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« La Question » texte de Henri Alleg, m.e.s. Laurent Meininger avec Stanislas Nordey

— Par Michèle Bigot —

Le texte de Henri alleg a été écrit en 1957. Ce n’est pas une fiction, c’est le témoignage sans concession de ce que son auteur a subi en fait de torture. Nous sommes en pleine guerre d’Algérie. Henri Alleg est arrêté en même temps que Georges Hadjadj et Maurice Audin. Les trois militants seront torturés impitoyablement et Maurice Audin mourra sous les coups. Henri Alleg résiste à un traitement dont la barbarie est sans égale. Miraculeusement il s’en sort vivant et décide de raconter par le menu les tortures qu’il a subies. Il écrit pour les autres, pour tous ceux qui sont morts sous les coups et pour alerter l’opinion, conformément à son éthique de journaliste. Jérôme Lindon décide courageusement d’éditer ce texte aux éditions de Minuit. Le texte fut écrit par morceaux sur du papier toilette que la femme d’Henri Alleg sortait clandestinement. Alors que les tortionnaires ont tous été amnistiés, Henri Alleg a continué à être inquiété. L’État français lui a longtemps gardé rancune d’avoir raconté ce dont ses sbires étaient capables et il commence à peine à reconnaître sa responsabilité.

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« Par la racine », le dernier roman de Gérald Tenenbaum

— Par Michèle Bigot —

Par la racine, le dernier roman de Gérald Tenenbaum s’ouvre sur la tempête de décembre 1999 accompagnée de la mélodie des Neuf airs allemands de Haendel et se clôt sur l’Adagio pour cordes de Samuel Barber, la première scène annonçant la mort du père, Baruch, la dernière étant consacrée à l’inhumation de la boîte contenant le legs du père à ses enfants. La boucle est bouclée, comme le veut la machine romanesque dont la circularité est un mode essentiel de fonctionnement.

Revenons au début. C’est le fils cadet, Samuel qui est désigné par le père comme héritier de sa mémoire, en ce qu’il fait profession d’écrivain biographe. A ceci près que les biographies qu’il rédige sont imaginaires. A la mort de Baruch, le personnel de l’EHPAD remet à Samuel Une boîte en carton contenant les objets et documents épars, assortie d’une note manuscrite énonçant: « Pour Samuel, quand le temps sera venu. »

Au nombre des documents se trouve un papier mentionnant les coordonnées d’une certaine Luce, bibliothécaire de Troyes, responsable du centre Rachi, talmudiste médiéval.

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Avignon 2022: récapitulatif des comptes-rendus de spectacles

Avignon 2022 : « Le Septième jour », texte Yu Hua adaptation et m.e.s. de Meng Jinghui

— Par Michèle Bigot —

Le spectacle mis en scène par Meng Jinghui est adapté du roman Le septième jour de Yu Hua, publié en France chez Actes Sud en 2014. En France, Yu Hua s’est fait connaître du grand public par l’adaptation au cinéma de son deuxième roman Vivre! par Zhang Yimou.

Le roman est inspiré du mythe de la création du monde, à ceci près que les sept jours en question ne sont pas ceux de la création mais au contraire, les sept premiers jours de Yang Fei dans les enfers, (ou ce qui leur ressemble) après sa mort brutale dans une explosion. L’adaptation qu’en fait Meng Jinghui est fidèle au sujet du roman et à son esprit. On y retrouve une sorte de relecture des mythes essentiels de la culture occidentale, une paraphrase de la Divine comédie mais aussi les visions du monde infernal qui viennent à Ulysse, lors de la Nekuia au chant XI de l’Odyssée et encore plus la catabase d’Enée à la recherche de l’âme de son père, aidé dans cette quête par la Sybylle de Cumes.

