Réflexions de Georges Dorion sur la situation de la Martinique

Ce qui suit est un extrait de la lettre datée du mois de janvier 2019 de Georges Dorion, haut-fonctionnaire de l’Etat à un homme politique martiniquais qui lui est proche. Ce Martiniquais, ancien élève de l’ENA et Inspecteur général des affaires sociales honoraire (IGAS), jette un regard éclairé sur l’évolution de la Martinique à partir des années 1950.
Hormis quelques années de coopération passées au Sénégal, Georges Dorion a passé l’essentiel de sa carrière dans les services centraux de l’Etat. Certaines des fonctions qu’il a exercées se situaient dans l’international, et concernaient les pays du Maghreb, certains pays d’Afrique noire, certains pays de l’Est de l’Europe, le Québec… En outre, en tant qu’inspecteur général (IGAS), il a eu pendant plus de dix ans entre autres fonctions la charge de parcourir très régulièrement l’ensemble de l’Outre-mer français. S’agissant des DOM, il y a effectué essentiellement des missions de conseil et de contrôle d’administrations publiques, parapubliques, voire privées. Ces missions s’étendaient à deux collectivités sui generis, Saint Pierre et Miquelon, et Mayotte (qui n’était pas encore un DOM). Les missions dans les TOM, dont le système statutaire repose sur le principe d’autonomie, étaient des missions d’audit et surtout de propositions, notamment en Nouvelle Calédonie, en Polynésie française, à Wallis et Futuna… Le regard porté sur ces territoires a porté, par nécessité, sur tous les aspects de leur fonctionnement. Après sa vie active il a longtemps présidé le CASODOM, la plus ancienne association d’ultramarins en Métropole : à ce titre il a mis en place plusieurs actions améliorant leur insertion, notamment l’opération dite des « Talents de l’Outre-mer », qui se continue, et dont le but est de mettre en valeur des parcours exemplaires.
 
(Extraits du courrier adressé par Georges Dorion à un homme politique Martiniquais qui lui est proche).
 
Janvier 2019
 
(….) je t’envoie ce message qui porte sur mes sujets favoris parce que selon moi la situation de la Martinique telle qu’elle est mérite qu’on s’en soucie avec quelque gravité.
Après avoir dressé un rapide tableau je vais tenter une suggestion qui te solliciterait un peu.
S’il apparait clairement, à mes yeux, que la situation de notre pays appelle un redressement c’est parce qu’il est décidément très éloigné d’un fonctionnement efficace et que les signaux lui sont généralement défavorables dans l’analyse comparée – à laquelle nous ne pouvons pas échapper – de la situation des composantes du bloc des « DOM » auquel nous appartenons, ce bloc qu’on appelait les « Quatre Vieilles ». (J’écris DOM pour faire simple).
Ces « Quatre Vieilles » ont eu en effet une histoire institutionnelle commune. Après la dernière guerre, la Martinique était parmi les membres de ce groupe très favorisée dans tous les domaines : cela venait de l’histoire et peut-être aussi de la confiance qu’elle avait en elle-même. Sa prééminence était culturelle, administrative, économique… : cela n’était pas forcément du goût de ses voisins des Antilles-Guyane, qui le lui faisaient bien comprendre mais c’était ce qu’on pouvait constater au moment de la création des DOM. Le Martiniquais jouissait réellement d’une position gratifiante, ce qui le faisait juger prétentieux voire arrogant. La position favorable de notre pays sur cette ligne de départ peut se vérifier très facilement dans l’ordre économique. Il suffit de comparer les indices du niveau de vie – les PIB par habitant par exemple dans le jargon technocratique – pour en être convaincu : tous les DOM à l’époque étaient loin derrière la Martinique. On peut donc comprendre que cette position ait eu vocation à être contestée et secouée.
A partir de là chaque territoire a suivi le chemin qui lui est propre, conforme à son génie et à la vision de ses chefs.
