Aimez-moi … pour que j’existe

Comment réagir face à un mauvais spectacle de théâtre ?

aimez-moi— Vu par José Alpha —

Le spectateur au théâtre du spectacle vivant qu’il soit dansé, chanté, ou en voltige, vient à la rencontre de l’histoire racontée par un (ou plusieurs) personnage qui incarne les situations de la tragédie, de la comédie ou du Théâtre du silence. Et c’est bien à partir d’un récit toujours fantasmagorique, dramatique ou de méprise, en tout cas, de rencontres entre inattendu, intrigue et émerveillement que l’organisation poétique du metteur en scène donne du sens à la projection théâtrale.
L’artiste en scène pour la circonstance, Mme Suzy Singa de la Cie Sinji, nous invite à découvrir « Aimez-moi », sa création au 44eme Festival culturel de la ville de Fort de France Tjebé Larèl.
Favorablement observée notamment pour son courage et son engagement professionnel, la comédienne s’entoure de trois créatifs de la scène théâtrale martiniquaise dont les expériences ont, à un moment de leur évolution respective, rencontré disent-ils, la force poétique et politique de l’écrivain dramaturge du « Cahier d’un retour au pays natal », du « Discours sur le colonialisme », d’ « Une tempête » et de « la tragédie du Roi Christophe ». Pour ne citer que ces quelques références internationales qui ont été traduites et portées à la scène notamment à la Comédie française en 1998 ; puis par de nombreux théâtres africains, sud-américains et européens jusque sur les quais de la gare Saint Lazare à Paris en 2013, pour son 100 ème anniversaire de naissance. Des acteurs d’exception comme Douta Seck, Hervé Denis, Jean Claude Duverger, Robert Liensol, Yvan Labéjof, Antoine Vitez, Toto Bissainthe, Marianne Mathéus, Ruddy Sylaire, Younous Diallo, ont en effet été façonnés par les figures de style, les silences et les ironies du poète.
Autant d’éléments probants qui, à l’annonce de ce « nouveau défi » du 44eme Festival de Fort de France, incitent à répondre à l’invitation de cette nouvelle personnalité de la scène du spectacle vivant, Mme S. Singa, engagée à rappeler aux générations, l’œuvre du fondateur de la Négritude qui n’a de cesse d’interroger la jeunesse par les questions fondamentalement existentielles: Qui suis-je ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ?
Mais malgré le rappel de ces favorables prédispositions, l’appareil ne décolla pas de la piste d’envol, accroché à une suite de clichés inconsistants, d’inachevés et d’insensés. Une terrible réalité d’impréparation, de méconnaissance de l’auteur, de ses textes, de ses visions, surgit de l’espace scénique pour prendre place dans la salle.
Peut-on parler de choix de textes quand l’incohérence du récit percute avec la pauvreté du jeu et surtout avec l’absence de personnage ? Qui est cette femme habillée d’une grand-robe de nos grands-mères Africa ou Pointoise ? Qu’elle est sa fonction dans la trajectoire théâtrale proposée ? Pourquoi lit-elle des textes camouflés çà et là sur le plateau, sur la table, dans les recoins des objets au secours d’une mémoire défaillante ? Nous comprenons l’impréparation de la comédienne, du récit, de la représentation maquillée par des accentuations de pénombres, par un vocabulaire gestuel réduit à la quotidienneté, par une circulation segmentée aux suggestifs. Mais quels suggestifs, sans intentions, sans direction, sans vision ?
Comment réagir face à un mauvais spectacle de théâtre ? Surtout quand des amis, des lecteurs, des familiers et des artistes qui ont connu Aimé Césaire, s’évertuent à situer les extraits connus mais pratiquement inaudibles dans le contexte de la théâtralisation proposée.
L’ennui laisse place à la colère sourde, à l’effroi, à repenser le spectacle, le décor, les costumes, les éclairages, la musique et … à la souffrance du spectateur. S’imaginer à la place de la comédienne, à jouer les rôles comme ils devraient être joués. D’autant que « tout départ en cours de spectacle (comme l’ont fait certains), nuirait à vos amitiés, à votre vie sexuelle et affective ou, horresco referens, à votre carrière… » a écrit Paul Lefevre (Théâtre au Canada). Avoir été dans l’impossibilité de vous préparer psychologiquement ou d’une quelconque autre façon à l’ennui habituellement insupportable qui suinte d’une mauvaise représentation théâtrale, agace au plus haut point.
Les soupirs bruyants, commentaires à voix haute et autres manifestations de déplaisir, qui seraient ostensiblement audibles ou visibles sont en effet l’expression d’une insupportable négation du récit césairien, toujours en attente de personnage.