L’histoire d’un théâtre de l’utopie : le Théâtre du Peuple de Bussang

theatre_du_peupleLe Théâtre du Peuple de Bussang est né en 1895 d’une utopie humaniste et artistique : créer dans les montagnes vosgiennes une fête dramatique destinée à l’ensemble du peuple, en régénérant l’art de son temps. Depuis cent vingt ans, ce théâtre atypique dans le paysage culturel français maintient vivant l’idéal de son fondateur, Maurice Pottecher, résumé par la devise “Par l’art, pour l’humanité” inscrite au fronton de la scène. Dans cette bâtisse de bois classée Monument historique et dont le fond de scène s’ouvre sur la nature, est proposée chaque été, à l’occasion d’un rituel festif, populaire et familial, une programmation dramatique croisant créations et oeuvres de répertoire et mêlant professionnels et amateurs. Malgré les guerres, les évolutions sociétales, les changements dans le fonctionnement, l’organisation et la direction du lieu, ce projet a résisté au passage du temps, en se réinventant sans cesse, mais sans perdre son “esprit” originel. Dans l’Humanité => En s’appuyant sur des centaines d’entretiens, les deux auteurs, spécialistes en études théâtrales racontent l’aventure 
de Bussang depuis sa fondation en 1895. Le Théâtre du Peuple 
de Bussang. 
Cent vingt ans d’histoire, de Bénédicte Boisson 
et Marion Denizot. Actes Sud, juin 2015, 30 euros. Elles ont épluché des tonnes d’archives. Recueilli des centaines d’entretiens. Bénédicte Boisson et Marion Denizot, toutes deux maîtres de conférences en études théâtrales à l’université Rennes-II, ont retracé, d’une plume alerte et investigatrice, l’évolution du Théâtre du Peuple, depuis sa fondation, en 1895, par Maurice Pottecher. C’est d’abord une scène ouverte, posée sur la prairie, face à la forêt vosgienne. Puis un bâtiment en bois sommaire mais ample et accueillant, comme un vaisseau voguant vers le grand large sous la devise « Par l’art, pour l’humanité ». Il sera classé monument historique en 1976. Le Théâtre du Peuple prend son nom du désir de son fondateur d’inventer un théâtre différent de celui que l’on joue à la capitale, qui serait interprété par des artistes « désintéressés » et des amateurs, à destination d’un public diversifié. Ancré au cœur de trois régions, Lorraine, Alsace, Franche-Comté, il gagnera un rayonnement national exceptionnel. L’intérêt de la recherche est aussi de mettre au jour et d’interroger les paradoxes de classe d’un projet qui naît également de la volonté de la famille Pottecher – Benjamin, le père de Maurice, est un riche industriel – de répondre au vœu d’un fils artiste. Relus aujourd’hui, les textes de Pottecher sont datés et porteurs de valeurs souvent moralisatrices et paternalistes. Mais son entreprise rend compte d’une véritable traversée des contradictions politiques et sociales de son siècle. Porteur d’un nom qui anticipait les objectifs et les conditions de réalisation de ce qui allait devenir l’enjeu du théâtre du XXe siècle, un théâtre populaire et de la décentralisation, le Théâtre du Peuple fut aussi un théâtre de l’utopie. Aujourd’hui véritable fleuron patrimonial, associatif et subventionné, qui a pour but de « développer la création artistique en lien avec les pratiques amateurs » (selon une convention signée avec l’État en 2000), le Théâtre du Peuple questionne aussi la mission de service public du théâtre mise à mal par une politique d’austérité.