Mettons de côté la Guyane, qui est vraiment un cas à part. Ses potentialités, résultant d’une dimension géographique et de ressources généreuses, sont sans comparaison avec celles des autres. Son talon d’Achille, ce sont justement les conséquences de ces potentialités, en particulier la difficulté de maitriser cette géographie et le caractère débridé et incontrôlable de son attractivité démographique, attractivité plus motivée aujourd’hui par la recherche d’avantages sociaux que par la volonté de participer aux efforts (28.000 habitants en 1954, 260.000 en 2015).
Elle dispose d’atouts considérables, notamment la présence du CNES sur son sol ; elle ne laisse pourtant pas de montrer une grande fragilité. Paradoxalement ses problèmes sont peut-être plus difficiles à surmonter que ceux des autres DOM ; ils sont sans aucun doute d’une nature différente.
La comparaison est plus parlante avec les 2 autres DOM insulaires, Réunion et Guadeloupe.
La Réunion fait partie du groupe des Quatre mais elle a toujours voulu, d’un bout à l’autre de son échiquier politique, se démarquer des entreprises qu’elle a toujours jugée aventureuses des Antillais, surtout des Martiniquais, au point d’obtenir de se désolidariser constitutionnellement des autres DOM. Moquée au début pour son état de dépendance comparativement à sa voisine, à savoir l’île Maurice elle-même indépendante et affirmant sa fierté de l’être, elle a tracé son chemin sans remettre en question sa place dans l’ensemble français : sans hésitation et sans complexes. Son credo c’est fortifier sa puissance par des actions majeures avec le concours du soutien national ; ce soutien, elle en a bénéficié très largement en se donnant comme député un homme hyper-influent de la Métropole (question de sémantique mise à part sur ce mot !) puisqu’il était Premier Ministre. Ses objectifs sont concrets : c’est assurer sa prospérité notamment par des travaux conséquents nécessitant des financements importants, voire hors norme, c’est s’efforcer d’assigner au corps social des ambitions fortes, comme par exemple la suffisance énergétique à terme relativement rapproché alors qu’elle n’a pas de pétrole…
Elle a ses problèmes sociaux et démographiques voire raciaux, ainsi que les poussées de fièvre qui vont avec, mais sa ligne de conduite reste ferme. Elle veut se développer telle qu’elle est dans l’ensemble français, en tirant le maximum de profit de cette appartenance. On peut en penser ce qu’on veut mais c’est un choix résolu qu’elle assume et dont elle n’a pas dévié. Sans porter de jugement de valeur on doit admettre par l’observation des résultats, qui seuls comptent, qu’elle a rattrapé un retard qui était important par rapport à la Martinique.
La Guadeloupe a eu un parcours différent, plus turbulent et moins rectiligne. Il faut distinguer en gros deux périodes, celle d’avant Madame Michaux Chevry et celle d’après. On n’oublie pas que notre île-sœur a été un moment beaucoup plus radicale dans son opposition à la l’Etat français que la Martinique : contrairement à nous elle s’est même livrée à des attentats de type terroriste, donnant d’ailleurs un bel exemple d’arroseur arrosé en ayant sacrifié un de ses artificiers assez inexpérimenté pour devenir la victime de la détonation qu’il a lui-même déclenchée.
Mais c’est semble-t-il pour de bon qu’elle a pris son tournant puisque, mandature après mandature, la méfiance du pouvoir politique local à l’égard du pouvoir central français a considérablement reculé. Ainsi la présence guadeloupéenne se manifeste partout au niveau national, ce qui a fini par faire progressivement de la Guadeloupe l’interlocuteur très privilégié des institutions nationales pour les Antilles.
Quel est son objectif ? Il est clair à mes yeux : c’est se substituer à la prééminence passée de la Martinique, dominer le monde antillais, quitte à bousculer s’il le faut une Martinique à la défense amoindrie, qui ne compte par conséquent pas autant qu’elle en influence. Et elle démontre qu’elle en a les moyens en s’appropriant méthodiquement les plus importantes infrastructures régionales.
