Des marionnettes. De la Chine et l’Occident

— Par Selim Lander —

Il y a des artistes que l’on a plaisir à revoir, tel Yeung Faï qui nous a déjà rendu visite en Martinique, il y a trois ans, et qui est revenu vers nous à l’occasion de la Ribotte des petits, le festival des enfants organisé par Tropiques Atrium en ce mois de décembre. Yeung Faï est sympathique, les jeux de son visage très expressif font aussi partie du spectacle mais celui-ci vaut avant tout pour la virtuosité du marionnettiste né à Hong-Kong. S’il nous est difficile d’en juger exactement – les marionnettistes qui se produisent en Europe utilisant d’autres techniques – nous croyons volontiers le programme qui le présente comme un « virtuose » de son art.

Si nous osions, nous hasarderions une comparaison entre l’Extrême-Orient et l’Occident. Chacun a désormais conscience que le centre de gravité du monde est en train de se déplacer à toute vitesse vers la Chine, laquelle fait ce qu’elle veut dans ce qu’elle estime son pré carré (voir ses implantations en mer de Chine du Sud, la « route de la soie », etc.), comme en Afrique, son nouveau terrain d’exercice, ce qui ne l’empêche pas d’avancer ses pions ailleurs (un seul exemple : les « châteaux » prestigieux du Bordelais), grâce à la formidable puissance financière acquise par des pratiques commerciales non-concurrentielles. Qu’est-ce que cela peut bien signifier sinon que les Chinois sont les meilleurs ? Les meilleurs pour jouer des rapports de force, certes, face au « ventre mou de l’Europe » et à celui guère moins mou des USA (qu’obtiendra Trump au-delà de ses rodomontades ?), mais cela ne suffit pas, il y faut encore l’application et, osons le mot, le talent.

Pourquoi cette digression ? Parce que si nos marionnettistes à nous sont créatifs, inventifs, capables de nous émouvoir[i], force est de reconnaître qu’ils ne font pas le poids, question technique, comparé aux Asiatiques. La virtuosité n’est pas (simplement) un don ; elle n’existe pas sans un énorme travail « derrière » (comme on dit – « devant » serait plus approprié). Cette même application, ce même sérieux dans l’apprentissage qui expliquent que les Chinois soient capables de dépasser les techniques occidentales qu’ils copient, et qu’ils raflent les premiers prix des concours de piano ou de violon, éclaire ce que virtuosité veut dire à propos d’un marionnettiste comme Yeung Faï.

Les enfants qui sont encore moins à même que nous d’évaluer ses prouesses techniques, prennent leur plaisir en regardant des combats où le gentil triomphe toujours (je coupe ici le développement sur la psyché des humains qui leur fait préférer le faible au fort dans leur « fort intérieur », alors même que beaucoup d’entre eux se montrent d’incontestables salauds dans la vrai vie). Pour l’adulte – enfin pour l’adulte pacifique – le Puppet show deviendrait vite fastidieux s’il n’y avait cette impressionnante virtuosité. Qu’on en juge : Le premier tableau présente la lutte entre une souris et un moustique qui l’empêche de dormir. Ensuite s’enchaînent les combats entre humains, guerriers ou … amoureux : il faut voir comment la jeune beauté renvoie dans les roses son vieil « amant » (à prendre au sens du XVIIe siècle ?) … avant de succomber (ouf ! pour les gérontes). Le spectacle se clôture sur un dernier combat, entre un tigre (heureuse diversion) et un homme, .

Peut-on revenir un instant à la comparaison entre la Chine et nous ? OK, les Chinois sont plus forts, ils sont en passe de devenir « l’hégémon ». Dont acte. Mais la technicité, la virtuosité ne sont pas tout. Dans le Puppet show, le spectateur adulte ne peut s’empêcher de trouver les duels bien répétitifs. Et nous avons remarqué que l’attention de certains enfants eux-mêmes avait tendance à se dissiper avant la fin d’un spectacle qui ne dure pourtant que trois quarts d’heure. Faut-il l’avouer ? Pour quelqu’un qui a déjà assisté à un spectacle de Yeung Faï, le premier tableau est de loin le plus séduisant : parce que le personnage de la souris est inédit, et parce que le duel entre icelle et le moustique n’est pas la simple répétition d’un combat de deux guerriers s’affrontant à coups de sabre ou de bâtons.

Le point fort du Puppet show, on l’a suffisamment dit, tient à la virtuosité du marionnettiste. Pour les exercices les plus difficiles l’artiste a besoin de ses cinq doigts pour animer une marionnette à gaine, (la tête et quatre membres) : on imagine la dextérité que cela suppose ! Cela explique au demeurant la petite taille de ces marionnettes qui doivent se mouvoir « comme les doigts de la main » (à ceci près que nous – commun des mortels – serions bien évidemment totalement incapables de nous servir de nos doigts comme le maître).

Il faut enfin signaler l’expressivité des visages des marionnettes – discernable malgré leur petite taille – et la somptuosité des costumes.

Précipitez-vous pour l’ultime séance, ce samedi 22 décembre à 18h à Basse-Pointe.

PS / Mauvaise éducation. Devant nous, jeudi dernier, deux mamans qui consultaient leurs téléphones portables pendant le spectacle. Faut-il s’étonner si leurs enfants se sont montrés les plus agités, ont demandé à sortir avant la fin, avant de revenir ?

 

[i] Je renvoie là-dessus à mon article précédent : https://mondesfrancophones.com/espaces/periples-des-arts/marionnettes-belges/