œil adressé à Monsieur le Maire-honoraire présent dans le public, comme une allusion à une récente et regrettable mésaventure où des reins furent ceints d’une chaîne à grosses mailles, un clin d’œil avec le secours justement d’Aimé Césaire — « voici le temps de se ceindre les reins» (« comme un vaillant homme ») —, prouve que la distance est prise, qui permet de considérer posément, objectivement, sans rancœur et sans haine, la difficile conjoncture actuelle !

Il faut bien dire que la façon dont l’enchaînement questions / réponses s’est déroulé tendrait à prouver que la parole de Jeanne Wiltord, particulièrement intéressante et fondée sur des connaissances précises, tant psychiatriques et psychologiques qu’historiques, ce discours qui entre autres choses a défini pour nous le rôle et l’importance de la langue, du langage et de la dénomination des êtres, n’a pas été entendu, entendre au sens de bien comprendre. D’ailleurs, ce n’est pas à elle que s’adressèrent d’abord et majoritairement les questions du public… « Pouvoir faire un deuil, sortir de l’impasse de la répétition », c’est ce à quoi Jeanne Wiltord nous a en définitive invités à réfléchir…

Pour rappel, la très attendue Commission « Mémoire et Transmission » de la Ville de Fort-de-France, officiellement installée ce lundi 20 juillet 2020, a tenu sa première réunion en la Salle de Délibérations, où elle a d’ores et déjà commencé ses travaux. Une Commission qui réunit 32 membres. Selon France Antilles : 6 élus municipaux, 5 experts en Histoire et Identité, 6 experts en psychiatrie / psychologie / pédagogie / éducation, 3 chercheurs universitaires, 3 artistes, 9 citoyens militants et personnes-ressources. Un suivi est possible aujourd’hui sur Facebook, assuré par deux des membres de la Commission. (Janine Bailly)

 

Sur le même thème : « Oliwon Lakarayib » dans la Commission, d’après Elsa Juston  

En toute transparence je souhaite communiquer sur les travaux de la Commission, et sur la présence d’ « Oliwon Lakarayib » dans cette commission. Tout d’abord il faut savoir que cette commission se réunit à l’initiative du maire de Fort-de-France, Didier Laguerre. Il s’agit de faire appel à des « experts » de tous horizons pour alimenter la réflexion sur les rues, les statues, les places. Il y a deux commissions, une nommée « Patrimoine historique et dénominations » et l’autre « Mémoire et Transmission » à laquelle je participe. Les travaux des deux commissions doivent se nourrir mutuellement. (…)

Pour le  groupe « Citoyens militants », Muriel Descas Ravoteur  représente « Oliwon Lakarayib » en tant que Secrétaire de l’association et professeure d’histoire-géographie… Hier, il s’agissait d’installer la Commission et de définir des priorités et des modes d’action. Des discussions ont porté sur les noms de rues et les statues problématiques, qui finalement sont peu nombreux. Elles ont porté également sur les distinctions entre l’histoire locale et l’histoire des USA, qui imprègne l’opinion alors que les logiques sont différentes. Un travail préalable a déjà été fait par le passé, il sera nécessaire de capitaliser et d’actualiser.

Pour ma part, les enjeux de la Commission peuvent être résumés selon deux axes principaux : 

— Premièrement enlever, déplacer, remplacer des noms ou des statues sont avant tout des réflexions liées à une idéologie politique d’acteurs et d’une société à un moment donné. Quelle vision souhaite t-on mettre en œuvre dans l’espace public ? Il faut rappeler que l’histoire de la Martinique ne se limite pas à l’esclavage et à l’abolition. Avant ? Le précolombien et l’histoire post-abolition doivent être également visibles… L’histoire dans sa complexité avec des acteurs hommes, femmes, des groupes, des événements, des mots clefs… Expliquer l’existant et apporter s’il le faut des modifications. Un travail rigoureux et dépassionné est nécessaire. Pourquoi garder ? Enlever ? Déplacer ?