C’est cela qu’il faudrait selon moi regarder en face. Ce qui caractérise en effet désormais les rapports entre les deux îles ce n’est pas une saine émulation, c’est la volonté ouverte de l’une de dominer l’autre. Et la Martinique n’a pas le beau rôle. Or on constate que cette réalité, il est vrai peu gratifiante pour les Martiniquais, est soigneusement mise sous le tapis.
Ce n’est pas un sentiment d’hostilité envers nos voisins qui me pousse à dire cela, très loin s’en faut ; c’est le souci de réalité.
Je dois à cet égard préciser, pour écarter toute suspicion, que dans mon long parcours tant professionnel qu’associatif je me suis trouvé fréquemment confronté au monde des quatre DOM. Au plan professionnel j’ai eu pendant plusieurs années en charge des fonctions d’audit et de contrôle des 4 DOM dans la sphère de compétence qui était la mienne. Au plan associatif j’ai assumé la présidence d’une grande association couvrant tous les ultramarins de la Métropole et recevant pour ce faire des fonds aussi bien de l’Etat que des collectivités et autres institutions ultramarines privées ou publiques. Je n’aurais pas pu exercer sereinement mes missions si j’avais été tenté par des attitudes chauvines. J’ai donc toujours été étranger à ces tentations, mais cela ne m’a pas empêché d’avoir des yeux pour voir et des oreilles pour entendre. De sorte que – entre parenthèses – je n’ai pas du tout été étonné du dérapage d’une ministre guadeloupéenne de la France exprimant sans retenue ni précaution sa préférence pour les intérêts de la Guadeloupe au détriment de notre pays dans le traitement d’une affaire majeure de sa compétence.
Dans le même temps on continue à laisser prospérer l’idée fictive selon laquelle les Martiniquais restent prétentieux et dominateurs, ceci pour rendre légitimes a priori les actions visant à réduire leur puissance supposée. (Cette idée s’appuie à mon avis sur des causes anciennes liées à une certaine prééminence martiniquaise passée bien réelle, sur des causes actuelles résultant à la fois de la rémanence des causes anciennes et de certaines réactions liées à la présence dans l’économie guadeloupéenne de capitaux martiniquais importants.)
La prééminence martiniquaise a donc existé : on se souvient qu’autrefois quand on égrainait les noms des quatre DOM on commençait toujours par la Martinique, au grand dam de l’ordre alphabétique. Mais aujourd’hui c’est bien le contraire qu’on voit. Le PIB par habitant de la Martinique tient encore puisque les autres l’ont seulement rattrapé et pour l’heure pas dépassé. Mais dans ces matières il faut toujours regarder les choses dans leur dynamique et constater que, dans la durée, d’une part notre pays est par rapport aux autres sur une courbe descendante, d’autre part que le taux de pauvreté du Martiniquais semble d’ores et déjà plus défavorable que celui du Guadeloupéen.
De sorte que les Martiniquais se sont trouvés de manière de plus en plus injustifiée dans la situation du compétiteur à combattre par tous les moyens sans qu’il se donne les moyens de réagir.
Venons-en donc à ce que fait la Martinique comparativement aux autres DOM.
Pendant que Réunion et Guadeloupe se sont acharnés essentiellement à défendre pied à pied leurs intérêts tangibles, grâce à leur entregent et au ciblage de projets conséquents pour leurs pays, la Martinique s’est volontiers située ailleurs, sur des combats plus conceptuels, plus idéologiques (ce qui d’ailleurs pourrait n’être pas pour rien dans l’impression de prétention et de suffisance qu’elle inspire). Certes, heureusement, ils n’ont pas fait que cela, mais la préoccupation principale et continue des leaders martiniquais a été prioritairement de chercher à mettre à leur main la Constitution française, tâche harassante, et ingrate parce que passablement infructueuse par rapport aux objectifs déclarés. Leur obsession c’est de marquer à la culotte les initiatives gouvernementales, y compris celles qui ne concernent pas directement le pays, c’est faire trembler les tribunes nationales et locales de leurs déclamations, de leurs vitupérations, de leurs exigences… toutes choses peu payantes voire contreproductives au regard des intérêts concrets du pays.
