Le point de vue éclairé d’Hassane Kassi Kouyaté

Les Martiniquais n’ont pas oublié Hassane Kassi Kouyaté, qui nommé en novembre 2014 à la tête de la structure Tropiques Atrium, devenue en 2015 Scène Nationale, nous a quittés en 2019 pour prendre la direction à Limoges de ce qui était le « Festival des Francophonies en Limousin ». Un festival qui porte d’ores et déjà sa marque, puisqu’il l’a  établi sur deux saisons, le nommant « Les Francophonies, des écritures à la scène ». Ainsi, il fixe aux amateurs de textes et de spectacles deux rendez-vous annuels, « Les Zébrures de printemps », dédiées aux écritures, « Les Zébrures d’automne », une manifestation pluridisciplinaire autour du théâtre. Il nous parle ici de la façon dont il appréhende la situation faite aujourd’hui à la culture et au monde artistique dans son ensemble.

 

LE CORONAVIRUS N’EST PAS SEUL RESPONSABLE !

(21 juin 2020 – par Hassane Kassi Kouyaté)

Parler du coronavirus et de ses effets sur l’art et la culture est un sujet très vaste qu’il faudra prendre le temps d’étudier et d’analyser. En tant que metteur en scène, comédien, conteur et directeur des « Francophonies des écritures à la scène » et en tant que personne déjà, j’ai le sentiment que le coronavirus a permis de pointer le doigt aussi bien sur le statut des artistes que sur les politiques culturelles mises en place.

J’ai, en effet, l’impression qu’on a découvert nos problèmes grâce au coronavirus. Mais le coronavirus n’est pas la source du malaise profond dans lequel notre profession se trouvait. Cette pandémie n’a fait que mettre en lumière nos manières de produire, de créer, de diffuser qui étaient dans une impasse.

L’art, la culture sont gérés comme des produits manufacturés avec les mêmes critères d’évaluation que pour une entreprise industrielle où la grandeur des chiffres et des nombres devient la référence de la réussite et de la qualité. En plus, nous étions chacun dans nos bunkers avec nos chasses gardées, pas beaucoup d’interactions entre les différents labels (scènes nationales, centres dramatiques, scènes conventionnées, centres chorégraphiques, scène de musiques actuelles…). Les temps de recherche, de création, de diffusion sont presque inexistants. Nous ne laissons pas de temps à la recherche. Les temps de créations sont calibrés en moyenne sur six semaines, quelle que soit la production. Très peu de lieux font des séries en diffusion de spectacle. Les spectacles ont une durée de vie moyenne de deux ans. Nous, les organisateurs de festivals, nous sommes dans une course effrénée de monstrations sans penser à de vrais moments de rencontres, de partages, de réflexions sur ce que nous montrons ou diffusons.

Si le coronavirus nous permet de prendre conscience de nos manques tant mieux. Mais je pense qu’aujourd’hui il est temps de se mettre autour d’une table en laissant de côté nos certitudes, qui nous donnent de pseudo assurances, et qu’on puisse faire un état réel de notre profession sans concession et avec beaucoup d’humilité et de générosité. Qui crée ? Qu’est-ce qui est créé ? Pour qui ? Comment ? Où ? Avec quels moyens ? Que ce tour de table, s’il a lieu, puisse réunir les politiques, les administratifs, les techniciens, les artistes et pourquoi pas le public.

En ce qui concerne la situation des créations francophones et de leur visibilité en France, le coronavirus a aggravé les questions de mobilité des artistes francophones vers la France. J’ai bien peur que cette pandémie ne soit un prétexte pour diminuer davantage le nombre de visas de certains artistes ou de supprimer des aides de collaborations artistiques (aides à la création, à la diffusion, à la structuration, à la formation). Le moment que nous vivons doit au contraire nous ouvrir aux autres qui ne sont que source de différence et de richesse.

Durant les deux mois de confinement, j’ai vu une grande mobilisation des états de plusieurs pays francophones contre le COVID-19 comme si dans certains pays, notamment en Afrique, il n’y avait pas, avant le coronavirus, d’autres maladies tueuses voire même plus meurtrières.

Il est bon de se mobiliser contre les différentes maladies, mais les maladies les plus pernicieuses sont le manque d’éducation et l’acculturation pour lesquelles on ne doit pas baisser la garde. Il est plus que temps que ces états puissent se mobiliser afin que leurs artistes puissent s’affranchir de la dépendance des financements et des visas d’autres pays.

En tant qu’optimiste, j’ose espérer que le coronavirus nous conduira à cela.