Communication n°5 du Comité Citoyen de Transparence

Dans sa communication n°1 du 24 Août 2021 le CCT s’était engagé à prendre contact avec les représentants des institutions eprésentatives des pharmaciens.

Le jeudi 7 Octobre 2021 le CCT a rencontré le Président du Conseil de l’Ordre des Pharmaciens M.MARIE-JOSEPH,

CCT : Pendant plusieurs semaines il a été diffusé sur les réseaux sociaux et sur d’autres médias que des médecins prescrivaient de l’Ivermectine à des malades atteints du Covid et que les pharmaciens auraient refusé de délivrer ce médicament. Pouvez-vous, tout d’abord, rappeler dans quels cas l’on prescrit de l’Ivermectine ?

M.MARIE-JOSEPH : l’Ivermectine est un médicament qui a obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM), en France et à l’étranger, pour le traitement d’infections causées par certains parasites. Dont l’Anguillulose présente en Martinique.

CCT : Quelle est la posologie qui est prévue ?

M.MARIE-JOSEPH : La posologie est de 200 microgrammes par kg et la dose maximale est de 18 milligrammes à partir de 80kg,en prise unique.

CCT : Pourquoi a-t-il été affirmé que les pharmaciens ont refusé de délivrer de l’Ivermectine ?

M.MARIE-JOSEPH : A un moment il y a eu un nombre inhabituel, et important, d’ordonnances prescrivant de l’Ivermectine. Non seulement les ordonnances avaient augmenté mais la posologie aussi. Les pharmacies se sont donc retrouvées en rupture de stock.

CCT : Quel est le stock habituel pour les médicaments ?

M.MARIE-JOSEPH : Le stock chez les grossistes obligatoire, pour la Martinique, est de 3 mois. Je précise que, pour l’hexagone, il est de 15 jours.

CCT : Avez-vous donné des instructions aux pharmaciens de ne pas délivrer de l’Ivermectine et, si oui, de qui émanaient-elle ?

M.MARIE-JOSEPH : Le Conseil de l’Ordre des Pharmaciens n’a reçu aucune directive, de quiconque. Seule la DGS (direction générale de la santé) peut donner un tel ordre. Le conseil de l’Ordre a, cependant, rappelé aux pharmaciens les conditions de délivrance de l’Ivermectine (parasitoses) ou, dans le cas de Covid, quand y a eu prescription de corticoïdes.

CCT : Pourquoi ce rappel ?

M.MARIE-JOSEPH : Parce que nous avons constaté que plusieurs ordonnances donnaient des posologies qui n’étaient pas du tout celles qui devaient l’être. Par exemple nous avons vu des ordonnances prescrivant de l’Ivermectine sur plusieurs jours : certaines : J1, J2, J5, d’autres : J1, J7, d’autres encore : J1, J13, J15. Ces différences de posologies étaient non seulement inhabituelles mais aussi surprenantes car il n’existe pas de protocoles donnant une telle diversité de posologie.

CCT : Est-il vrai que vous ayez mis en garde les pharmaciens sur le fait qu’ils pouvaient engager leur responsabilité en délivrant les doses prescrites ?

M.MARIE-JOSEPH : C’est exact et le Conseil de l’Ordre était dans son rôle. En effet un pharmacien qui délivre des médicaments en suivant une ordonnance qui ne respecte pas la posologie autorisée s’expose à des poursuites disciplinaires et aussi pénales.

CCT : Un pharmacien peut-il délivrer des médicaments en dehors des cas prévus par l’AMM ?

M.MARIE-JOSEPH : Oui. Mais à condition que le médecin prescripteur écrive sur l’ordonnance qu’il maintient sa posologie, qu’il le date et qu’il le signe. La posologie doit être alors écrite en toutes lettres pour dégager la responsabilité du pharmacien

CCT : Avez-vous connaissance que les médecins prescripteurs d’Ivermectine, à des doses non prévues, aient apposé une telle décharge sur leurs ordonnances ?

M.MARIE-JOSEPH : Non. Je n’en ai pas vu personnellement et aucun de mes confrères ne l’a signalé.

CCT : Même avec une décharge du médecin le pharmacien peut-il refuser de délivrer le médicament prescrit ?

M.MARIE-JOSEPH : Oui. Car le pharmacien, qui a une obligation de conseil, peut, en son âme et conscience de professionnel, considérer que la délivrance du médicament, dans ses indications comme dans sa posologie, ne correspond pas à l’intérêt du patient.

CCT : Les pharmaciens ont-ils constaté d’autres anomalies, outre les posologies non conformes ?

M.MARIE-JOSEPH : Oui. Il y a eu de fausses ordonnances. Par exemple il est arrivé que deux ordonnances provenant du même médecin n’aient pas la même signature. Une autre fois une ordonnance était présentée comme émanant des urgences. Le pharmacien a appelé pour avoir confirmation et les urgences ont indiqué n’avoir jamais délivré une telle ordonnance.

CCT : Y a-t-il eu une telle flambée de prescriptions d’Ivermectine en France continentale ?

M.MARIE-JOSEPH : Cela s’est produit après le passage dans les médias de certains médecins. Mais cela a été limité dans le temps et très localisé.

CCT : En Martinique y a-t-il toujours autant de prescriptions d’Ivermectine ?

M.MARIE-JOSEPH : Non. Ces ordonnances ont beaucoup diminué. Les officines ont retrouvé leur stock habituel et peuvent être, en cas de besoin, être réapprovisionnées par les grossistes en 2 ou 3 jours.