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Avignon 2022 : « Le Sel », texte de Karima El Kharraze & Christelle Harbonn, m.e.s. de Christelle Harbonn

Par Michèle Bigot

Ce spectacle en français, hébreu et arabe surtitré est intitulé Le sel, « le Mellah » en arabe et en hébreu, parce que ce nom représente le symbole de l’amitié, le sel étant l’aliment essentiel que partagent les vrais amis. C’est donc l’histoire d’une amitié recherchée, au-delà des diaspora qui dispersent les voisins d’autrefois. C’est ainsi que nous est contée l’histoire de la diaspora des Juifs du Maroc sur plus d’un siècle, de 1890 à 2020. Une histoire qui commence dans le quartier juif de Marrakech, justement nommé le Mellah, pour aboutir en France en 2020. Et c’est à un va-et-vient entre les deux lieux et les deux temporalités que nous invite l’histoire.

En 1980 à Marrakech, Ephraïm et Efrat vont se voir séparés par le désir d’Efrat d’aller étudier en terre sainte pour devenir rabbin. Et en 2022, Jésus (ironie du prénom!) l’arrière petit fils d’Efrat, rêvant d’adopter un enfant pour fonder une famille avec son compagnon, part pour enquêter sur une légende aux termes de laquelle son aïeul Ephrat aurait voyagé de Marrakech à Jerusalemn sur un âne pour mener à bien ses études bibliques.

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Avignon 2022 : « Iphigénie » de Tiago Rodrigues, m.e.s. d’Anne Théron

— Par Michèle Bigot —

Iphigénie est le premier volet d’un trilogie écrite par Tiago Rodrigues, Iphigénie, Agamemnon, Electre, mise en scène avec la troupe du Théâtre National Dona Maria II, dont Tiago Rodrigues fut nommé directeur en 2014. Ce texte a été découvert par Anne Théron en 2010, intéressée qu’elle fut pas sa dimension féministe , non moins que par ses qualités littéraires. Dans la droite ligne de son travail de romancière et de metteuse en scène, elle trouva dans cette réécriture de la tragédie d’Euripide et de Racine l’héroïne qui lui correspondait, celle qui à l’heure de sa mort s’adresse à son père en ces termes:  » Non. C’est terminé. Il faut arrêter cette mémoire. Je vais mourir, mais je vais mourir en femme libre. Je vais mourir parce que je refuse le mensonge. Je refuse ce monde. »

La réécriture de la tragédie par Tiago Rodrigues offre une réflexion sur le libre arbitre, la question du choix d’Agamemnon y demeure centrale mais elle est envisagée sous l’angle de sa liberté et sous l’angle du refus que lui oppose sa fille Iphigénie, autant que son épouse Clytemnestre.

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Avignon 2022 : One Song. Histoire(s) du théâtre IV

— Par Michèle Bigot —

Miet Warlop est la quatrième artiste de la série « Histoire(s) du théâtre, inaugurée en 2019 par Milo Rau avec La Reprise , suivi par Faustin Linyekula et Angelica Liddell, à l’initiative du NTGent de Gand. Sous forme de concert rituel, la performeuse nous propose une sorte de requiem, une ode à l’épuisement, dans une parodie satirique de concours de chant doublé de manifestation sportive. Un groupe de performeu(euse)s s’épuise à jouer sur divers instrument la même et unique chanson, chacun d’entre eux se livrant à un exercice sportive tout en jouant. L’ensemble crée un spectacle répétitif jusqu’à l’achèvement des acteurs, voire à celui des spectateurs. Dans cette arène, les performeur(euse)s sont accompagné(e)s par un groupe de fans, une pom-pom girl (un homme en fait) et un commentateur sportif (une femme en fait). Il s’agit d’aller au bout de ses limites physiques, de se faire une concurrence acharnée, de mener une surenchère acoustique jusqu’à l’effondrement.

«Comment une chanson pourrait donner une unité à toute une société?» se demande Miet Warlop.

On se le demande aussi. Le spectacle hésite en effet entre satire du heavy metal, satire des manifestations sportives et des concours de chant.

