La seule définition de l’Autonomie par ce qu’elle n’est pas doit-elle suffire ?
— ContreChroniques d’Yves-Léopold Monthieux —
La démarche autonomiste martiniquaise est plus que jamais à l’ordre du jour. Dans le maelström institutionnel voire existentiel qui l’entraîne et en cible de courants qui rappellent les Gilets jaunes, tels que « Bloquons tout » ou « C’est Nicolas qui paie », la République semble vouloir se dégager et s’offrir un label décolonial en libérant les forces du largage. Tandis que les autonomistes et indépendantistes y voient une aubaine qui pourrait disparaître dans le confort retrouvé d’une République apaisée. Certes, de la part des postulants, cette démarche est inspirée d’un idéal de dignité et d’une exigence de responsabilité. Mais passé l’énoncé de ces valeurs, on a du mal à découvrir leur réalité dans un projet pour la Martinique dont on ne voit toujours pas la couleur.
En effet, peut-on se contenter de définir l’autonomie par ce qu’elle n’est pas ? De la part de ses porteurs, le discours sur l’autonomie s’est toujours caractérisé par une définition négative que l’on pourrait nommer autonomie du ni-ni : « l’autonomie n’est pas ceci, l’autonomie n’est pas cela ». En mode de théologie négative chère à Gilles Deleuze, la théorie du ni-ni procède de Césaire, lui-même : « L’autonomie n’est pas un simple statut », « ce n’est ni un passéisme ni un nihilisme « . « C’est un plus, ce n’est pas un moins ». Pour sa part, dans la suite de la pensée césairienne, Serge Letchimy peaufine la sémantique : » l’autonomie n’est pas un programme ni une théorie achevée “, » n’est pas une fin en soi « , n’est pas » un catalogue « , » un produit » ; » n’est pas le marchepied de l’indépendance « (Tiens tiens…) Tout au plus, le futur patron de la Collectivité de Martinique peut-il affirmer que l’autonomie « c’est un germe », un » idéal « , une » éthique », une « idée-force », un « mode d’être », une » manière d’exister et d’organiser la vie en société » ; » l’autonomie est un état d’esprit « . S’il n’est pas plus précis aujourd’hui qu’il ne l’avait été dans son ouvrage, pourtant dédié à la cause (Discours sur l’autonomie – 2001), c’est qu’il estime peut-être que l’idéologisation a « germé » et que le façonnage du cerveau martiniquais est achevé.
Commencé avec son échec inévitable du 10 janvier 2010, suivi par celui de la région, 3 mois plus tard, puis son départ en 2021, l’effacement progressif d’Alfred Marie-Jeanne a-t-il dégagé la voie vers la fin du ni-ni ? En dépassant le maître dans son approche de l’article 74 (« I pi endépandantis ki mwen », dixit Chaben), Serge Letchimy a-t-il mis fin à la théologie césairienne du ni-ni ? Reste que dans un sursaut en forme d’aveu, c’est aussi Serge Letchimy qui, reprenant dans son livre le mot de J-B Auby, avait déclaré que » ce qui prédomine en matière d’autonomie c’est l’incertitude « .
Au moment où le successeur d’Aimé Césaire décide de faire feu de tout bois pour mettre définitivement la Martinique sur les rails d’une crypto-autonomie, a-t-il été mis fin à l’incertitude visée par l’honorable universitaire ?
Fort-de-France, le 18 août 2025