« Manmzèl Julie » de Durosier Desrivières, m.e.s. Deluge

— Par Roland Sabra —

« Mademoiselle Julie est folle, complètement folle », ainsi commence « Mademoiselle Julie » la pièce de Strindberg et la transposition ou variation caribéenne de Jean Durosier Desrivières, dans la mise en scène d’Hervé Deluge reprend à son tour cette assertion qu’elle érige en viatique dans lequel Jann Baudry, bonne comédienne, puisera les ressources du rôle. On peut y voir là une fidélité à la pièce puisque deux notes au moins dans l’œuvre signalent et supposent cette folie. Il y a là une piste facile, une échappatoire face à la complexité, la densité, la richesse de la pièce de Strindberg, dans laquelle se sont engagés plus d’un metteur en scène comme il y a plus de dix ans déjà, Pascal Faber , au T.A.C. (Théâtre Aimé Césaire).

On eut aimé que Jean Durosiers Desrivières ait eu l’audace d’insister sur le conflit de classe, sur la dimension politique et sociale qui est présente dans son « adaptation », mais qui semble peu mise en relief dans le travail d’Hervé Deluge. Qu’une fille de maître couche avec le valet de son père ne se résume pas à un acte de démence ! Le croire et le signifier serait une trahison du propos de Strindberg qui ne cesse d’affirmer dans la préface de l’œuvre la multiplicité causale des comportements : «  « L’âme de mes personnages (leur caractère) est un conglomérat de civilisations passées et actuelles, de bouts de livres et de journaux, des morceaux d’hommes, des lambeaux de vêtements de dimanche devenus haillons, tout comme l’âme elle-même est un assemblage de pièces de toutes sortes. »

De même l’opposition entre Jean et Kristin, l’un entrepreneur, bourgeois en espérance de devenir, l’autre baignant dans une soumission étayée par un discours religieux justificatif, est peu mise en valeur.

La scénographie astucieuse se construit autour d’une thématique de trois couleurs, le noir, le blanc et le rouge, à la symbolique suffisamment évidente pour qu’on n’y insiste pas et organisée autour du motif du damier, ou plus exactement de l’échiquier, omniprésent, des meubles de la cuisine au sol du plateau. Quelques intermèdes musicaux ralentissent le rythme qui n’a pas besoin de cela et le travail des lumières dans la salle paroissiale de la ville du Marin semblait inexistant, non par la faute de Dominique Guesdon mais plus simplement par l’absence d’équipement !

On l’a dit, Jann Baudry, se conforme aux directives de la mise en scène et puisque folle supposée, elle se comporte comme telle avec une inévitable tendance au surjeu ôtant une réelle épaisseur au personnage. Rita Ravier, comme figure de la soumission raisonnée tire son épingle du jeu en laissant deviner les tourments qui sont sensés la traverser. Hervé Deluge, en « Monsieur » Jean avec cette bonhommie apparente tire un peu la couverture à lui et navigue, perdu par moments, entre une folle et une soumise. Quand on vous dit que le machisme multiforme, insidieux et sournois, ronge et vérole au cœur même des luttes d’émancipation…

Ce travail a le mérite d’être. Il faut lui donner les moyens de se densifier, de s’épaissir, de prendre consistance, de reprendre le travail à la table…

Fort-de-France, le 03/12/2018

R.S.

Variation caribéenne d’après l’œuvre de Stringberg par Jean Durosier Desrivières
Avec Rita Ravier, Jann Baudry et Hervé Deluge
Mise en scène Hervé Deluge