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Avignon 2022: « L’Occupation », texte d’Annie Ernaux m.e.s. Pierre Pradinas avec Romane Bohringer et Christophe « Disco » Mink

— Par Michèle Bigot —

Occupée, une femme est ici occupée, au deux sens du terme. Cette femme c’est le double de l’autrice, elle vient de se séparer de W. avec qui elle a vécu pendant cinq ans. Elle a pris l’initiative de cette rupture mais elle espère néanmoins le retrouver un jour. Sauf que de son côté, lui se remet en couple avec une femme, dont il tait le nom. La narratrice est désormais habitée par un obsession, tout connaître de sa rivale, mais surtout son nom, comme si le nom disait l’essentiel de la personne, qu’il suffisait à l’appréhender, voire à la cerner. « La jalousie! C’est le monstre aux yeux verts qui produit l’aliment dont il se nourrit » dit Macbeth.

Romane Bohringer incarne à la perfection cette femme dévorée par la jalousie et elle nous entraîne irrépressiblement dans les méandres de son ressassement, accompagnée qu’elle est par la musique de Christophe ‘Disco » Mink. Successivement la harpe, synthétiseur, la guitare, le piano vont souligner les accents variés de cette passion dévorante. « Cette femme emplissait ma tête, ma poitrine et mon ventre.

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Avignon 2022 : « Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon ? » Concepteurs et interprètes : Pierre Solot et Emmanuel De Candido

— Par Michèle Bigot —

Présenté ainsi, vous diriez qu’il s’agit encore d’une de ces bluettes dont les séries télévisées américaines sont friandes. Et en effet, ça commence comme ça: Brandon a rendez-vous avec Jessica dans un Starbucks et elle lui met le marché en mains: « Brandon, ou bien tu me parles ou bien je te quitte! ». Que va faire Brandon? Assurément, Jessica va le quitter, mais pourquoi?

Pour connaître la suite, il va falloir se pencher sur la vie de Brandon, le monde dans lequel il évolue. Ici commence l’enquête. Et il s’avère que Brandon a été pendant toute son adolescence accroc aux jeux video. On va suivre avec lui l’évolution de la technique et de l’IA qui les crée. En s’emparant d’outils numériques variés, les auteurs refont l’histoire des jeux vidéo avec dérision. Brandon se révèle être un « digital native » de la plus pire espèce. Il est taiseux, isolé, on peut s’inquiéter pour lui. Mais où cela va-t-il le mener?

L’enquête théâtrale autour de Brandon, sous forme de conférence gesticulée, va nous mener sur les traces d’un lanceur d’alerte.

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Avignon 2022 : « À ne pas rater », écriture, scénographie et m.e.s. Nicolas Heredia

— Par Michèle Bigot —

“Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaire, sans application.” Alors comment traduire cette vacuité sur un plateau, alors même que le théâtre relève du divertissement au sens où l’entendait Pascal (même si hélas il relève aussi souvent du divertissement tel que l’entend la telereality, la programmation du off en témoigne)?

Chaque spectateur qui choisit un programme se demande avec anxiété ce qu’il a raté comme performance pendant ce temps là. Peut-être quelque chose de plus intéressant?

C’est d’emblée ce que nous jettent à la face les deux personnages en scène. “ À la base, un spectacle, c’est d’abord ça: un certain nombre de personnes enfermées dans une salle pendant un certain temps. Voilà. Pendant une heure, vous allez donc être coincés ici, pour assister à ce spectacle. Et forcément pendant que vous assisterez à ce spectacle, vous allez rater tout ce qui se passe ailleurs. ‘

Nous sommes tous pris par l’angoisse d’être en permanence en train de rater quelque chose, même si ça se passe au bout du monde.

