La culture s’engage aux côtés du mouvement mondial de la jeunesse pour le climat

— Par Joris Mathieu, metteur en scène et directeur du Théâtre Nouvelle Génération, Centre dramatique national de Lyon. —

C’est avec des mots tranchants que Greta Thunberg, âgée alors de 15 ans, a interpellé les dirigeants du monde entier, en décembre dernier, lors de la COP 24. Et la parole qu’elle a portée ce jour-là, nous la partageons entièrement. De là où nous sommes au travail, de là où nous sommes en responsabilité, artistes ou à la direction d’institutions culturelles, nous faisons face aux paradoxes néfastes de la surproduction et de la surconsommation. Nous observons et vivons les effets de l’agression permanente que le système ultralibéral fait subir à la planète et à ces habitant.e.s.

Cette interpellation sur l’absence de maturité suffisante des adultes, nous la prenons aussi pour nous. Car, oui, nous savons en effet qu’il est aujourd’hui nécessaire de mettre la machine à l’arrêt. Nous le savons mais nous ne le faisons pas. Et le Burn Out global nous guette.

A bien des égards, le constat du président de la République, dans les vœux qu’il nous a adressés pour 2019, semble similaire à celui de la jeune suédoise. Après nous avoir dit que : « le capitalisme ultralibéral et financier trop souvent guidé par le court terme et l’avidité de quelques-uns, va vers sa fin », il a formulé pour notre pays et ses résident.e.s : un vœu essentiel, un vœu de vérité et une invitation au débat.

Nous nous saisissons aujourd’hui de cette invitation pour faire émerger par l’intermédiaire de ce dialogue fictif entre une enfant et un président, ce qui ressemble à un vœu commun : celui d’entrer dans une nouvelle ère, celle de l’honnêteté intellectuelle. Ce vœu est bien aussi le nôtre et pour ne pas « débattre du faux », « pour ne pas nous égarer sous l’impulsion d’intérêts particuliers », et pour parler « sans ambiguïté », il nous semble essentiel de souligner d’abord que la réalité première tient en une phrase : nous vivons la fin d’un modèle politique, économique et social.

Il faut accepter de lire cette phrase sans perdre notre temps à discuter de sa véracité. Il faut voir cette situation telle qu’elle est. Accepter de dire qu’elle est sérieuse. Prendre en compte que nous n’avons aucun autre choix que de remettre en cause urgemment ce modèle. Cesser immédiatement de pratiquer une politique de la rustine et du sauvetage des meubles. Renoncer à nos habitudes partisanes qui nous conduisent à gaspiller sans cesse un temps précieux en nous renvoyant mutuellement la balle des responsabilités.

Attendre la fin, retarder la fin, sont des projets vains qui ne nous mènent qu’à l’inévitable catastrophe. Et nous savons pertinemment, toutes et tous, que nous avons le devoir d’anticiper.
Il y a en ce moment un mouvement de la jeunesse qui prend forme partout dans le monde et en France. Un mouvement de la jeunesse qui fait preuve d’une lucidité, d’une maturité et d’un courage, qui manquent aux adultes en responsabilité que nous sommes. Une jeunesse qui ne cède pas au fatalisme. Une jeunesse qui veut croire en l’avenir pour notre planète. Une jeunesse qui souhaite penser autrement la répartition et l’usage des richesses. Ce mouvement prend son essor et nous avons le devoir de nous laisser emporter avec lui. Nous devons y puiser l’énergie nécessaire pour nous mettre réellement à l’arrêt d’abord, avant de reprendre une meilleure route. Car il ne s’agit plus seulement de sortir le stylo pour amender, raturer, reformuler un scénario éculé, mais bien d’inventer une nouvelle histoire. Le défi est de taille et il est à relever collectivement. Si aucune alternative n’arrive pleinement à naître, c’est que nous manquons d’imagination. Nous manquons d’imagination parce que nous n’avons rien connu d’autre que le système dans lequel nous sommes nés.
Même ses plus farouches opposants n’arrivent à se définir que par rapport à lui. La paupérisation, les divisions, les oppositions et le traitement des urgences que le capitalisme outrancier génère, nous ont vaincus. Nous défendre contre ses assauts quotidiens a fini par capter tout notre temps et toute notre énergie. Et face aux pronostics cauchemardesques pour notre planète, nous restons interdits, incapables de renoncer au confort – ou aux promesses de possible confort – que ce modèle nous offre.

