État-Collectivités, une relation financière en pleine mutation

— Par Édouard Gamess, expert en finances publiques —
Les collectivités locales sont toutes, pour la plupart, confrontées au casse-tête de dépenses qui augmentent régulièrement face à des recettes qui stagnent, quand elles ne diminuent pas.
En cette année 2018, quatre collectivités martiniquaises subissent en plus les nouvelles prescriptions de la loi n°2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques 2018-2022.
La CTM, les intercommunalités CACEM et Espace Sud, la Ville de Fort-de-France font partie des 322 collectivités qui, à l’échelon national, vont devoir respecter pendant trois ans un dispositif qui s’inscrit, Europe oblige, dans la maîtrise des dépenses publiques et la réduction de la dette publique.
Le dispositif
La loi fixe un objectif national d’évolution maximale de leurs dépenses réelles de fonctionnement à +1,2% par an (base 2017) et un objectif national d’amélioration du besoin annuel de financement de 2,6 milliards d’euros chaque année sur la période 2018-2022 (13 milliars d’euros au total).
Le taux de 1,2% peut être modulé en plus ou en moins de 0,15% par critère sur la base de trois critères : la population et le nombre de logements créés ; le niveau de revenu par habitant et la population en quartier prioritaire ; l’évolution passée des dépenses de fonctionnement sur la période 2014-2016. Au final le taux d’évolution peut osciller entre +0,75% et +1,65%. Son dépassement sera sanctionné par une pénalisation financière sur le produit de la fiscalité. Quant à la réduction du besoin de financement financé par l’emprunt, la loi prévoit que les collectivités, pour lesquelles la capacité de désendettement (stock de la dette/ épargne) dépasse le plafond national de 12 ans (communes et intercommunalités), 10 ans (départements) et 9 ans (régions, CTM, CTG…), devront s’engager sur une trajectoire d’amélioration de cette dernière.
Les préfets ont jusqu’au 30 juin 2018 pour contractualiser avec ces 322 collectivités, si leur assemblée délibérante donne mandat à leur exécutif pour le faire. Une collectivité peut refuser de signer, mais un dépassement du taux d’évolution de ses dépenses réelles de fonctionnement entraînera une sanction financière plus forte.
Les problematiqes
1-La loi a été votée malgré l’opposition de certains parlementaires (les ultramarins ont voté contre). Son inconstitutionnalité a été évoquée car elle semblait remettre en cause le principe constitutionnel de libre administration et d’autonomie financière des collectivités territoriales. Par décision n°2017-760 DC du 18 janvier 2018, le Conseil constitutionnel a rejeté les griefs avancés. Aussi la loi est devenue complètement exécutoire.
2-Sous le précédent dispositif de programmation des finances publiques 2014-2017, le gouvernement avait « associé » toutes les collectivités à l’effort de redressement des comptes publics, notamment par la baisse unilatérale des dotations. L’effet a été aussi de réduire corrélativement les investissements des collectivités locales.
La nouvelle méthode est plus subtile. Les 322 plus grandes collectivités représentent à elles seules 70% des dépenses de fonctionnement de l’ensemble des collectivités territoriales françaises. La loi les oblige à construire un chemin vertueux d’amélioration de leur capacité d’épargne. C’est cette épargne qui devrait leur permettre de se désendetter progressivement (nouveaux emprunts inférieurs aux emprunts remboursés dans l’année) tout en maintenant un niveau d’investissement satisfaisant.
3- Cette recherche d’économies en amont, actée par une contractualisation prospective, ne se fera pas sans grincements de dents.
Certaines dépenses des collectivités locales suivent mécaniquement une pente ascendante bien au-delà de la moyenne de 1,2% (ex. le GVT – glissement- vieillesse-technicité – qui concerne le personnel, augmente automatiquement de +3 à 4% par an). Il reste aussi à poser la question de l’impact budgétaire des décisions imposées par l’Etat, comme la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (loi Gemapi), la généralisation de la scolarisation dès trois ans ou la fin différée mais progressive des contrats aidés en Martinique.
Les effets
Le sujet est gênant et on en parle peu. Que sacrifier ? Qui sacrifier ? En Martinique, où le poids de l’argent public est conséquent dans l’économie de l’île, cette loi va avoir des conséquences réelles. Deux milliards de budgets locaux vont être mis sous une forme de tutelle a priori. Par un effet domino, toutes les collectivités locales, toutes les structures vivant de la manne publique, vont être impactées. Toutes vont devoir repenser complètement leur prospective de dépense à trois ans et procéder à des arbitrages sur les niveaux de crédits alloués à un secteur ou à un autre. Toutes devront faire preuve d’imagination pour financer leurs besoins et continuer à assurer un même niveau d’implication publique dans les années à venir.
Le débat a été lancé par la CTM, en posant la question de la volonté et de la capacité martiniquaise à refonder des comportements pour privilégier la pertinence des choix, l’utilité sociale des projets en écartant les doublons inutiles et les opportunismes de mauvais aloi. Il est désormais inutile et inefficace de se renvoyer perpétuellement la balle. Il faut repenser nos modèles budgétaires et financiers locaux.
Édouard Gamess, expert en finances publiques