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Avignon 2022 : « Le Moine noir » d’après Anton Tchekhov, m.e.s. Kirill Serebrennikov

— Par Michèle Bigot —

En pleine tourmente et au beau milieu de la guerre en Ukraine, un artiste russe présente dans la Cour d’honneur un spectacle sur la folie. Proposition théâtrale adaptée d’un récit de Tchekhov, lui-même intitulé Le Moine noir. L’histoire que raconte Tchekhov est simple, c’est celle de Kovrine, philosophe en perdition, recueilli à la campagne chez un horticulteur, Pessotki, qui le considère comme son fils adoptif et lui destine sa fille Tania. Ce qui lui paraît être une façon de sauvegarder la pérennité de son domaine. Mais peu à peu Kovrine va sombrer dans la folie, précipitant ainsi le malheur de tout son entourage.

A la différence de Tchékhov, K. Serebrennikov présente l’histoire dans quatre versions successives, chacune d’elle illustrant le point de vue d’un des protagonistes, Pessotski puis Tania, Kovrine et enfin le moine noir. Le fil de l’intrigue est ainsi repris quatre fois, avec les adaptations nécessaires. Cette reprise illustre également la progression du délire, la déconstruction du réel qu’il entraîne et les brouillages référentiels qu’il occasionne. Le procédé consistant à alterner les regards et à modifier la perception fait entrer le spectateur dans une sorte de tourbillon souligné par les chants, la chorégraphie et l’alternance des idiomes, anglais allemand (le spectacle est produit par le Thalia Theater de Hambourg) et russe se faisant concurrence.

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Avignon 2022 : « Together » de Dennis Kelly, m.e.s. Arnaud Anckaert

— Par Michèle Bigot —

Together est le dernier texte de Dennis Kelly, écrit en février 2021. En pleine pandémie de Covid et à la suite de la désastreuse expérience du confinement. On a beaucoup dit que le confinement a été une épreuve extrême pour les familles et également pour les couples. Surtout ceux qui ne se supportent qu’à la faveur d’une vie professionnelle leur permettant de sortir de chez eux et de se réaliser à l’extérieur. Mais quand il faut se supporter à l’intérieur et à longueur de journée, c’est l’implosion! C’est bien ce qui arrive à nos deux protagonistes qui finissent par se détester, parce que tout les oppose, tempérament, idéologie, activité professionnelle… Et leur fils adolescent se trouve pris dans ce maelström, victime OKdes querelles, taiseux , sombre et solitaire. Un schéma hélas bien trop banal. On assiste en direct aux affrontements où explosent la colère et le ressentiment. Leur mésentente débouche sur une hostilité très physique. Ils se disent leur haine en usant de métaphores plus cruelles les unes que les autres. Mais voilà que le Covid les rappelle au sens de la vie, à sa fragilité, à son impermanence car la grand-mère meurt du Covid dans un abandon général orchestré par l’hôpital.

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Avignon 2022 : Portrait de Raoul « Qu’est-ce qu’on entend derrière une porte ouverte? »

De Philippe Minyana, m.e.s.. Marcial Di Fonzo Bo, avec Raoul Fernandez

— Par Michèle Bigot —

Raoul est devant nous, seul en scène et presque nu sous nos yeux, en dépit des habits, costumes et étoffes bigarrées dont il se plaît à se couvrir. Elegant, souple, quasi félin, il danse, il chante, il vocalise: « parler » n’est pas le terme qui convient pour qualifier le son musical de ses paroles. Est-ce un homme, une femme? Un trans? Tout cela ensemble ou tour à tour. Mais sa présence charme, non moins que son chant. Raoul vient du Salvador. C’est une reine, une diva, une tragédienne, en perruque, en robe et en chansons. Sa mère, Mama Betty lui a enseigné la couture, lui a communiqué le goût du chant et du costume. Raoul rêve de Paris. Il débarque un jour dans la capitale de la couture. Costumière de théâtre, il rencontre Copi. Habilleuse à l’Opéra, il rencontre Noureev. Mais voici que Stanislas Nordey le fait passer des coulisses à la scène. Il faut dire qu’il a pratiqué le français en apprenant tout Molière par coeur.

