Y aurait-il enfin de la place pour la musique, le culturel et la créativité dans les PIB des DFA ?

 — par Alain Maurin, maître de conférences en économie à l’Université des Antilles et de la Guyane —

 alain_maurinKassav’ qui continue à enchanter un immense public disséminé dans le monde et qui aligne encore des performances, entre autres le renouvellement de son répertoire, les tournées dans les grandes villes de la planète et la création de revenus et d’emplois.

 Malavoi, l’autre groupe mythique à rayonnement international, qui enregistre encore des triomphes sur les scènes internes et externes de la communauté des domiens.

 Mario Canonge, Grégory Privat, Denis Lapassion, Christian Laviso, …, ou l’art de naviguer dans les répertoires rhizomes et de sublimer les mélanges musicaux avec comme ingrédients principaux les souffles martiniquais, guyanais et guadeloupéens.

 Florence Naprix et l’équipe de Jérôme et Stéphane Castry qui livrent actuellement l’une des plus belles couleurs du zouk depuis les heures de gloire des années 1980 et 1990.

 Dominique Coco, Akiyo, Wozan Monza, K’Koustik, Soft, Martine Sylvestre, Eric Cosaque, Jomimi, Casimir Reynoir dit Négoce, Alchimik’S, …, Victor O, Guy Marc Vadeleux, Bwakoré, Baylavwa, Ronald Tulle, Kolo Barst, Marcé, Tony Polomack, Kannigwé, Guy Vadeleux, Gilles Rosine, Karlos Rotsen, Tony Chasseur, Bamboolaz,…, Chris Combette, Yann Cléry, Louis Caristan, Dominique Leblanc, Emile Romain, Eric Bonheur, Djingo, Spoity Boys, Fondering, Etoumba, Komanti,…, têtes d’affiche du bouillonnement des musiques populaires dans les DFA, valeurs sûres pour transformer les étincelles musicales en flammes économiques.

 Admiral T, Pédro Pirbakas dit Krys, Didier Daly, Sadik, Youg Chang, Yohan Pierre-Justin Saik,…,

 Lord kossity, Ruff Neg, Féfé Typical, Esy Kennenga, Kalash, Yoni Alphadit Paille,…, Prof A, Dasinga, Prince Koloni, Little Guerrier, Energy Crew, …, véritables fauves musicaux de la jungle des sonorités urbaines des Antilles Guyane, en attente de parcours dans la forêt des scènes désirées du monde.

 Henri Debs, désormais monument de l’industrie musicale dans les Antilles-Guyane et son œuvre qui s’érige en patrimoine régional et national.

 Monsieur Yves Thole, premier maître d’art des Dom Tom, facteur et restaurateur d’instrument à percussion, dans le club des pionniers de l’industrialisation de la fabrication des tambours ka.

 La Grande dame Jacqueline ThôleCachemire, Présidente honoraire de l’Akadémiduka, qui a initié toute la dynamique de la professionnalisation de la danse en Guadeloupe ; Joséphine Egalgi, bâtisseuse de la grande histoire de l’École nationale de musique et de danse (ENMD) de la Guyane qui a accédé en mars 2013 au statut de conservatoire ; les constructeurs de la danse martiniquaise, entre autres le célèbre chorégraphe Rorniie Aul qui créa en 1966 la troupe « Ballets Martiniquais » et Christian Gernet et Suzon Sainte Rose qui ont amené le « Grand Ballet de la Martinique » à sillonner le monde entre 1980 et1995.

Eu égard à cette liste d’un petit nombre d’exemples parmi une multitude, eu égard aux retombées économiques et sociales engendrées par les pratiques de ces artistes dans bon nombre de pays, il paraît naturel de s’interroger sur le potentiel considérable des filières d’activités basées sur la musique et leur rôle dans le développement économique et social de chaque département français d’Amérique (DFA).

 Alors, peut-on oser l’hypothèse de fonder une partie de la création de richesses des économies des DFA sur l’industrie de la musique en particulier et le secteur des industries culturelles et créatives (ICC) de façon plus large ?

 Potentiellement, peut-on envisager un plus grand nombre d’emplois dans les professions et filières des ICC ?

 Bref retour sur le bilan du régime de départementalisation : de profondes mutations dans la valeur ajoutée pour des résultats contrastés

Indéniablement, les faits de l’histoire économique de la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique sont très clairs pour témoigner que la politique d’intégration à la Nation française a fait passer ces départements d’outremer (DOM) d’une organisation économique de type colonial aux sociétés actuelles, relativement modernes, ancrées dans la consommation de masse et, évoluant au rythme des technologies nouvelles.

