« À chacun son big-bang… » de Jean-Robert Léonidas

Un regard neuf 5 ans après

— Par Hélène Tirole*

J’ai été frappée par le roman de Jean-Robert Léonidas À chacun son big-bang publié par les éditions Zellige, Seine-et-Marne, France.

Ancien professeur de médecine et à New York, Jean Robert Léonidas décide en 2008 de « quitter son exigeante épouse, la médecine, et de s’attacher à sa douce maîtresse, la littérature ».

Écrivain, poète, romancier, il enseigne la langue française, donne des conférences. Il en est maintenant à son dixième ouvrage, outre de nombreux articles publiés seul ou en collectif.

À la lecture de À chacun son Big-Bang, on comprend sans peine qu’il soit considéré comme une grande plume de la littérature francophone contemporaine.

Car Jean Robert Léonidas ne s’est pas contenté d’un simple roman biographique, reflétant une quête identitaire. En illustrant les mémoires d’un grand père dont la vie a été faite de migrations, voyages, rencontres et drame, Jean-Robert Léonidas contemple, réfléchit, analyse; Sur plusieurs échelons superposés.

« Nous devons plus à nos hésitations et à nos doutes qu’à nos certitudes lorsque il s’agit de résumer une vie », explique-t-il. « Si tout était parfait, accompli, le monde serait figé, insipide. Et toute forme d’art, y compris la littérature, n’aurait point sa raison d’être. (…) L’imperfection, l’inachèvement, le manque, les trous noirs, les chocs (…) conduisent à inventer quelques molécules de lumière… Le besoin crée l’invention et l’imagination. Toute la beauté, tout le roman de l’existence se construisent autour du manque, et de l’absence… »

Ses personnages centraux sont des êtres d’une stature qui frise la légende. Mompela, Bonogreco, une petite fille qui écoute avec avidité les récits de son grand-père – et qui les retranscrit…

« Je relis les phrases – dit la petite fille – Je fais parler les mots qui n’étaient que des sons et qui reprennent vie avec un peu de sens…Des ambitions, des envies, des regrets, des soupirs, des demi-soupirs…des malheurs, des moments d’espérance (…) dans cette phrase démesurément longue qui ambitionne de contenir la vie, qui tente désespérément de la résumer, car la phrase, c’est comme une histoire inachevée, bridée, frappée d’un excès de concision, la phrase c’est comme un récit, d’ailleurs dans ma culture créole, au niveau de ma langue qui perpétue la richesse des images dans le creuset de ce coin du monde, au niveau de notre discours tropical et bouillonnant, une phrase prend audacieusement la valeur d’un récit… »

Son grand-père, baptisé Monpela par le missionnaire (Bonogreco) qui le recueille, est transformé en héros le jour où il sauve la vie de son presque « père adoptif », ami de grand cœur, dont il suivra la destinée jusqu’au bout de sa vie.

Le nom de Monpela aura été habillé en Monpelas Themistocle, puis allongé en Monpelas Themistocle Leonidas, au fur et à mesure du parcours de cet être de grandeur d’âme, de sagesse et de courage. L’auteur nous invite ainsi subrepticement à nous interroger sur l’évolution des patronymes, comme celle des migrations de vie… qui semblent affranchir et dénommer nos existences.

Bonogreco, bourlingueur, de Naples à Rome, de Suisse en Belgique, ayant abouti comme missionnaire en Afrique, a donc pris sous son aile l’enfant du séisme de Monpela; qu’il baptisera ainsi du nom de son village. Avec Monpela, Bonogreco rentrera par la suite dans sa Grèce natale voulant aussi « habiter la langue française »…

Cette langue française, dont l’auteur nous dira encore :

La langue est une clôture plus efficace que les murs. On grimpe les murs en un rien de temps. On ne maîtrise pas une langue à la six quatre deux, à la hussarde. Elle vous fait la cour. Elle prend son temps, vous chuchote des mots doux, des sons en demi-teinte, des paroles confuses. Elle vous étonne, vous ment, vous présente de faux amis, vous fait peur, vous fait pleurer. Puis un beau jour, elle vous accepte, vous embrasse, prend langue avec vous, vous passe une corde au cou, un licou, vous maîtrise comme un oiseau domestiqué, une poule de maison attachée au pied de la table…

Si vous aimez les effets multidimensionnels procurés par les hologrammes, vous vous régalerez à la lecture de À chacun son Big bang, de Jean-Robert Léonidas.

N.B. L’écrivain haïtien Jean-Robert Léonidas vient de faire paraître chez le même éditeur Retour à Gygès, 2017, un très beau roman où se croisent l’exotisme des tropiques, la douleur de l’exil, les amours impossibles d’une jeune femme et le mysticisme des rites vaudou, avec comme point d’orgue le dévoilement de secrets inavouables…

En outre, il prépare avec Hélène Tirole un travail à quatre mains, des chroniques qui sont des réflexions croisées sur « L’impertinence des mots » à paraître dans un proche avenir.

*Hélène Tirole, animatrice littéraire a été médaillée par L’Assemblée Nationale du Québec et faite Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres en France. Elle est fondatrice et présidente de l’Association Le mot dans tous ses arts à Paris.