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« Vieille(s) » texte, m.e.s. & jeu :Thérèse Bosc

— Par Michèle Bigot —

« Tremblez les sorcières reviennent! » criait un mot d’ordre féministe des sixties. Tremblez encore aujourd’hui car les sorcières jouent les Cassandre. Elles prédisent le grand effondrement. C’est ce que la vieille de Thérèse Bosc nous annonce, ou plutôt ce qu’elle mime. Car sa vieille n’est plus seulement une sorcière, ni une bacchante prise de boisson, ni une folle en délire, elle est la Terre. Au début du rituel suscité par la représentation théâtrale, la vieille éméchée se prend pour la Terre et en fin de cérémonie elle est indubitablement la Terre.

Elle vient cueillir le groupe des spectateurs et les entraîne sur l’espace scénique en un cortège qui tient de la procession. Péniblement, à grand renfort de haltes réparatrices, la vieille arrive sur scène en claudicant . Tandis que s’installent les spectateurs, elle trace au sol un cercle , espace sacré où se déroule toute cérémonie, puis elle vient s’installer au centre du cercle, perchée sur un trépied, à l’instar d’une Pythie ou d’une Sybille portée à éructer des paroles oraculaires. Ici s’engage un monologue ou plutôt une longue tirade adressée aux autres planètes sœurs de la Terre, avec qui notre vieille entre en communication directe, moyennant quelques petits coups de gnôle qu’elle s’envoie à leur santé.

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« L’Etang », conception, mise en scène, scénographie, dramaturgie Gisèle Vienne

— Par Michèle Bigot —

Gisèle Vienne met en scène un texte de Robert Walser, Der Teich (L’Etang), avec Adèle Haenel et Henrietta Wallberg. Ce récit peu connu de Robert Walser est singulier à bien des égards. Il s’agit d’un écrit privé destiné à sa soeur, que celle-ci a révélé après la mort de l’auteur, dans lequel l’autobiographie se mêle au rêve. Le texte n’a donc pas été écrit pour la scène, et pourtant il se compose de huit scènes, qui font vivre des personnages et des lieux en enchâssant des dialogues. Il offre de façon superlative ce qui fait l’originalité de l’écriture de Walser, ce mélange unique de récit réaliste et de fantaisie ironique, voire de moments oniriques. En bref, c’est un drame familial , l’histoire d’un jeune homme qui s’éprouve mal aimé par sa mère et va simuler un suicide pour mettre cet amour à l’épreuve. La supposée noyage du garçon dans l’étang (d’où le titre) n’est pas sans faire penser à la mort de Robert Walser lui-même qu’on retrouva mort dans la neige le jour de Noël 1956, proche de la clinique psychiatrique où il avait été interné.

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« Tabataba » : de Bernard-Marie Koltès, m.e.s. de Stanislas Nordey

— Par Michèle Bigot —

Dans ce court texte datant des années 80, Bernard-Marie Koltès aborde une matière délicate, celle de la relation incestueuse qui peut unir (et opposer) une sœur aînée et son jeune frère. En l’absence de parents, la sœur aînée est investie du rôle maternel, mais elle est aussi une sorte d’initiatrice à la vie affective et sexuelle de son fère. C’est en tout cas la situation de Petit Abou (joué par Emile-Samory Fofana) et Maïmouna (jouée par Jisca Kalvanda). La scène se passe à Tabataba, quelque part en Afrique de l’Ouest, mais ce pourrait aussi bien être dans n’importe quel village. C’est un soir de fête, tous les jeunes se sont fait beaux et s’apprêtent à sortir, boire, danser, flirter, mais pas Petit Abou qui préfère rester dans la cour de la maison à réparer sa mobylette. Maïmouna l’exhorte à sortir, puis elle le supplie, il y va de son honneur de grande sœur. Que vont penser les autres si Petit Abou ne sort pas et refuse de draguer les filles du village? c’est l’occasion d’un échange musclé entre frère et sœur, qui se termine sur une gifle magistrale.