Dépourvus d’alternative, nous continuons fondamentalement à placer notre croyance fainéante dans le fait que le capitalisme est bien encore une source permanente de progrès et d’innovation, qui saura trouver la parade au drame qu’il génère. Pensée magique qui consiste à confondre la maladie et le remède.

La véritable innovation économique et sociale a pour vocation de penser le monde autrement et, aujourd’hui, elle passe forcément par une remise en cause structurelle du présent. Elle semble probablement impossible à réaliser pour les générations au pouvoir. Mais le progrès véritable se moque de ce qui semble possible et réalisable.

Il existe bel et bien aujourd’hui une résistance au capitalisme ultralibéral et à l’extinction du vivant qu’il est en train de causer. Cette force n’est certainement pas l’expression réactionnaire d’une nostalgie du passé. Elle combat précisément les archaïsmes dans lesquels nous vivons et désire inventer de nouvelles perspectives. La jeunesse, tout particulièrement, refuse de poursuivre une marche insensée au nom de croyances vieillissantes. La jeunesse, refuse de se voir confisquer son droit légitime à imaginer et à rêver un autre cadre de vie et un autre futur. La jeunesse refuse d’abandonner sa place d’êtres pensants. Elle ne veut plus subir le réel. Nous non plus. Elle veut retrouver le temps de la pensée et de l’invention. Nous aussi.

C’est pourquoi nous voulons dire à la jeunesse qui se mobilise aujourd’hui, et qui choisit sa forme d’engagement loin des débats formatés, que nous, artistes et directeur.rice.s d’institutions culturelles, serons à ses côtés. Que nous voulons nous mettre à son écoute et même à son école, pour imaginer demain. Que nous partageons avec elle l’urgence de chercher, symboliquement par l’Art, mais aussi concrètement dans nos manières de vivre, de travailler et de produire la rencontre, de nouvelles représentations possibles du monde.

Pour signer la pétition

Premiers signataires :
Benoît Lambert, Metteur en scène et directeur du Théâtre Dijon Bourgogne, Centre dramatique national // Carole Thibaut, Autrice, Metteuse en scène et directrice du Théâtre des Ilets, Centre dramatique national de Montluçon // Martin Palisse, artiste jongleur, directeur du Sirque Pôle National Cirque de Nexon // Phia Ménard, Autrice, Metteuse en scène, Performeuse – Directrice de la Compagnie Non Nova // Patrick Gyger, Directeur du Lieu Unique – Scène nationale de Nantes // Catherine Marnas, Metteuse en scène et directrice du TNBA, Centre dramatique national Bordeaux Aquitaine // Frédéric Ferrer, Auteur, metteur en scène, géographe – Compagnie vertical détour // Virginie Boccard, Directrice des Scènes du Jura – Scène nationale // Philippe Quesne, Plasticien, metteur en scène et directeur du Théâtre Nanterre-Amandiers, Centre dramatique national // Emmanuelle Vo Dinh, Danseuse, chorégraphe et directrice du Phare – Centre chorégraphique national du Havre Normandie // Fabrice Murgia, Auteur, metteur en scène et directeur du Théâtre National Wallonie-Bruxelles // Florence Faivre, Directrice du Grand R – Scène nationale de La Roche-sur-Yon // Philippe Ariagno, Directeur de la Passerelle, Scène nationale de Gap – Alpes du Sud // Valérie Deulin, Directrice, Théâtre d’Arles, scène conventionnée d’intérêt national – Art et création // Antoine Conjard, Directeur de l’Hexagone Scène Nationale Arts Sciences – Grenoble – Alpes Métropole // Jeanne Gailhoustet, artiste, directrice de l’École Nationale Supérieure d’art de Limoges // Fabrice Melquiot, Auteur, directeur du Théâtre Am Stram Gram, création enfance et jeunesse – Genève // Marianne Lanavère, directrice du Centre international d’art et du paysage- île de Vassivière // Mathurin Bolze, Artiste de cirque, metteur en scène et directeur de la Compagnie MPTA/ festival utoPistes // Renaud Herbin, Marionnettiste, metteur en scène et directeur du TJP, Centre dramatique national de Strasbourg // Marie Molliens, artiste de cirque, directrice artistique de la compagnie Rasposo //

Source : L’Humanite.fr