Escale à Brazzaville pour les Etonnants voyageurs

Au Congo-Brazzaville, le livre coûte très cher et la première tablette numérique africaine ne suffira probablement pas à résoudre les problèmes de l’éducation.

Brazzaville (Congo), envoyée spéciale. Le festival Étonnants voyageurs a eu lieu durant quatre jours au Congo-Brazzaville. Quatre millions d’habitants. La ville fait face à sa sœur Kinshasa, de l’autre côté du fleuve. Onze millions d’habitants. Deux métropoles d’Afrique, chacune ayant été colonisée, l’une par la France, l’autre par la Belgique. Aujourd’hui, par-delà le fleuve, on partage les musiques, les hommes et les femmes et les blagues belges. Si Brazza cultive le roman, Kin a une prédilection pour la bande dessinée et le polar. In Koli Jean Bofane, écrivain né en République démocratique du Congo qui vit en Belgique, nous dit : « La dictature a ralenti notre création littéraire. J’étais éditeur dans la clandestinité. Nos machines étaient régulièrement plastiquées. Je devais déplacer la mienne tous les soirs. J’ai appris la ruse. »

Le festival s’est inscrit dans la ville en s’impliquant très fort dans les quartiers, comme en témoigne Clotaire Kimbolo, ancien conducteur du train du CFCO (le chemin de fer Congo-Océan), chanteur et propriétaire du bar Congo Square. Les auteurs ont été dans les dix lycées tellement surpeuplés de Brazzaville que les élèves sont soumis à rotation, un coup le matin, un coup l’après-midi. Le QG du festival était au Palais des congrès. À l’entrée, un stand tenu par la librairie des Dépêches de Brazzaville exposait les livres des auteurs présents, dans un pays où, malgré la manne pétrolière, l’achat d’un livre constitue un véritable sacrifice. La plus grosse vente est celle de manuels scolaires. « Au temps des dictatures, nous dit le romancer Emmanuel Dongala, les censeurs pensaient que le livre n’aurait aucun impact sur des Africains analphabètes et que le choix serait vite fait entre culture et nourriture. Ils ignoraient qu’un livre acheté par un, va circuler et être lu par dix, voire vingt, puis commenté ; ceux qui ne l’auront pas lu reprendront les commentaires. »

Vingt et un des invités, sur quatre-vingt-dix au total, venaient du Congo. Parmi les nombreux thèmes abordés, la différence flagrante entre l’existence de départements d’études francophones aux États-Unis et l’absence de ces écrivains dans les facultés françaises. C’est le cas de Columbia, ce qui fait dire au philosophe Souleymane Bachir Diagne qui y enseigne : « Columbia est l’université la plus sénégalaise du monde ! » Autre thème sur « Révolution en Afrique ? Elle sera, elle est déjà numérique ». Lors de ce débat, la première tablette numérique africaine a été montrée comme un objet de luxe inapproprié et qui rend encore plus criante la question d’éducation de base.

Muriel Steinmetz.

http://www.humanite.fr/culture/escale-brazzaville-pour-les-etonnants-voyageurs-515832