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« Antigone à Molenbeek & Tirésias » Stefan Hertmans/Kae Tempest/Guy Cassiers

— Par Michèle Bigot —

Dans ce spectacle, Guy Cassiers choisit de faire appel à la tragédie grecque pour réunir deux transgressions, celle d’Antigone et celle de Tirésias. Dans les deux cas, c’est l’ordre patriarchal qui est interrogé, voire franchement bousculé. Antigone met les autorités au défi en choisissant d’ensevelir son frère en dépit de l’interdiction prononcée par le roi. Tirésias outrepasse l’ordre du genre en s’incarnant successivement comme homme puis comme femme. Les deux héros paieront leur transgression de la vie pour Antigone, de ses yeux pour Tirésias. Le don de prophétie qui est accordé à ce dernier en compensation pourrait bien être la plus cruelle des punitions: prophète de malheur, il est condamné à prêcher dans le désert. Des deux tragédies, on se demande laquelle est la plus brûlante en termes d’actualité!

Antigone revit aujourd’hui sous les traits de Nouria, étudiante en droit à l’Université, vivant à Molenbeek et réclamant aux autorités la dépouille de son frère Kamikaze de Daesh. Tirésias s’actualise dans la figure d’un adolescent, qui va connaître une transfromation de genre, avant de terminer sa carrière en prophète de l’effondrement.

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« Bachelard Quartet » de Marguerite Bordat, Pierre Meunier, Noémie Boutin et Jeanne Bleuse

— Par Michèle Bigot —

Ce spectacle est conçu comme un oratorio dédié aux quatre éléments, en hommage aux textes poétiques et visionnaires de Gaston Bachelard. La représentation se déroule à l’intérieur d’un dispositif tri-frontal, qui place le spectateur au coeur de l’évocation, du fait de la proximité physique avec le plateau. Comme dans une céremonie à laquelle il serait convié.

Le tissu textuel résulte d’un montage de textes issus de l’oeuvre de Bachelard, L’Air et les songes, L’Eau et les rêves, La Terre et les rêveries de la volonté, La Psychanayse du feu. Véritable travail de patchwork, le spectacle coud ensemble la musique (Bartok, Berio, chostakovitch, De Falla….) et le texte à la faveur de deux instrumentistes sur le plateau, Jeanne Bleuse et Noémie Boutin, tout autant comédiennes que musiciennes. Pierre Meunier leur donne la réplique, sans dédaigner de prendre part à la partition musicale. Le jeu de la lumière et la scénographie viennent ajouter à la magie poétique de l’ensemble.

Cette création théâtrale d’un genre unique, confère une sorte de matérialité et de sensualité au texte de Bachelard, qui se fait chair.

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« De ce côté », de Dieudonné Niangouna, à la Comédie Itinérante de Valence

— Par Michèle Bigot —

Dieudonné Niangouna s’invite et nous invite de ce côté. Du miroir, du réel, du continent? Probablement tout cela en un seul en scène – un « tout seul », selon sa propre expression- où le récit autobiographique, l’expérience théâtrale et le vécu politique sont étroitement entremêlés, indissociables.
Dido (allonyme et raccourci de Dieudonné) est au fond de son bar, comme au fond de son exil. Il est exilé de son pays, le Congo-Brazzzaville, comme il est exilé du théâtre, son autre patrie. Il « fourgue du stand-up à répétition » dans son bar-théâtre et échange avec les clients, tous activistes afro-africains qui ne cessent de le harceler. Sa parole est alors peuplée d’une polyphonie où s’entremêlent les arguments des activistes, le récit de l’explosion du théâtre de Brazzaville , la plainte des victimes, les accusations portées contre lui, sa propre culpabilité d’exilé et la nostalgie de sa vie familiale. Le harcèlement des autorités, les tiraillements de sa conscience, les reproches des activistes, tout ce déferlement de paroles à lui adressées le submergent et finisent pas l’isoler de lui-même.

