Dolor Banidol a disparu « parce qu’il était l’un des meilleurs d’ »entre nous » »

— Par Yves-Léopold Monthieux —

« Dolor Banidol victime « désignée » du crash de 1969 ». C’est le titre de l’article de Guadeloupe-la-1ère, suite à l’interview vidéo qui a été accordée à l’un de ses journalistes par l’ancien secrétaire général du Parti communiste martiniquais (PCM), historien, père de l’Histoire martiniquaise et du 22 mai. Martinique-la-1ère a partiellement retransmis cet entretien le 9 juin 2019.

Dans le crash de l’avion qui les ramenait d’un congrès au CHILI, le 4 décembre 1969, le secrétaire général du Parti communiste de Guadeloupe Euvremont Gene et le militant du PCM Dolor Banidol ont trouvé la mort. Le CHILI traversait alors une période politique sulfureuse qui allait, sur fond de guerre froide, conduire à l’élection du socialiste Salvador Allende en 1970, puis à son assassinat en 1973. Bien que l’enquête sur le crash ait été classée SECRET-DEFENSE, des fuites ont eu lieu qui militent en faveur de l’hypothèse de l’attentat que des « avertissements » prémonitoires auraient précédé.

En Guadeloupe, pour l’histoire et la famille d’Euvremont Gene, un comité se bat pour que soit faite toute la lumière sur cette affaire couverte par la « raison d’Etat ». En revanche, une indifférence déconcertante plane sur les circonstances de la mort de Dolor Banidol, les protagonistes paraissant se cacher derrière le SECRET-DEFENSE. La presse de l’île sœur a déjà son avis sur la question en déclarant que le militant martiniquais disparu aurait été une victime « désignée » du crash. En aucune de ses composantes politique, syndicale, intellectuelle, médiatique, humaniste ou humanitaire, la société martiniquaise n’a réagi à cette révélation. Seuls les enfants du modeste défunt, laissés à leur triste sort, souhaitent pieusement que la lumière soit. Mais leur est-il possible d’aller au-delà de la piété du vœu ? En écoutant l’interview vidéo enregistrée par Guadeloupe-la-1ère, ils devraient avoir un début de réponse.

Il apparaît bien que la direction du Parti communiste martiniquais est doublement concernée. D’abord par le crash lui-même, où il a perdu l’un des siens ; ensuite parce que, son ancien secrétaire général, aujourd’hui honoré, confesse avoir reçu un « avertissement » relatif à un possible danger et un « ordre » (« l’ordre qu’on m’avait donné ») au terme desquels il avait renoncé à son propre voyage au CHILI et « désigné« , à sa place, Dolor Banidol. Pourquoi avoir désigné celui-ci, demande le journaliste ? « Parce qu’il était l’un des meilleurs d’entre nous« , lui est répondu. Au moment de son départ en mission, le brave ouvrier agricole avait-il été informé de l’ »avertissement » reçu par son patron ? Reste qu’en militant discipliné il s’était substitué à celui-ci et il en est mort. Qu’a fait le Parti pour la veuve et les orphelins ?

Ainsi, Guadeloupe-la-1ère suggère que ce père de famille de 11 enfants aurait été « sacrifié pour la cause« . On comprend mal qu’une allusion aussi grave et précise, qui fait songer à l’époque stalinienne, se soit heurtée à un tel silence en Martinique. « Une histoire, poursuit le journaliste, que certains auraient probablement préféré oublier, ou, en tout cas, laisser dans les cartons des « secrets défenses », le temps, pour certains protagonistes de l’époque, de s’en aller en paix ». « C’est bien ce qu’il s’est passé », reconnaît un historien proche des protagonistes.

Dans toute autre démocratie, cette révélation serait cruelle pour les bénéficiaires de la classification SECRET-DEFENSE. Pas en Martinique, où l’histoire continue de s’écrire « à côté de l’Histoire » et leurs prescripteurs, honorés (Bloc-notes de Yves-Léopold Monthieux – Montraykreyol).

Fort-de-France, le 13 juin 2019

Yves-Léopold Monthieux