« No » : la dictature et ses opposants balayés par un arc-en-ciel publicitaire

 — Par Thomas Sotinel —

 

Voici un film qui donne la pêche, dont on ressort le sourire aux lèvres. A la fin de No (réponse que fit l’électorat chilien à Augusto Pinochet, lorsqu’en 1988, le dictateur eut l’idée de demander si l’on voulait encore de lui), le mal est vaincu, la démocratie a triomphé. Pablo Larrain est au cinéma ce que René Saavedra, le héros de No, est à la communication politique. Un artiste en pleine possession de ses moyens.

Ce qui lui permet de cacher soigneusement les effets secondaires de son film, qui se manifestent plus tard, longtemps après que les lumières se sont rallumées. Une fois dissipée l’euphorie que procure le spectacle de la chute d’une dictature, toutes les questions que l’on a maintenues à l’arrière-plan ressurgissent et No devient un autre film, plein de doutes et d’ambiguïtés, une oeuvre politique qui déjoue les pièges du cinéma militant pour tendre ceux du scepticisme et de l’inaction civique.

René Saavedra (Gael Garcia Bernal) est un publicitaire chilien qui a vécu au Mexique les dures années qui ont suivi le coup d’Etat de 1973. Issu d’une famille militante de gauche, il affiche son apolitisme en naviguant dans les rues de Santiago sur son skateboard. Ce garçon est résolu à amener son pays jusqu’à la modernité qui, pour lui, s’exprime par la consommation allègre et massive de produits superflus que ses campagnes ont transformés en nécessités premières.

 

Cette créature est presque prise au dépourvu lorsqu’un vieux dirigeant de gauche le contacte pour lui demander d’élaborer la campagne télévisée de l’opposition démocratique, dans le cadre du référendum qu’a organisé le régime militaire. Il s’agit alors de surmonter la méfiance et l’apathie de l’électorat, qui – nous explique le scénario – est convaincu que les dés sont pipés, que le général sanguinaire s’est assuré de la victoire avant d’avoir engagé le combat.

Saavedra accepte, en partie pour faire la nique à son patron de droite, Lucho Guzman incarné par Alfredo Castro, l’acteur fétiche de Pablo Larrain, qui aura ainsi contribué aux trois volets de la trilogie de la dictature du réalisateur. Le film mêle ensuite des séquences d’actualité, des extraits des vraies campagnes que menèrent alors les deux camps, et les efforts de René Saavedra pour convaincre les forces démocratiques chiliennes des vertus de la communication moderne.

Jubilation

S’il est une vertu dont Pablo Larrain n’est pas exempt, c’est l’ironie. Il emploie tous les moyens pour convaincre de la ringardise de la campagne conçue par son héros. Ce n’est pas très difficile, puisque rien ne perd son attrait aussi vite qu’une publicité. La chorégraphie benête, les couleurs criardes font peine à voir. Comme un faussaire patinerait un tableau, Larrain a tourné sa fiction en vidéo analogique, dont le format presque carré et les couleurs baveuses ramènent à un temps sans pixels, avec des lignes épaisses dont l’empilement formait des images dont on se demande aujourd’hui comment nous les avons tolérées.

Ce que décrit Larrain de cette manière est en apparence une marche à la victoire. Et de fait, on jubile au spectacle des déconvenues successives du clan Pinochet, qui découvre que ce jeune homme (qui est l’homologue, en matière de communication, des Chicago boys ultralibéraux qui ont façonné la politique ultralibérale de la junte) dispose de moyens invincibles pour renvoyer les militaires dans leurs casernes.

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