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Tartuffe-Théorème Un spectacle de Macha Makeïeff

— Par Michèle Bigot —

Contrairement à ce que le titre laisse entendre ( en vertu du tiret qui unit Tartuffe et Théorème) il ne s’agit nullement d’une création dans laquelle Macha Makeïeff aurait confronté les deux textes pour en tirer une troisième œuvre originale. Première déception: il ne s’agit que d’une mise en scène de plus de la pièce de Molière et le rapprochement avec Pasolini reste superficiel et inexploité. Tout se passe comme si on s’était avisé après coup que les deux œuvres traitaient de l’emprise!

Encore est-ce l’aspect le plus intéressant, mais il aurait fallu respecter l’ambiguïté du Tartuffe de Molière, son caractère manipulateur, sa duplicité, son hypocrisie et la modalité insidieuse de son influence, au lieu d’en faire un prédateur brutal! A cet égard, on attendait la scène de la séduction d’Elmire en craignant le pire, compte tenu de la débauche de gesticulations à laquelle on assiste depuis le début. Et le pire est advenu. Au lieu de l’approche doucereuse d’un séducteur cauteleux on a droit aux manœuvres brutales d’un prédateur. Peu s’en faut qu’il ne la viole sur scène.

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« Le Bruit du rêve contre la vitre », Axel Senéquier Éditions Quadrature

— Par Michèle Bigot —

A ce titre poétique répond un recueil de nouvelles d’un auteur qui a jusqu’ici publié des romans-jeunesse et des pièces de théâtre. Il ne s’agit pourtant pas de son premier recueil de nouvelles. Il a jusqu’ici pratiqué des nouvelles dites « noires  » ou « contemporaines ». Mais plus contemporain que ce dernier recueil, ça va être difficile à trouver, puisqu’il est entièrement consacré à la crise sanitaire que nous venons de vivre et à l’expérience du confinement. On s’attend donc à une expérience de lecture inconfortable, voire douloureuse. Or il n’en est rien. Aussi dramatique que soit le sujet, l’auteur parvient à le traiter tantôt avec humour, tantôt avec une empathie communicative. Toute la palette des émotions est représentée et tous les registres sont activés. Du dramatique au drolatique, c’est l’ensemble de l’expérience vécue qui est convoquée. Il n’y a pas là de héros mais juste des hommes ordinaires, parfois admirables parfois pitoyables, toujours désorientés, comme vous, comme moi.

Avec ce recueil de nouvelles, la littérature nous offre deux de ses plus beaux paradoxes. Le premier paradoxe, c’est que seul le singulier nous permet de toucher à l’universel.

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L’Affaire Pavel Stein, Gérald Tenenbaum, éditions Cohen&Cohen

— Par Michèle Bigot —

« En matière de révolte, aucun de nous ne doit avoir besoin d’ancêtres », cette épigraphe d’André Breton ouvre le roman sur une énigme. Quelle révolte, qui est révolté et contre quoi? Mais il se pourrait que la révolte n’ait pas nécessairement besoin d’un objet, qu’elle soit un état de l’esprit. Voyons donc…

La matière du roman est matière fluide. Une femme écrit. Une femme parle. Choc de la première phrase: « Je déteste porter des collants lorsque j’ai mes règles ». D’emblée, le narrateur-auteur est invité à disparaître, au moins en tant qu’homme. Et Paula, puisque c’est elle qui agit, se lance dans un récit. Rétrospectif et personnel. La scène de l’écriture (qui ouvre et clôt le récit) intervient quelque vingt ans après la scène de l’histoire. Fluidité dans la temporalité (allers-retours de la mémoire) et fluidité dans l’identité. Est-ce la même Paula, la jeune journaliste un peu candide qui fait la rencontre de Pavel Stein pour l’interviewer, et la femme mûre qui mène son deuil par l’écriture?

C’est donc l’histoire d’une rencontre amoureuse. On se demande si Breton aurait apprécié!