Pendant ce temps-là par conséquent les parts de marché de la Martinique se sont progressivement dégonflées par rapport à d’autres qui s’en frottent les mains.
Quelques rappels montrent bien la pente que nous suivons.
La maîtrise de l’aéronautique régionale Antilles-Guyane se situait à la Martinique ; elle l’a perdue dans les années 60 parce que la piste de l’aérodrome du Lamentin était trop courte. La défense politique martiniquaise, déjà en voie d’amollissement, n’a pas su résister à la pression de l’île-sœur qui excipait d’une topographie plus favorable. La direction régionale d’Air France alors toute puissante a donc déménagé. Pourtant il a suffi de raser un mamelon en bout de cette piste pour que, un peu plus tard, les avions à réaction puissent se poser chez nous.
Le premier embryon d’université a été créé très tôt sut l’initiative de La Martinique. Il s’est transformé en une Université Antilles-Guyane, implantée à Schoelcher. La Guadeloupe entrée dans la compétition a créé son pôle comme c’était son droit. Récemment la Guyane a pris ses distances grâce à l’appui d’une Guyanaise, figure nationale de premier plan sachant se servir avec tonitruance de son influence aux plus hauts niveaux. La Martinique a pris prioritairement les Lettres ; la Guadeloupe a pris prioritairement les sciences et la médecine. Les moyens financiers de l’université guadeloupéenne, qui-rappelons-le viennent essentiellement de l’Etat, sont aujourd’hui beaucoup plus élevés que ceux de l’université martiniquaise. L’université guadeloupéenne ambitionne d’assurer le cursus complet de la formation des médecins. Les jeunes Martiniquais iront dans l’île voisine pour leur formation. L’actualité permet de voir crûment qui est devenu le dominant dans ce domaine.
La Martinique, encore sur la lancée d’une influence politico-administrative forte, avait créé l’hôpital de La Meynard dont la renommée couvrait toute la région caraïbe. Une administration de l’hôpital durablement médiocre, associée à une efficience syndicale à tout péter, et voilà ce joyau mis à mal. La Guadeloupe qui sait saisir toutes les opportunités et dont on sait qu’elle ne manque pas d’influence, est en train de construire un nouvel hôpital avec des moyens financiers faramineux provenant de l’Etat, de l’Union européenne, de la région… Elle saura éclipser l’hôpital de La Meynard déjà considéré et traité comme un has been. Ce nouvel hôpital prendra la place de La Meynard comme argument touristique régional. Quant au pied de nez du cyclotron il a ajouté une note de ridicule à la défaite annoncée de notre pays sur ce chapitre. Les malades de la Martinique vont aller y chercher les soins faisant appel à des technologies pointues.
Après l’aéroport, le port. Comme on sait l’élargissement du canal de Panama va générer un trafic nouveau et important nécessitant des ports en eau profonde dans la Caraïbe. Les avantages de la Martinique à cet égard sont écrasants puisque le tirant d’eau des équipements portuaires disponibles est par chance suffisant pour recevoir les cargos à moindre coût d’investissement. La Guadeloupe, qui est dépourvue du même atout, entend malgré tout ne subir aucun désavantage par rapport à la Martinique, le fait savoir avec autorité et fait jouer son influence pour obtenir de considérables crédits, européens et nationaux en vue du dragage de ses fonds marins. La Martinique ne gagnera pas non plus sur ce tableau.
