— Par Sarha Fauré —
Pendant que les consommateurs d’Europe s’étonnent de la flambée des prix du chocolat – conséquence directe des bouleversements climatiques en Afrique de l’Ouest et de l’envolée des cours du cacao –, une autre réalité se dessine, plus discrète mais porteuse d’espoir : aux Antilles françaises, et notamment en Martinique, le cacao connaît une véritable renaissance.
Après des siècles d’oubli et de déclin, l’île redonne vie à une culture ancestrale, autrefois florissante, désormais portée par des producteurs passionnés, des coopératives engagées et une volonté de faire rayonner le savoir-faire local jusque dans les tablettes artisanales de la métropole. Le cacao martiniquais revient sur le devant de la scène.
Un passé glorieux, un long déclin
Il fut un temps où la Martinique produisait jusqu’à 6 000 tonnes de cacao par an, soit plus de la moitié de la production antillaise sous Louis XIV. Le cacao était alors l’une des richesses majeures de la colonie, prisé jusque dans les salons de Versailles. Les premiers cacaoyers avaient été introduits par les Amérindiens, bien avant la colonisation. Mais au fil des siècles, la culture du cacao a cédé sa place à celle de la canne à sucre, plus rentable à l’époque.
Résultat : au début du XXIe siècle, il ne restait plus que 4 hectares de cacaoyères actives sur l’île, soit à peine 4 000 arbres. Une culture patrimoniale, tombée dans l’oubli.
Un réveil progressif, piloté par des passionnés
Le déclic est venu dans les années 2010. Face à la disparition imminente d’un savoir-faire agricole et gastronomique, plusieurs producteurs et institutions locales se sont mobilisés pour faire renaître la filière. Sous l’impulsion du PARM (Pôle Agro-ressources et Recherche de Martinique) et avec le soutien de la chambre d’agriculture et du Parc naturel régional, un travail minutieux de recensement des anciennes parcelles a été mené.
En parallèle, des formations ont été lancées, pour réapprendre les gestes de culture, de fermentation et de transformation. En 2015, l’association Valcaco voit le jour avec pour mission de fédérer les producteurs et de structurer la filière autour de la qualité, de la traçabilité, et du respect de l’environnement.
Une production encore modeste, mais prometteuse
En 10 ans, les résultats sont là : près de 130 hectares replantés, une cinquantaine de producteurs engagés, et une production qui est passée de 200 kilos à 4 tonnes en 2023, avec un objectif de 70 à 100 tonnes d’ici 2029. La Maison du Cacao, inaugurée au Lorrain en juin 2025 sur une ancienne sucrerie, viendra consolider cette dynamique en permettant la transformation locale, la mutualisation des ressources et l’accueil du public dans un esprit de chocotourisme.
Aujourd’hui, 70 % de la production de cacao se concentre dans le nord tropical et humide de l’île, où le terroir donne des fèves aux profils aromatiques complexes : acidulées, fruitées, avec des notes chaudes de pruneau ou de raisin sec. Trois grandes variétés de fèves et plusieurs hybrides naturels coexistent, offrant une richesse unique au cacao martiniquais, reconnue au niveau international.
Une reconnaissance mondiale et un modèle durable
En 2017, les efforts des producteurs sont couronnés : les fèves martiniquaises reçoivent un prix au Salon du Chocolat de Paris, dans le cadre des International Cocoa Awards. En 2024, une nouvelle distinction vient confirmer la place de la Martinique parmi les terroirs d’exception.
La filière repose sur un modèle vertueux : 90 % des exploitations sont menées en agroforesterie, sans intrants chimiques, et selon un cahier des charges strict garantissant traçabilité et éthique. Ce positionnement premium permet aux fèves d’être vendues jusqu’à 26 € le kilo à l’export, dont 17 € directement reversés aux producteurs – une rémunération bien supérieure à celle pratiquée sur les marchés mondiaux.
Du « bean to bar » made in Martinique à la scène internationale
Aujourd’hui, le cacao martiniquais séduit bien au-delà des frontières de l’île. En métropole, des chocolatiers comme Monsieur Txokola, installés à Bayonne, travaillent les fèves locales dans une logique bean to bar (de la fève à la tablette), en créant des produits haut de gamme : des tablettes à 72 % de cacao, élaborées avec du sucre de canne martiniquais, vendues 10 € pièce, contre 6 € pour les autres origines.
D’autres artisans, comme Thomas Lemonnier, basé aux Anses-d’Arlet, valorisent la parcellisation du cacao : chaque tablette porte le nom de la commune où elle a été cultivée. Sous sa marque Otantik Chocolat, il développe également des coproduits innovants (tisane d’écorces de fèves, pâte à tartiner, vinaigre de cacao), avec une distribution en direct, y compris en métropole.
Une réponse locale à une crise mondiale
Alors que les prix mondiaux du cacao se sont envolés de 1 900 à plus de 9 000 livres la tonne entre 2023 et 2024, en raison des conditions climatiques désastreuses en Afrique de l’Ouest (pluies excessives, maladies, sécheresse), la Martinique offre une alternative locale, durable et qualitative.
À l’heure où les consommateurs cherchent à donner plus de sens à leurs achats – notamment à Pâques, où le chocolat est roi –, le cacao martiniquais répond à une double attente : soutenir une production équitable et découvrir de nouvelles saveurs.
Un avenir plein de promesses
Avec la Maison du Cacao, le développement du chocotourisme, l’ambition d’obtenir une Appellation d’Origine Protégée (AOP), et une possible labellisation Agriculture Biologique, la filière cacao de Martinique ne cesse de se structurer et d’innover.
D’ici vingt ans, l’objectif est clair : 400 hectares plantés, 300 à 400 tonnes produites par an, et une place bien ancrée sur la carte mondiale du chocolat de terroir.
Le cacao martiniquais n’est plus un souvenir du passé : il est redevenu un symbole vivant, savoureux, et porteur d’avenir.