Le racisme vu par Lilian Thuram et Pierre Ménès

Par Yves-Léopold Monthieux —

On ne parle jamais du racisme qu’à ses dépens. Quel que soit le bout par lequel on aborde le succès on risque de s’y blesser. Et il y a toujours des gens à blesser dans le propos ‘’metaraciste‘’. C’est ainsi que les prudents que sont les politiques se contentent souvent de rouler des yeux d’horreur pour signifier leur condamnation du racisme. Pourtant, avec une périodicité de plus en plus rapprochée se pose la condition des Noirs dans la société française. Rien n’indique que la solution est proche quoi qu’on ne puisse y tendre sans en parler. C’est comme les objets à double tranchant, les courageux qui s’y risquent deviennent souvent des cibles. 

Lilian Thuram et Pierre Ménès connaissent un brin sur le monde sportif, domaine où les contacts entre des Blancs et des non-Blancs sont des plus spectaculaires. Il n’y a pas mieux pour parler aux Blancs des Noirs, et des Noirs aux Blancs, qu’un Noir qui se sent français et dont cette qualité ne lui est pas contesté par les Blancs. C’est le cas de Thuram qui est l’une des icônes de l’Equipe de France et qui n’a jamais mégoté l’intérêt qu’il porte à ce symbole, ce qui paraît suspect à certains. C’est l’un des rares joueurs à avoir désavoué le coup de tête de ZIDANE, autre icône, s’il en est. La France devait en être éliminée de la Coupe du Monde. Mais il n’est pas seulement l’homme qui jouait au foot-ball, il a toujours eu les oreilles et les yeux ouverts. Derrière et entre ces organes, il y a quelque chose dont il a décidé de se servir. Il n’a pas choisi la facilité. Qui peut le lui reprocher ? J’ai écrit dans une contrechroniques que si Thuram était d’une famille bourgeoise, il aurait sans doute choisi d’être ingénieur, médecin ou professeur et que c’est sa condition sociale qui l’a orienté vers le sport. Cette dure condition qui est celle de la quasi-totalité des jeunes qui pratiquent ce sport collectif à un haut niveau, c’est des classes pauvres, où l’on a faim, qu’émergent les champions sportifs. Les non-Blancs s’y trouvent très majoritairement. Il n’est pas mauvais qu’un tel homme fasse part de ses réflexions sur le racisme qu’il connaît bien, quitte, devant la délicatesse de l’épreuve, à utiliser parfois des mots qui choque parfois. Il est heureux que d’autres joueurs ou anciens joueurs en parlent, y compris avec des mots maladroits, comme Vicash DHORASSO ou Christophe DUGARRY. Ainsi, Thuram est souvent accusé en métropole de raciste ou de racialiste, tandis que ses précautions de langage font qu’il n’est parfois pas loin d’être accusé de traitre à sa race par des Martiniquais.

Pour répondre à l’assertion de Thuram, il est hypocrite de ne pas voir dans le racisme la confrontation ou parfois la cohabitation des deux sentiments ou complexes de supériorité et d’infériorité. Indépendamment des efforts indéniables des uns et des autres pour surmonter ces sentiments et ces complexes.

Concernant Pierre Ménès, son air bourru et son parler franc, qui rappellent un peu notre regretté Gabriel Gallion qui disait beaucoup de choses en roulant les yeux, il serait injuste de ne pas tenir compte de ses justifications et rejeter son propos dans un vidoir racial. Il a raison d’être amer que ses enfants ne puissent pas avoir l’accueil souhaité de la part de ses petits camarades, très majoritairement noirs. Mais il a tort, à mes yeux, d’y voir un acte raciste, même s’il est vrai que le nombre favorise l’entre soi, c’est-à-dire l’exclusion des autres, et peut faire croire en une supériorité passagère de la part de jeunes qui vivent le contraire dans la vie. Il est possible que les enfants du consultant de la télévision ne soient pas aussi doués que les enfants noirs qui, je le répète, ont faim et sont prêts à l’effort. Ces enfants sont sans doute victimes de l’esprit de clan où l’on se regroupe d’instinct par affinités ou pour se protéger. C’est un réflexe qui se vérifie à tout niveau et en tous endroits de la société. Par exemple les China Towns des grandes villes, qui sont difficilement pénétrables par les autres. Pour s’en tenir au foot-ball, en Martinique, ce sport est pratiquement fermé aux autres, seule une petite fenêtre (que dis-je, un hublot) est ouverte aux Haïtiens. C’est une politique volontariste rare et une responsabilité.

Par ailleurs, certains observateurs estiment tout simplement que les Noirs sont naturellement meilleurs en sport que les Blancs. A l’inverse, ce parti-pris autoriserait d’autres à se revendiquer d’être naturellement meilleurs dans d’autres domaines, y compris cognitives. Ce discours est dangereux pour les Noirs, au moment où, en une manière de retour de l’eugénisme, des scientifiques estiment que « les influences génétiques sur le comportement et la cognition varieront d’une population à l’autre1 » et qu’il « ne serait plus possible d’ignorer les différences moyennes entre ‘’races’’ ».

En 1998, un vent très majoritaire avait vu dans le succès de l’Équipe de France comme l’avènement d’une société consensuelle black-blanc-beur. C’était très certainement un élément positif propre à former les esprits à l’acceptation des uns et des autres de vivre ensemble. Dans l’espoir que le microcosme des acteurs de la vie sportive serve d’exemple à la société. Mais dans l’instant j’avais écrit que les Français plébiscitaient ce ou ceux qui les rendaient heureux parce qu’ils les rendaient heureux. Comme à l’époque du trotteur OURASI (image provocatrice sans doute exagérée) qui était adulé par les Français, pas seulement les turfistes.

Mais plus généralement, le racisme est intimement lié à une réalité que j’exprime, parfois avec un air de provocation, à des amis chrétiens. Lorsque le bon Dieu a donné à l’homme des couleurs d’épiderme différentes, il lui a donné une difficulté de plus à affronter. C’est dire que le racisme sera à combattre tant que l’homme n’aura pas une seule couleur, terme du métissage humain. Ce n’est pas pour demain.

. Le racisme dans les stades de foot est un phénomène qui se vérifie semaine après semaine scrutée et critiquée dans un sens ou dans l’autre et fait très généralement l’objet Personne n’est à cet égard doté d’une expertise telle qu’il soit assuré de ne pas risquer une bêtise.

1 Le Point N 2454 du 11 septembre 2019

Dessin de JeuneAfrique :