J’aurais pu citer d’autres exemples pour illustrer la perte d’influence de la Martinique, tant au niveau national qu’au niveau européen. Cela est d’autant plus incompréhensible que sa relation institutionnelle avec l’Etat n’a changé en rien, en dépit de ce que laissent entendre certains politologues complaisants. Elle est en effet à très peu de choses près sous l’empire du même dispositif institutionnel, législatif et réglementaire que les autres « Vieilles ». Son statut ne diffère de celui de la Réunion, par exemple, que sur des détails. Il n’a donc servi à rien de concret, au moins jusqu’à ce jour, d’avoir visé avec constance d’autres objectifs. En revanche on voit bien quels dommages résultent des conséquences des longs atermoiements de la Martinique. Si en effet elle a aussi peu d’influence c’est qu’elle est conduite mécaniquement à se mettre en marge, hors de toute pénétration des arcanes du gouvernement, et de la haute administration en particulier. Par principe elle se tient volontairement à l’écart, en s’étant installé dans un long défi politique qui s’enorgueillit de ne participer que du bout des doigts aux actions nationales. En conséquence de quoi elle se trouve en aval des processus de décision ; et pendant ce temps-là les autres qui ont bien compris les enjeux ne se gênent pas pour se servir les meilleures parts.
L’autre conséquence de cette distanciation c’est que la représentation politique martiniquaise, centrée sur ses combats intérieurs, ne s’intéresse que très peu au sort des ultramarins en Métropole, qui sont pourtant une richesse dont il est maladroit de se couper. Pourtant les Martiniquais ont été les premiers, même avant-guerre, à pratiquer une migration conséquente. Au contraire les Réunionnais non seulement acceptent, mais aussi assument et organisent la migration en ayant créé une structure importante, financée par des fonds réunionnais, pour donner des repères et du soutien à leurs migrants en Métropole ; quant aux Guadeloupéens, ils font tout aujourd’hui pour ne pas perdre de vue leurs ouailles ultramarines, en les accompagnant de mille façons, en leur trouvant des débouchés quitte à chasser au besoin des Martiniquais de leurs positions. Il est facile de voir le résultat : les Martiniquais ne sont plus guère visibles aux postes de responsabilité dans le monde ultramarin ; en revanche les cadres guadeloupéens sont boostés partout, dans la sphère privée comme dans les occupations publiques. Il n’est pas jusqu’au spectacle qu’offre la foire de Paris qui ne démontre la difficulté martiniquaise : les stands de la Réunion, de la Guadeloupe et de la Guyane sont des monuments flamboyants qu’on ne peut pas ne pas voir ; le stand martiniquais peu visible dans son recoin fait l’effet d’une cabane et ne donne qu’une envie : raser les murs.
Je ne peux pas clore cette litanie sans parler de l’occasion perdue de la « Route du Rhum ». Les conséquences aujourd’hui et à terme sont considérables tant pour l’économie générale, que pour la fierté du pays, et surtout pour son image dont on connait l’importance dans le domaine du tourisme. On ne peut vraiment pas comprendre le manque absolu de vision qui a conduit à refuser l’offre d’Eric Tabarly. Il y tenait pourtant ; son épouse Martiniquaise aussi. La beauté de la baie de Fort de France lui paraissait être un atout majeur, pour un spectacle grandiose inégalable dans la Caraïbe. Son offre a été refusée. On ne connait pas les raisons et les circonstances de ce refus peu glorieux, ce qui n’est pas juste.
Il convient d’observer que tous ces évènements illustrent le désavantage grandissant de la Martinique par rapport à la Guadeloupe, qu’elle trouve toujours en face d’elle. Celle-ci n’hésite plus à agir à visage découvert, consciente de la force qu’elle a acquise. On ne peut pas le lui reprocher puisque les portes lui ont été ouvertes. Une réaction martiniquaise pour sauver ce qui l’être serait de la plus grande utilité.
Après ces développements sur mes thèmes favoris (merci d’excuser mes éventuelles erreurs ou approximations n’entachant pas l’essentiel), je voudrais émettre en résumé quelques conclusions débouchant sur une suggestion :
– Notre pays est sur une pente risquant d’être de plus en plus défavorable.