CCT : Les pharmaciens ont-ils constaté une augmentation d’autres médicaments ?

M.MARIE-JOSEPH : Les pharmaciens ont constaté, qu’outre l’Ivermectine, ces ordonnances prescrivaient des antibiotiques et des vitamines, notamment de la vitamine D et du zinc. Je signale que, à l’heure actuelle, nous constatons qu’il y a des enfants et des adultes qui souffrent d’hypervitaminose et d’hypercalcémie. Il existe aussi des conséquences sur le foie. Je rappelle aussi que le mélange antibiotique, antiparasitaire et vitamines peut être dangereux.

CCT : Les pharmacies ont-elles enregistré une augmentation de la demande de Virapic ?

M.MARIE-JOSEPH : Oui. Nous sommes en rupture de stock depuis Juillet. Le Virapic est fabriqué en Guadeloupe et la demande est également très forte en Guadeloupe, qui est livrée prioritairement… Je signale que la consommation de Virapic ne doit pas être continue. Le Virapic contient de l’alcool. Une consommation immodérée entraine des conséquences sur le foie.

CCT : La pharmacopée caribéenne a-t-elle fourni un traitement contre le Covid ?

M.MARIE-JOSEPH : Il existe bien une pharmacopée caribéenne. Mais, en l’état actuel de la recherche, il n’existe pas de preuve d’une efficacité contre le covid.

CCT : La demande d’antidépresseurs a-t-elle augmenté ?

M.MARIE-JOSEPH : Pas dans mon officine. Et je n’ai pas eu de remontées en ce sens de la part de mes confrères. Nous avons plutôt constaté une demande plus importante de vitamines.

CCT : Votre profession est concernée par l’application du Pass Sanitaire. Comment est-elle préparée ?

M.MARIE-JOSEPH : Le Pass Sanitaire est obligatoire car prévu par la loi. Nous n’avons pas d’autre option que d’appliquer la loi. Nous sommes concernés par l’obligation vaccinale (et non le pass sanitaire). C’est à partir du 25 octobre que la situation va devenir difficile Une rencontre s’est déroulée les 14 et 15 septembre avec les syndicats. Elle s’est tenue dans des conditions parfois difficiles et n’a pas permis de conclure un accord. A l’heure actuelle : 80% des titulaires d’officines et leurs adjoints sont vaccinés et 55 à 60% des préparateurs le sont. Le personnel non vacciné a été invité à prendre des congés. A partir du 11 Octobre, dans certaines pharmacies ce seront les titulaires et les adjoints qui devront tenir leurs pharmacies.

CCT : Comment voyez-vous l’avenir ?

M.MARIE-JOSEPH : La pandémie est mondiale. Il y a 2 milliards et demi de personnes non vaccinées. Donc le virus va circuler encore et pendant longtemps. Et des gens vont mourir. En Martinique il y a encore 200.OOO personnes à vacciner.

L’entretien a duré 1h45.

Interview avec Maître Alban-Kevin AUTEVILLE, avocat au Barreau de Martinique

CCT : Quelle est la responsabilité du pharmacien en matière de délivrance de médicaments prescrits par ordonnance ?

Maître Alban-Kevin AUTEVILLE : Le pharmacien doit exécuter fidèlement les prescriptions médicales. Il s’agit là d’une obligation de résultat. Cependant, si le pharmacien décèle une anomalie ou une erreur sur l’ordonnance, il ne peut la rectifier de lui-même, sans prendre contact avec le prescripteur. À défaut de pouvoir prévenir le médecin, le pharmacien doit refuser de délivrer le médicament, en avisant son client du risque. Après s’être fait confirmer la prescription, ou avoir obtenu l’accord du prescripteur pour la modifier, le pharmacien peut délivrer le médicament, en mentionnant sur l’ordonnance, le cas échéant, la modification et l’accord du prescripteur.

CCT : La décharge apposée par un médecin sur une ordonnance exonère ­t-elle le pharmacien ?

Alban-Kevin AUTEVILLE : Le refus du pharmacien fondé sur le caractère dangereux de la prescription est discuté. Le principe de la liberté de prescription du médecin ne fait pas obstacle à une certaine immixtion du pharmacien. Sur le plan civil, il semblerait que la Cour de cassation considère que la prescription confirmée par le médecin peut être exonératoire de responsabilité du pharmacien (Cass. civ., 29 mai 1979 ; Bull. civ. 1979, I, n° 156). Cependant, sur le plan disciplinaire et pénal, le pharmacien encourt une responsabilité s’il exécute une prescription qu’il estime dangereuse pour le patient.

CCT : Le pharmacien peut-il refuser de délivrer les médicaments prescrits malgré une décharge ?

Maître Alban-Kevin AUTEVILLE : Le droit de contrôle du pharmacien et la responsabilité que celui-ci encourt ont pour corollaire le droit de refuser de délivrer le médicament dans certains cas. S’il a un doute sur la rectitude de la prescription, et notamment concernant son indication thérapeutique, le pharmacien doit refuser de délivrer le médicament. Ce droit de refuser de dispenser le médicament prescrit est expressément prévu à l’article R. 4235-61 du Code de la santé publique : “Lorsque l’intérêt du patient lui paraît l’exiger, le pharmacien doit refuser de dispenser un médicament. Si le médicament est prescrit sur une ordonnance, le pharmacien doit informer immédiatement le prescripteur de son refus et le mentionner sur l’ordonnance”