Confessions

confessions— Par Michèle Bigot —

Confessions
Texte de Kwanglim Kim
Mise en scène : Junho Choe
Festival d’Avignon off, Théâtre des Halles, juillet 2014

C’est une surprise et un éblouissement du festival off 2014. Une troupe qui nous vient de Corée, son metteur en scène, ses comédiens, comme l’auteur du texte de base. Difficile de parler d’une troupe et d’une pièce, au sens occidental du terme. C’est une proposition théâtrale très originale dans laquelle les comédiens (un homme, une femme), les musiciens, le scénographe ont toute latitude pour intervenir sur le texte à leur guise : retrancher, ajouter, changer. Chaque mise en scène est une véritable réécriture du texte, en fonction des variations interprétatives des uns et des autres. Tout se rejoue différemment en fonction du lieu de la représentation. Aujourd’hui en co-production avec le Théâtre des Halles, le spectacle fut joué naguère en Corée dans une école. Dans cette dernière représentation, le mur du fond prenait la place de ce qui est écran au théâtre des Halles. La scénographie s’adapte au lieu et à leur tour, les comédiens et le texte s’adaptent à la scénographie.
La base de la scénographie est simple : l’espace scénique est clos par un écran au fond et un jeu de quatre miroirs (et rideaux) mobiles sur les deux côtés. Deux chaises pour les comédiens.
Mais dans ce décor minimal c’est tout le cosmos qui s’invite grâce à la vidéo et à la bande son, fournissant de splendides images (en noir et blanc ou sépia) du firmament ou de la nature : cieux et arbres en mouvement. Voilà la toile de fond d’un questionnement métaphysique aux accents pascaliens : qu’est-ce que l’homme dans l’univers ?
Le texte s’ouvre et se fermera sur cette interrogation dans un effet de bouclage vertigineux. Et dans l’espace ainsi délimité va se dérouler sous nos yeux le drame violent de deux existences humaines. Ces vies vont se dévoiler à nous par le truchement de la confession : exercice de surenchère aussi factice que périlleux. La confession, comme nous l’ont appris Augustin et Rousseau est un jeu violent, impudique, qui n’épargne pas l’amour propre. L’homme et la femme avouent tous leurs forfaits, étalent leur turpitude jusqu’à l’insoutenable et dans un rythme effréné. Chaque forfaiture, chaque perfidie est mimée par l’acteur qui confesse, et cette surenchère d’aveux donne lieu à des convulsions comme si la confession entraînait tout le corps dans sa douloureuse gésine. Ce sont des corps tourmentés et trépidants qui se démènent sur scène, et le jeu des acteurs est époustouflant.
Et pourtant in fine chacun comprend que la confession, pour radicale qu’elle soit, est une imposture et les acteurs en viennent à constater qu’il y a toujours lieu de confesser une confession parce qu’elle est essentiellement une fourberie. Alors on confessera la confession de cette confession etc.
Dans ce recul à l’infini de la vérité de l’être, les comédiens constatent qu’il ne reste plus que la misère, la haine et la crainte de la mort. Voilà le socle sûr et certain de l’humaine condition. Le reste n’est que spectacle narcissique.
Pourtant, au dernier acte, un final délicieusement lyrique et apaisé nous offre le tableau d’une vieillesse sereine. Les deux acteurs devenus vieux se calment, ils sont assis en vis-à-vis, se contemplent mutuellement et découvrent alors in extremis avec émerveillement la beauté du monde. Décapés par la vie et l’exercice de la confession à outrance, par le remords et le regret, purgés de leur narcissisme, les humains dépossédés de tout sont rendus à la sagesse, au goût de la vie, à l’amour et à la beauté du monde. Le spectacle s’achève sur un lent départ des acteurs, d’abord lui, ensuite elle. Silence, rideau.

Avignon, 16/07/2014

Michèle Bigot