– Ses leaders posent régulièrement le problème de son positionnement institutionnel, mais tout laisse à penser qu’il ne sortira pas avant longtemps du système français dans son format actuel.
– La Martinique trouve régulièrement son île-sœur sur sa route. Celle-ci lui livre une concurrence visant à la domination.
– Cette île-sœur occupe une place dans l’ensemble français qui facilite, voire autorise, cette domination.
– La Martinique n’a pas intérêt à encaisser les coups sans broncher. Elle doit au contraire montrer clairement et avec détermination qu’elle a compris ce qui se passe à son détriment. C’est à la fois son intérêt et une question d’honneur.
– Face à un Etat qui ne se laissera pas entrainer dans le saupoudrage, la concurrente pourrait avoir de plus en plus, comme on peut déjà le percevoir, un avantage risquant de faire de la Martinique son satellite.
– C’est la Martinique elle-même qui a facilité cette évolution en s’étant fragilisée par l’ardente fixation d’un cap institutionnel qu’elle s’est révélée incapable d’atteindre : ce faisant elle a consacré beaucoup de temps à donner la priorité à des désirs politico- idéologiques sur la résolution des problèmes concrets et immédiats, oubliant que ceux-ci constituent la vocation première de ce qu’elle est encore, c’est-à-dire une circonscription administrative décentralisée aux pouvoirs larges mais précisément définis.
– Son choix l’a conduit à déserter les lieux où se prennent les décisions courantes essentielles, c’est-à-dire au niveau de l’Etat. En conséquence de quoi les autres DOM ont occupé une place prépondérante à son détriment.
– La question aujourd’hui est de savoir comment la Martinique, les choses étant ce qu’elles sont, pourra, pour freiner les dommages qu’elle subit, retrouver sa place et s’impliquer dans le processus des décisions qui la concernent.
– L’orgueil des Martiniquais est mis à mal parce qu’ils sont objectivement floués.
– C’est un nouveau cours, porteur d’un nouveau courant de pensée, qui devrait permettre de sauver ce qui peut l’être et redonner au pays les chances auxquelles il a droit.
Ce nouveau cours peut passer par une prise de conscience qui, en cette période de débat national, devrait être hissée au-dessus des débats politiques ordinaires.
Il me semble en effet que ce nouveau cours devrait viser à forger en la décomplexant une nouvelle relation institutionnelle correspondant au positionnement réel du pays, et non à celui à venir qui peut toujours conserver son statut de promesse. Un moratoire d’un nouveau type en quelque sorte.
Ainsi la Martinique pourrait quitter le strapontin qu’elle occupe aujourd’hui dans le concert des Quatre vieilles pour se saisir du fauteuil d’orchestre auquel elle a droit, comme les autres.
Le problème est de savoir comment y parvenir. Il me semble – et c’est là ma suggestion – que l’influence que quelqu’un de ton acabit peut avoir en tant que référence intellectuelle retirée des affaires, renforcée par le recul et une riche expérience, pourrait permettre d’une part d’apporter aux Martiniquais la compréhension de ce qui leur arrive et, d’autre part de les aider à rechercher une nouvelle piste. Avec le concours d’autres personnes ouvertes et dans le coup, comme les frères C…. par exemple, d’autres personnes encore de tous bords… l’instillation d’une nouvelle manière, pragmatique celle-là, d’aborder les sujets concrets que j’ai évoqués pourrait alors imprégner notre société. Il s’agit donc de générer l’amorce d’une nouvelle approche.
Je ne sous-estime pas la difficulté de mise en œuvre de cette suggestion : elle n’est d’ailleurs qu’une ébauche qui mériterait encore d’être creusée. D’autres suggestions sont possibles mais je suis mal placé pour les envisager.
La Martinique ne pourra pas continuer sur son erre, car elle faiblit.
Et si les gens en place en avaient conscience ? Et s’ils étaient demandeurs d’une porte de sortie ?
C’est à voir.

Source : ContreChroniques
Page d’informations N° 19 d’Yves-Léopold MONTHIEUX