Cinéma : alerte écologique, voyous marseillais

— Par Selim Lander —

Décidément, les cinémas Madiana ont du mal à respecter leur programmation. Il semblerait qu’il n’y ait d’autre solution pour s’informer des films effectivement projetés que d’aller le jour-même sur le site du cinéma. Que font dans ce cas les malheureux privés d’internet ? Sans doute la direction du cinéma les tient-elle comme quantité négligeable, estimant que son public n’est constitué, « globalement », que de gens connectés, ce qui est probablement vrai, même dans notre Martinique au taux de chômage record (nous nous comptons personnellement parmi les quelques dinosaures non connectés en permanence promis à l’extinction prochaine). Tout cela pour dire que le film La Sapienza, prévu le 19 octobre, a été annulé sous prétexte de l’inauguration du cinéma rénové (comme si cette inauguration n’avait pas été planifiée à l’avance !) et que ce dimanche 21, c’est le film Girl qui a été déprogrammé au profit de Shéhérazade.

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La Terre vue du cœur

Titre mélo pour un film de propagande écologique mais passons, de même que nous passerons sur la présence d’Hubert Reeves en tête d’affiche, alors que sa prestation est bien moins intéressante que celle des chercheurs qui interviennent par ailleurs. Sans doute les auteurs de ce film québécois ont-ils pensé qu’il leur fallait une vedette médiatique comme ce M. Reeves pour mieux vendre leur film. Passons, parce que tout ce qui peut nous alerter sur l’urgence écologique est non seulement bienvenu mais nécessaire. Et il faut reconnaître que, en dehors de ce M. Reeves qui parade dans sa (superbe) ferme bourguignonne (jaloux, moi ? euh…), le propos est aussi percutant que pertinent.

Bien sûr, nous savons déjà tout cela, l’anthropocène, le nombre d’espèces vivante divisé par 2 – 2 ! – en un siècle, la banquise qui fond, les ours blancs qui s’en trouvent fort marris, les océans envahis par le plastique, les coraux qui blanchissent (… et meurent), la déforestation, la pollution atmosphérique et – cerise sur le gâteau omise dans le film (nous sommes trop petits !) le chlordécone –, nous le savons mais nous n’agissons que de manière dérisoire avec notre tri des déchets. Les Martiniquais victimes de tant de crimes passés ont-ils au moins conscience de leurs crimes présents contre la planète et donc, plus clairement, contre les générations futures ? Juste un chiffre (non cité » dans le film) pour éclairer leur lanterne : le Métropolitain moyen « produit » en moyenne 5 tonnes de CO2 par jour (on ne connaît pas le chiffre pour le Martiniquais). Or un seul vol transatlantique produit à lui seul 1 million de tonnes de CO2 par passager. Et nous, Martiniquais, les vols transatlantiques, on connaît bien ça, non ? Quant aux bagnoles…

Tout ça pour dire que les malheurs des ours blancs nous concernent davantage que nous ne voudrions le croire : nous y contribuons nous aussi, sans trop nous poser de questions. Alors vive ce film malgré certaines images vues mille fois et le trop satisfait M. Reeves ! Nous en retiendrons trois intervenants. D’abord une Indienne (Peau-rouge), biologiste dans le parc Adirondack (USA) qui convoie toute la sagesse de son peuple en communion avec la nature (son mantra : « attention, intention, action »). Ensuite ce Québécois adepte de la permaculture qui explique comment il est possible de produire nos aliments en laissant simplement faire la nature (c.à.d. en favorisant un biotope combinant tous les éléments nécessaires, en partant du vers de terre, pour que les pommes (ou autres) dont nous nous nourrissons n’aient plus qu’à être cueillies, sans autre intervention humaine (donc sans aucune « chimie »), grâce aux plantes vivaces, aux insectes et autres oiseaux vivant en symbiose. Et pour finir ce jeune activiste qui poursuit le gouvernement américain pour crime contre la planète et contre l’humanité dont elle est le berceau : est-il besoin de préciser que le gouvernement français et l’exécutif de la CTM ne sont pas exempts de ce crime ?

Shéhérazade

Après le choc provoqué par La Terre vient du ciel (car il est toujours douloureux d’être mis en face de ses responsabilités), les cinémas Madiana (ou Tropiques Atrium ?) nous ont offert une autre sorte de choc (d’ennui en l’occurrence) avec Shéhérazade, « film de voyous » typique, signé par Jean-Bernard Marlin et situé dans l’univers des jeunes délinquants marseillais. C’est l’histoire de Zach, le rebelle incontrôlable et de Shéhérazade la belle prostituée, enfin « histoire » est un bien grand mot car nous sommes là proche du degré zéro du scénario, le film tenant davantage du docu-fiction raté que de la peinture d’une tragique histoire d’amour. Bien que le montage soit haché comme dans les séries télévisées, le film traîne en longueur, les séquences sont répétitives ou vides de sens. On ne croit pas une minute à l’ascension météorique de Zach dans l’univers des proxénètes et l’on prévoit trop facilement sa chute (qui sera suivie de l’annonce moralisatrice d’une rédemption).

On aimerait néanmoins se trouver dans la tête des spectateurs qui ont aimé le film et je m’adresse ici à eux : puisque Madinin-art est ouvert à des opinions divergentes, il serait certainement intéressant d’ouvrir un débat à propos d’un film comme Shéhérazade. Ce n’est pas parce que la peinture « brut de décoffrage » des petits bandits et des péripatéticiennes (avec quelques séquences dans le monde de la justice et des foyers pour jeunes délinquants) ne m’a pas passionné longtemps qu’elle n’est pas apparue à d’autres comme une plongée fascinante dans un univers exotique et violent. Pourquoi ne l’expliqueraient-ils pas aux lecteurs de Madinin-art ?