« Rivages », m.e.s. Rachid Akbal

Abscons ne veut pas dire profond !

— Par Roland Sabra —
L’argument est inspiré de l’air du temps. De ce temps  au cours duquel la Méditerranée est (re)devenue un cimetière marin. Un temps qui déplace Lampedusa aux antipodes. Inatteignable. Eux, les migrants, corps ballottés par les vagues, crèvent dans un cri. Lui, l’artiste, sur les bords de la tombe il invente des objets d’art à partir des débris des naufrages. Elle, la journaliste, elle venue enquêter, elle écrit dans un journal. Les mourants crient, il crée et elle écrit. Comme le dit le texte.

L’émotion est le rempart de l’impensé. Les images du corps d’’Aylan Kurdi, le gamin syrien mort noyé sur une plage en Turquie, émeuvent, bouleversent et puis viennent d’autres images. Dans sa note d’intention Rachid Akbal, le metteur en scène pose d’emblée la question : « Comment faire une œuvre scénique avec une telle matière  ? » C’est toute l’aporie à laquelle il va se heurter sans pouvoir la surmonter. Il semble avoir oublier Louis Jouvet qui affirme « le théâtre ne peut pas être une recherche d’ordre intellectuel, mais plutôt une révélation d’ordre émotionnel. » Or la mise en scène rabat l’émotion sur la sensation qu’elle veut à juste titre évacuer, mais croyant traquer l’une elle chasse l’autre.

Et le texte de balancer comme le corps d’un naufragé dans le ressac d’un entre deux, entre refus du sensationnel et distanciation énigmatique en guise d’élévation de la pensée. Et le texte encore de se croire profond alors qu’il n’est qu’abscons, de se penser complexe quand il n’est que confus à vouloir emmêler les registres d’énonciation. Et le refus de l’image pour l’image d’être contrarier par le spectacle d’une scénographie qui d’une série de vêtements bleus, pour les vagues et blancs pour l’écume, couvrent la quasi totalité du plateau. Et le corps des comédiens de rouler en aller et venues, insistantes pour qui n’aurait pas compris, du fond de scène vers le proscenium pour imager le dépôt des cadavres sur la plage. Et la métaphore de jouer au troisième degré de l’expression prosaïque d’un « froc » blanc mais troué laissé en viatique sur le sable, dont le sens est chape. Et le ventre mis à nu du théâtre, toute machine dehors, dans l’incontournable, l’inévitable distanciation, l’indépassable déconstruction de l’illusion théâtrale, d’être surlignée par l’artiste-narrateur-machiniste qui manipule, en fond de scène coté jardin, la toile du décor. Et la musique d’hésiter entre sa propre partition, son propre dire et l’illustration ou le dialogue avec un propos qu’elle est sensée servir.

Pour le dire crûment l’ennui gagne quand le théâtre par manque de simplicité rate l’authenticité.

Les comédiens embarqués sur ce frêle esquif, à l’image des migrants qu’ils sont sensés figurer jouent leur partition en solo chacun voulant sauver sa peau.

Une déception donc, sans aller jusqu’à dire  que la pièce réalise en son propre mouvement ce qu’elle voulait représenter : un echouage.

Fort-de-France, le 20/04/2018

R.S.