— Par Christophe Dejours* —
La volonté collective de coopération est indispensable pour atteindre la qualité. Mais elle est aussi le moyen indépassable de régulation des souffrances individuelles et de contrôle des dérives.
D es catastrophes industrielles et commerciales ont endeuillé l’été : le crash du Concorde à Roissy, le naufrage du Koursk en mer de Barents, le rappel de 6,5 millions de pneus Firestone qui auraient déjà provoqué 62 morts. Mais, dans l’ombre, il y a d’autres tragédies moins spectaculaires, comme la fermeture de la clinique de la Martinière et le récit de Christine Noël dont la grand-mère, hospitalisée à Marseille, est décédée dans des conditions lamentables.
La petite-fille retrouve sa grand-mère » couverte de cloques et de brûlures. Une aide- soignante l’avait contrainte à prendre une douche sous l’eau brûlante « , et avait » sans se soucier de ses cris, poursuivi sa besogne jusqu’à brûler la majeure partie du corps « . Et de préciser » que cette aide-soignante du service de neurogériatrie inflige quotidiennement des brûlures aux malades qu’elle a en charge de doucher. Ma grand-mère a été une de ses victimes « .

Le « caïdat » et les organisations mafieuses commencent à coloniser les zones exclues de la prospérité.
Aucune production, aucune entreprise, aucune organisation, aucune armée ne serait opérationnelle si les travailleurs exécutaient les ordres. Travailler suppose toujours des infractions aux règlements, aux procédures, aux prescriptions.
Ou bien le travail est un lieu d´exercice, pour chacun, de la délibération et de la confrontation des opinions ; ou bien il est un lieu d´expérimentation de la duplicité, de la manipulation et de la méfiance qui conduisent à la démobilisation, à la solitude et au repli individualiste défensif Le Monde daté du mardi 16 janvier 2001 En décembre, dans un discours à l´Académie des sciences morales et politiques, le président du Medef a vigoureusement appelé à la revitalisation de la société civile et, pour ce faire, a exposé un projet de refondation sociale. Son principal leitmotiv est la dénonciation des interventions de l´État, du gouvernement, de l´administration, du Parlement et de l´appareil judiciaire, qu´il tient pour responsables de « la sclérose du modèle social français ». Il ne souhaite rien de moins que de » faire reculer le domaine [de la loi] au profit du contrat « .
L’intervention des psychanalystes écarte la mise en discussion de qui, dans l’organisation du travail elle-même, est en cause dans le déclenchement de la violence. Dans bien des cas, ce qui déclenche l’agression ne vient pas du tout des maladresses psychologiques des salariés victimes, mais des tâches qu’ils assument.
Dans la plupart des situations ordinaires, partager le risque est un leurre : l’entrepreneur prend des risques dans le registre de l’avoir, sur son capital ; le salarié prend des risques dans le registre de l’être, sur son intégrité physique et parfois mentale
Le Medef propose des réformes qui permettraient de se passer de ces spécialistes, en confiant leurs visites périodiques aux salariés à des généralistes libéraux, et leur travail sur le terrain à des techniciens du risque
Comment de telles énormités peuvent-elles devenir la référence obligée de tous les discours ? Si c’est vraiment la guerre, alors la fin justifie les moyens. On peut décréter la mobilisation générale, et s’il y a des victimes, c’est qu’il ne peut en aller autrement. La guerre économique vaut pour une absolution des puissants
Le paradoxe des activités ludiques, c’est qu’elles ont leur utilité : elles permettent, ici, de maîtriser l’angoisse ; là, de maintenir la vigilance, d’accroître la sensibilité et l’habileté professionnelle. Le plus surprenant, c’est que, souvent, les salariés en éprouvent de la gêne, de la culpabilité ou de la honte