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« Pupo di zucchero, la festa dei morti » texte et m.e.s. d’Emma Dante

Magicienne, sorcière, prêtresse, comment faudra-t-il appeler une metteuse en scène qui nous convie à une cérémonie théâtrale, avec tout ce qu’elle implique de magie, de sacré, voire de funèbre et de joyeux? Car la festa dei morti, ce n’est pas la lugubre Toussaint. Sur scène, cette fête n’a rien d’une danse macabre, c’est une célébration remplie d’allégresse. Tout un rituel s’accomplit sur le plateau, à la faveur d’une performance qui convoque texte, danse, lumière, tableaux et sculpture. Une sorte de spectacle total, n’était la quasi absence de musique. Emma Dante aime faire évoluer ses acteurs sur un fond de silence et d’obscurité. Du noir jaillit la lumière et le jeu éblouissant des acteurs. Qui évoluent en groupe, selon une tradition que la metteuse a bien établie de spectacle en spectacle. La troupe, le groupe, la collectivité humaine sont des éléments fondamentaux de son théâtre, à l’image de la vie sociale en Italie, spécialement dans le Sud.

Alors qu’est ce que cette histoire? Un vieil homme, tout accablé de solitude et de douleur s’apprête à organiser sa fête des morts en confectionnant une pâtisserie : ce sera le « pupo di zucchero », la figurine sucrée, offrande aux défunts de la famille.

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« Misericordia », d’Emma Dante

D’accord!

Avec Emma Dante, nous voici dans les bas-fonds de Palerme; Misericordia appartient à la veine sociale de l’autrice, dont relève également son film Palerme, ainsi que la pièce qu’elle a présentée en 2014 à Avignon, Le Sorelle Macaluso. Le titre l’indique clairement : même si le nom italien  » misericordia » n’a pas exactement les mêmes connotations que le français « misericorde », il n’en est pas moins redevable de la même étymologie. Emma Dante elle-même insiste sur la valeur des deux parties du mot: « miser » et « cordia ». C’est de la misère des faubourgs de Palerme qu’il sera parlé, et c’est aussi de « coeur », c’est-à-dire d’amour. Une « machien d’amour », selon sa propre expression.

Le pitch: trois putains élèvent, nourrissent et chérissent un enfant autiste, celui qu’une quatrième femme leur a laissé, morte sous les coups de son compagnon. Manifestement le retard mental de l’enfant est dû aux coups reçus par sa mère pendant la grossesse. J’entends d’ici le public parisien crier au misérabilisme. Or l’autrice évite cet écueil et réusit à nous émouvoir sans jouer sur la corde de la pitié.

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« La Collection » par le collectif BPM (Büchi-Pohlhammer-Mifsud)

La Sélection Suisse en Avignon nous a habitués à assister aux meilleurs spectacles, champions du spectacle vivant. Cette année encore, ils reviennent pour nous proposer le meilleur!

C’est ainsi que le collectif BPM s’est promis de sauver de l’oubli « les objets du quotidien devenus obsolètes ». On s’attend donc à un théâtre d’objets. Il est question de vélomoteur et de téléphone en backélite. Pourtant c’est leur absence qui est mise en scène, à la fois par la parole des acteurs et par leurs mimiques. Il s’agit moins de l’objet lui-même que de sa trace mnésique qui se présentifie par les mots, le bruitage et la mimique. Ainsi que des souvenirs associés à ces objets. C’est toute l’adolescence qui revient dans le récit, avec ses plaisirs et ses angoisses. Exercice de nostalgie, direz-vous? pas vraiment, c’est trop drôle pour être inquiétant. Les personnages se moquent d’eux-mêmes, de l’enfant qu’ils étaient, avec tendresse mais sans complaisance. Avec ce grain de folie propre à l’imaginaire suisse et tout son humour! C’est souvent déjanté. Le trio formé par deux actrices et un acteurs est uni par une formidable complicité.

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