Le vélo, un patrimoine vivant : chapitre 4

Par l’association Les Vélos Marin Martinique —

https://www.madinin-art.net/wp-content/uploads/2024/12/velo-1.jpgVoici   la quatrième partie et fin d’un article en quatre parties. C’est une tentative de compréhension et un appel à faire évoluer le rapport de force actuel.

Le vélo, dans sa forme populaire, ne pourra avancer qu’à condition d’être pensé comme un bien commun, et reconnu dans sa dimension culturelle, sociale et immatérielle.

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4 Le patrimoine culturel immatériel comme rempart
Reconnaître le vélo populaire comme patrimoine culturel immatériel n’est pas un simple geste symbolique. Dans la situation critique où il se trouve aujourd’hui, c’est un acte minimal mais essentiel. C’est l’affirmation qu’il est temps de poser un cadre éthique, simple et fondamental, pour qu’il demeure ce qu’il est en essence, une pratique vivante, un espace de liberté, de solidarité et d’inventivité populaire.
C’est aussi une manière de le soutenir face à un rapport de force qui ne se contente plus de réduire sa place dans l’espace public, mais qui tend à capter et neutraliser une culture profondément enracinée, une culture organique, façonnée par plus de 150 ans de pratiques collectives. En l’aliénant, nos sociétés risquent d’effacer ce qu’elles ont de plus précieux : leur capacité à inspirer des modes de vie alternatifs, sobres et solidaires.

Protéger le vélo populaire, c’est préserver des savoir-faire, celui de réparer, de partager, d’inventer, mais aussi des cultures locales de la lenteur et du lien social. L’actualité rend cela plus urgent que jamais, la mise en place de la filière REP pour les articles de sport et loisirs (dont les vélos) en est une illustration frappante. Derrière ce dispositif, présenté comme une solution écologique, se dessine déjà une menace pour les ateliers participatifs et solidaires.
Ces espaces, porteurs de valeurs fortes, risquent d’être progressivement formatés, normalisés, soumis à des logiques administratives et industrielles qui les éloignent de leur essence. Sous couvert d’encadrement et de recyclage, un processus s’installe qui pourrait entraîner une perte éthique et sociale irréversible. Ce déséquilibre est d’autant plus préoccupant qu’il est déjà perceptible. Parmi les éco-organismes chargés de piloter la filière, Le Recyclage se distingue par sa mission, soutenir et promouvoir les ateliers participatifs. Ces structures, animées par des bénévoles, ont un impact concret et vital : elles prolongent la vie des vélos, recréent du lien social, transmettent des savoir-faire. Elles donnent l’exemple. Et pourtant, elles restent reléguées à l’arrière-plan.
Dans le champ médiatique et politique, ce ne sont pas ces acteurs de terrain qui occupent l’espace. Ce sont d’autres organismes – bien financés, solidement structurés, qui captent la reconnaissance, l’audience et, bien souvent, la majorité des budgets publics. Ces “têtes de réseau” concentrent d’importants moyens financiers, alors même qu’elles sont peu présentes sur le terrain. Le paradoxe est là : ceux qui travaillent directement avec les publics et les objets, qui réparent, qui enseignent, qui accueillent, sont les moins soutenus, alors que leur contribution est la plus tangible. Ce déséquilibre révèle une difficulté plus large à reconnaître et valoriser des initiatives locales, sobres et efficaces. Pourtant, c’est en protégeant ces petites structures que nous pourrions favoriser l’émergence et la multiplication d’espaces de créativité et d’inventivité autour du vélo, des espaces qui, sans une volonté politique claire, restent invisibles et fragiles, alors qu’ils pourraient devenir des foyers d’innovation sociale et écologique.
Redonner au vélo cette capacité, c’est lui permettre de redevenir une alternative authentique, de réhabiliter des modes de vie où l’humain, le temps et l’espace reprennent leur juste place.
Le vélo populaire n’a pas besoin de devenir autre chose. Il n’a pas à s’adapter aux logiques qui l’ont marginalisé. Il a besoin qu’on le protège, qu’on l’accompagne, pour qu’il puisse continuer à nous apprendre à faire autrement.
Le Marin, Les Vélos Marin Martinique le 23/07/2025