« Les assoiffés » de Wajdi Mouawad.

— par Dégé —
Cie québécoise Le bruit de la rouille. OFF Avignon 2017.

Au Canada. Un anthropologue judiciaire, chargé d’identifier un couple d’inconnus repêché quinze ans après sa disparition, découvre qu’il s’agit de proches. Mais son enquête le mène à la découverte de lui-même. Loin d’être morbide, cette pièce qui analyse les causes du désespoir des jeunes propose des antidotes au suicide qui menace tant nos adolescents. « Les Assoiffés » s’adresse aux parents, aux éducateurs, aux enseignants… aux jeunes révoltés également ! En finir avec la vie n’est pas la solution.
L’auteur, Wajdi Mouawad , attire l’attention sur un suicide moins spectaculaire qu’une pendaison, une noyade ou une ouverture des veines : un suicide intérieur. Invisible. Celui qui fait que l’on continue à vivre normalement en apparence. On rit, on chante, on reste bon élève, on devient quelqu’un, respecté, bien inséré dans la société. Par exemple, anthropologue judiciaire. Mais à l’intérieur, au fond de soi, on est mort.Combien parmi nos adolescents, nos très jeunes enfants mêmes, combien parmi nous, adultes, combien de zombies ? Sages, dociles, sans histoires parce que sans vie.
Wajdi Mouawad, émigré au Canada, après que la malheureuse France a refusé l’asile à sa famille, a sans doute vécu une période adolescente difficile. Les interrogations sur le sens à donner à la vie, sur la primauté donnée par l’école aux savoirs, à la connaissance, les bordées d’injures qu’il met dans la bouche du jeune Sylvain Murdoch sentent l’autobiographie. De même le chemin vers sa renaissance, sa résurrection, parallèle à l’enquête de M. Boltanski, alias Boon, semble relever d’une réalité personnelle : W. Mouawad est bel et bien devenu écrivain. L’écriture sauve. La création libère. L’art est salvateur.
L’origine de la blessure de Boon se trouve dans la relation avec son aîné . Il crée pour lui le personnage de Norvège, symbole de la Beauté sans laquelle nul ne peut vivre. Tous se moqueront de lui, sauf Sylvain, et son frère ira jusqu’a lui cracher au visage. Meurtri, il « survit » après avoir fait célébrer une messe pour son décès fictif. La dimension onirique, surnaturelle de ses créations donne une touche poétique à la pièce où se mêlent réalité et fiction.
Un simple cube de bois central constitue astucieusement le décor. Sur la façade deux hublots découpent deux ouvertures d’où sortiront, tels au guignol, les visages masqués des parents éplorés. Une porte longtemps fermée d’où sortira, magnifiquement, telle la nymphe d’un papillon, la jeune disparue, Norvège. Boon, adolescent dans plusieurs « flash back », laissera dépasser son buste du toit pour crier son désarroi, de même que Murdoch viendra hurler sa colère et ses « Fuck » si… variés. Il faut entendre Alexandre Streicher répéter obstinément sur tous les tons, tous les modes, toutes les modulations pendant de longues minutes « je ne sais pas, je ne sais pas, je ne sais… »
Qu’elles sont les causes de leur mal être ? De quoi nos adolescents ont-ils soif ? De quoi avons-nous tous soif ? « Les Assoiffés », en Avignon pour la deuxième année, est une pièce forte, au récit mené avec talent qu’il faut revoir ou tout du moins dont il faut garder en tête ses préoccupations.
Par Dégé. OFF Avignon 2017. Cie québécoise Le bruit de la rouille.

ASSOIFFÉS est une mise en scène collective créée par Mélaine Catuogno, Pierrick Bressy-Coulomb, Alexandre Streicher, Sarah Ballestra et Vivien Fedele.