25 avril 2020 en Europe : séparés, mais ensemble !

Révolution des œillets — Fête de la Libération

LISBONNE : Les Portugais ont célébré samedi l’anniversaire de la Révolution des œillets en chantant à leur fenêtres, contournant ainsi l’interdiction de se rassembler pour les traditionnels défilés populaires en raison de la pandémie de coronavirus

De Mário Soares, ancien président portugais, figure historique de la lutte contre la dictature : « La Révolution des œillets a mis fin à une dictature fascisante de quarante-huit longues et cruelles années qui s’était maintenue grâce à la censure et à une police politique, et qui a bloqué notre pays durant près de cinq décennies sur le plan politique, culturel, économique et social ». Le 25 avril 1974, les Portugais tournaient enfin, et de façon reconnue pacifique, la page de cette dictature, dirigée par Antonio Oliveira Salazar jusqu’en 1968, puis par Marcelo Caetano jusqu’à la chute du régime.

Ce 25 avril 2020, à 15 h, ils ont été nombreux, les Portugais, œillets rouges à la main ou saluant leurs voisins, à entonner, avant l’hymne national, la chanson « Grândola Vila Morena », symbole du coup d’État militaire qui allait mettre fin non seulement à la dictature mais aussi à treize ans de guerres coloniales. Cette chanson de José Afonso fut, via la radio « Renascença », un signal lancé sur les ondes pour le déclenchement de la Révolution. Elle accompagna le peuple lisboète en liesse tandis qu’il escortait les capitaines révolutionnaires récupérant un à un les sièges du pouvoir. Depuis, Grândola Vila Morena (« Grândola bourgade brune ») est un totem de la liberté reconquise. Un emblème unitaire, dont un des vers dit : « O Povo é quem mais ordena » (« Celui qui commande, c’est d’abord le Peuple »). Quant aux œillets rouges, l’histoire dit que les premiers furent distribués aux soldats, rencontrés en chemin par une servante sortie en acheter un bouquet pour sa maîtresse.

Après force discussions, à savoir ce qui pourrait remplacer les habituelles réjouissances — défilés, expositions, concerts, conférences et débats — cette proposition avait été faite à tous les citoyens : « Dans  l’après-midi du 25 avril, à 15 heures, nous allons ouvrir nos fenêtres et chanter Grândola Vila Morena et l’hymne national, donnant sens à la liberté conquise et aux valeurs d’avril ». 

« C’est un peu triste de ne pas pouvoir être dans la rue, mais se mettre à la fenêtre c’est la seule “rue” possible en ce moment… Ce qui définit le 25 avril, c’est cette liberté de descendre dans la rue pour célébrer la fin d’une triste époque de notre histoire », a témoigné Elisabete Figueiredo, professeur d’université vivant à Aveiro, une des premières à avoir suggéré ce mode alternatif de célébrer l’anniversaire de la Révolution. L’appel relayé par les médias et les réseaux sociaux a été soutenu par l’« Association 25 avril » — héritière du « Mouvement des Capitaines » qui a ouvert la voie à l’avènement de la démocratie —, ainsi que par plusieurs partis de gauche et par la Mairie de Lisbonne.

Au Parlement, les principaux responsables politiques ont participé dans la matinée à une cérémonie réduite a minima, afin de respecter les règles sanitaires de distanciation. « C’est en ces temps exceptionnels de douleur, souffrance, deuil, séparation et confinement qu’il importe le plus d’évoquer la patrie, l’indépendance, la République, la liberté et la démocratie », a déclaré le président Marcelo Rebelo de Sousa dans son discours lors d’une séance au Parlement qui, selon certains élus de droite, aurait dû être annulée. « L’état d’urgence ne suspend pas la démocratie », a écrit pour sa part le premier ministre  António Costa, sur son compte Twitter.

Le Portugal, qui n’a pas été frappé aussi durement que l’Espagne voisine par la pandémie de coronavirus, a tout de même recensé 880 morts et plus de 23 000 cas déclarés de COVID-19, selon un bilan officiel publié samedi.

 

ROME : Enfermés chez eux depuis un mois et demi, les Italiens se sont mis à la fenêtre samedi à l’occasion de la Fête de la Libération pour entonner leur hymne, mais aussi la chanson des Partisans, Bella Ciao.  

Les avions de chasse ont lâché les couleurs tricolores au-dessus d’une Rome ensoleillée, aux rues vides pour cause de confinement en ces temps de pandémie de coronavirus.

Mais quelques minutes plutôt, des milliers d’habitants avaient entonné le Bella Ciao à l’occasion de cette fête qui marque la libération de Milan, Turin et Gênes en 1945, et la défaite des nazis dans la péninsule. Allié de l’Allemagne hitlérienne, le dictateur fasciste Benito Mussolini avait été renversé en juillet 1943, puis arrêté, avant d’être libéré par un commando allemand pour instituer à Salo (Nord) un régime fantoche soutenu par les troupes nazies qui avaient alors renforcé leur présence dans la péninsule où les partisans étaient de plus en plus actifs au fil des mois.

Le choix de cette chanson, Bella Ciao très marquée à gauche, a suscité les grincements de dents d’Italiens qui ne s’y reconnaissent pas.  « Je respecte ceux qui ont donné dans le passé leur vie pour la liberté de notre pays, mais je considère prioritaire en ce moment, plutôt que de chanter “Bella Ciao”, d’aider avec de l’argent les citoyens qui sont dans le besoin », a écrit sur Twitter Matteo Salvini, chef de la Ligue (d’extrême-droite), le premier parti du pays. « Ce matin, un prêtre m’a dit qu’on l’empêchait de célébrer la messe en public, tandis que d’autres peuvent faire la fête », a-t-il poursuivi.

Le Maire de Milan, Giuseppe Sala, élu de gauche dans une région acquise à la Ligue de Matteo Salvini, avait invité un ami, le musicien Saturnino, pour jouer « Bella Ciao » sur le balcon de l’Hôtel de Ville, devant de rares passants.  Le Président de la République Sergio Mattarella a déposé une gerbe sur la tombe du soldat inconnu, où il s’est rendu, masque sur le visage, pour une cérémonie tenue en tout petit comité. Même son escorte est restée éloignée du tombeau.

D’après l’Agence France Presse, Médiapart, l’Humanité, Libération

Fort-de-France, le 26 avril 2020