—Deuxième enjeu: communiquer correctement et expliquer les travaux de la Commission. Informer le public de manière régulière sur les avancées de la Commission. Sur tous les réseaux sociaux, pour toucher le plus grand nombre. Ce ne doit pas être un « club de sachants ».

Je précise que je communique en mon nom propre, et pour « Oliwon Lakarayib », pour informer de notre présence à cette Commission. Je diffuse en transparence, en humilité, et en tant que citoyenne. Pas d’engagement partisan. J’espère une réflexion apaisée et respectueuse de la recherche historique, avec une grande prise en compte de la pédagogie à mettre en œuvre dans l’espace public.

 

Grammaire de la ville de Fort-de-France, selon Élisabeth Landi

Lors de la mise en place ce lundi 20 juillet de la Commission « Mémoire et Transmission », je suis intervenue pour expliquer la politique mémorielle d’Aimé Césaire à travers les dénominations des rues, l’érection de bustes ou de statues, et la mise en place d’une « grammaire de la ville ».

Aimé Césaire a débaptisé des rues avec l’intention de faire émerger des figures martiniquaises, caribéennes et internationales de la lutte pour les droits humains, pour honorer tous ceux et celles qui se sont battus pour la dignité des êtres humains et l’égalité des droits. C’est ainsi que dans le Centre-ville, on retrouve les grandes figures républicaines et abolitionnistes de 1848 autour de Lamartine, Arago, Ledru-Rollin, Perrinon, Sévère, Sigert, Isambert, Louis Blanc, Garnier-Pagès, …

Césaire a maintenu la rue Blénac car il représentait pour lui le fondateur de la ville, le premier urbaniste, et aussi la rue Galliéni car il avait été en poste ici avant Madagascar, d’où le nom de l’hôpital Galliéni qui fut métamorphosé en Centre culturel ouvert aux cultures du monde. Les Terres Sainville ont accueilli toutes les figures des Lumières, Voltaire, Rousseau, Montesquieu, de la Révolution française, l’Abbé Grégoire, Marat, Robespierre, et de la Caraïbe, Toussaint Louverture, Delgrès, Bolivar, des socialistes, des communistes, Jaurès, Langevin… Les nouveaux quartiers, notamment Bellevue ou la cité Dillon, ont eu les noms des héros des indépendances du XXe siècle ou les noms des grands écrivains comme Cabral, Fanon, Mandela, Senghor, Allende, Neruda… Au fur et à mesure des événements de l’histoire, des noms sont apparus comme Bishop, Mgr Romero, Moreau de Jonnès, Martin Luther King, … des quartiers ont été réservés aux Grandes guerres, Bellevue pour la Première et Obéro pour la Révolte du camp de Balata en 1943.

Pour la statuaire, Césaire défendait la pédagogie de l’explication et la mise en place d’un contre-discours. Pour Joséphine, il l’a déplacée, il l’a excentrée du « centre de la Savane et du cœur des Martiniquais », disait-il. Il n’a pas déboulonné Pierre Belain d’Esnambuc. La commande à Khokho d’une négresse marrone pour le 22 mai est l’envers de la statue de Schœlcher : marbre Vs fer forgé, homme Vs femme, centre-ville bourgeois Vs quartier populaire, liberté octroyée Vs liberté conquise les armes à la main, paternalisme Vs détermination. Elle se trouve à la confluence de trois rues : 23 mai, Rousseau, Nouvet à Trénelle. Première Négresse marrone, elle symbolise la reconnaissance officielle du rôle des esclaves dans la conquête de leur liberté et veut bannir un discours où seuls les législateurs seraient les acteurs

Il y a donc une vraie « grammaire de la ville » qui permet en la parcourant de lire une histoire nouvelle. Chaque lieu porte un nom qui fait écho à notre histoire. Je vous proposerai bientôt la suite de cette écriture de la ville à partir des années 2000 !