« La traversée », de Xavier Orville, avec Lucette Salibur

— Par Roland Sabra —
affiche_traverseeC’est un conte réaliste entre lumières vives et ombres noires au moment où le jour le dispute encore à la nuit. Elle est seule dans le creux du tronc d’un arbre de vie, desséché dont les branches portent les portraits des figures de sa vie. Elle nous dit la solitude et la misère d’existences qui peinent à être au monde sous le poids de dominations qui durent et qui perdurent de si loin qu’on en connaît plus le pourquoi mais dont on souffre encore et en corps le comment. Sans fin. Jusqu’à présent. Elle ira vers les autres, ses sœurs de douleurs. Ces vies en souffrances ce sont celles de six femmes d’un ici repérable à un lieu que l’on pourrait croire précis et localisable mais qui par ce qu’elles disent outrepassent nos petites frontières, qu’elles soient géographiques ou sociales. Elles disent haut et fort ce qui a été tu pendant tant de siècles. Elles disent la pauvreté et l’oppression. Elles appellent à la solidarité. Et c’est une enfant, Chloé, la verdoyante, l’herbe naissante, la déesse des moissons à venir en grec ancien, qui les invite à une traversée vers un monde où elles pourront être non seulement écoutées mais entendues, un monde dans lequel les chants du malheur ignoré se métamorphoseront en espérances et assurances d’accomplissement.

Comme toujours avec le Théâtre du Flamboyant un soin particulier est accordé à l’esthétique de la scénographie. Là un espace vide, avec pour seul objet, seul décor cet arbre sombre au ventre matriciel au sein duquel se loge l’orange éclatant de la robe de la conteuse. Le passage d’un personnage à l’autre est marqué par des ruptures de ton, des rythmes déclamatoires différents, des passages musicaux et chantés, un jeu de lumières en contrastes, une opposition de blancs illuminés et noirs opaques que la conteuse utilise par exemple en avancées et reculades pour illustrer le sac et le ressac de la mer sur un rivage. Jolie trouvaille.

Lucette Salibur, puisque c’est d’elle dont il s’agit, avait déjà monté avec Christian Remer ce texte qui résulte d’une commande faite à Xavier Orville il y a maintenant vingt-ans. En 2009, à l’occasion de la célébration du 20e anniversaire du Centre culturel Pyepoudre, Paula Clermont Péan en fait une « lecture-mise-en-scène ». Lucette Salibur que l’on n’avait plus vu sur scène depuis « Le collier d’ Hélène » a eu le courage de se remettre sur le plateau. La raréfaction de l’usage de talents finit par les engourdir, et c’est dommage.  Les débuts ont été difficiles, le trac sans doute jamais facile à maîtriser, puis le plaisir de jouer l’a emportée. Il a juste manqué quelques séances de répétition pour mieux ajuster les raccords entre texte et musiques, entre texte et lumières, entre texte et placement dans l’espace scénique qui paraissait bien grand même s’il pouvait sur-signifier par ce fait la solitude des personnages. L’art des marionnettes qu’elle a appris auprès de Jean-François Lazaro à l »Institut International de Marionnettes à Charleville-Mézières, sa longue expérience du travail théâtral en direction des enfants sont réinjectés dans « Traversée » avec au début du spectacle une scène de poupée parlante. Poupée dont on peut penser qu’elle ressemblait un peu à la fameuse Kermit des années quatre-vingt.
Le plaisir de cette soirée a été de retrouver Lucette Salibur, cette comédienne d’une grande sensibilité, avec un texte poétique d’une grande beauté.

Fort-de-France, le 05/12/2015

R.S.

Traversée

Texte de Xavier Orville

Production :
Théâtre du Flamboyant

Conception – Interprétation :
Lucette Salibur
Création musicale :
Jeff Baillard