 Dans le milieu des années 1940, les populations dans les DOM vivent principalement dans les campagnes. Les équipements publics sont au stade de « mise en chantier ». Les routes sont peu nombreuses. Pour les ménages, les conditions de vie sont marquées par l’absence d’eau courante et d’électricité. Deux à trois décennies plus tard, progressivement, « dans le sillage » de la France et comparativement à d’autres pays en développement, la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique vont franchir différentes étapes de la croissance économique.

 Mais au tournant de ce millénaire 2000, même si ces territoires ont su se forger les images de bons élèves dans le rattrapage de leurs retards économiques durant ces sept dernières décennies de départementalisation, il faut en revanche reconnaître que la partie pour eux est loin d’être gagnée. Il ne s’agit pas de se laisser gagner par un pessimisme généralisé quant au regard à porter sur la situation économique actuelle. Cependant, si des images de la dynamique économique domienne sont bel et bien présentes pour signifier qu’il y a du positif, que des avancées dans la modernisation de l’appareil productif sont une réalité, il y a aussi à souligner que ces images ne cachent pas les reflets d’inquiétudes sur la longévité de la stratégie économique en œuvre en Guyane, Guadeloupe et Martinique.

 Ainsi, les partitions actuelles jouées par leurs économies sont visiblement posées sur un certain nombre de notes discordantes. Des diagnostics aussi nombreux que variés ont exprimé que, depuis la départementalisation, c’est la même partition économique qui est interprétée et qu’aujourd’hui, le modèle de développement économique est largement essoufflé, usé et mérite un renouvellement profond. Dans le fond, il ne s’agit pas de renoncer au répertoire, mais plutôt de l’enrichir, de le moderniser en trouvant d’autres mélodies, d’autres notes économiques qui sonnent justes et qui sont porteuses de valeur ajoutée.

 Quelles pistes pour impulser un meilleur progrès économique ?

 Dans l’optique de trouver des socles solides pour assoir un développement économique endogène et durable pour les DFA, il est nécessaire d’aborder tous les questionnements afin d’identifier, évaluer et considérer les voies qui seraient à même de porter ce remodelage de l’appareil économique et la reconfiguration des branches génératrices d’activités et d’emplois.

 Prendre parti pour le statu quo ?

 C’est le choix de certain décideurs qui se fondent d’ailleurs sur une définition réduite de la politique économique selon laquelle la croissance peut être appréhendée par l’amélioration du bien-être matériel de la population en consacrant le minimum d’efforts et de ressources.

 Mais, ne serait-ce que du côté de l’Etat central, cette logique de développement n’est plus soutenable. Elle est de plus en plus remise en cause pour tenir compte des changements inéluctables et des nouveaux équilibres économiques qui sont les prémisses du nouvel ordre mondial des prochaines décennies. Ainsi, la pratique des gouvernements successifs durant de ces dernières années, qui réduisent et surveillent scrupuleusement leurs engagements financiers dans les régions, est un signe de ce changement de comportement de l’Etat Central.

 D’ailleurs, ce fut durant un très long temps que les préoccupations du développement ont été orchestrées essentiellement par l’Etat central. Mais aujourd’hui, les élus locaux sont appelés à prendre une part de plus en plus active dans la gestion et la gouvernance du développement économique de leur territoire et, de ce fait, dans la lecture et l’écriture de leur partition économique.

   Mettre en œuvre une nouvelle orientation de la politique de développement économique qui repose sur une refonte appropriée des sources de la croissance ?

 Certainement oui.

 Depuis quelques temps, au moins depuis la fin des années 1990, les débats sur le devenir des DFA dans leur grande majorité, ont dans leurs lignes de mire, les questions relatives au volet institutionnel. Mais le questionnement le plus important n’est-il pas celui de l’élaboration d’un projet économique au service d’une stratégie de développement durable ? En filigrane, puisque le modèle économique actuel ne peut plus garantir une création de richesses qui soit en phase avec cette grande ambition, les interrogations cruciales incluent les suivantes : ne faudrait-il pas re-mixer les différentes pièces qui constituent les composantes du PIB ? Ne faudrait-il pas alors moderniser le répertoire des décideurs économiques, en particulier ceux chefs d’orchestres ? Comment impulser et pérenniser des stratégies de diversification dans la création de richesses de l’économie ?

 L’argumentation pour baliser des champs de réponse à ces interrogations peut logiquement être menée autour de la trame qui constitue la raison d’être de l’économie, la dynamique offre-demande, comme l’a si bien écrit Lionel Stoléru : « L’économie, tous compte faits, n’est jamais que la confrontation de l’offre et de la demande. Si les deux sont dynamiques, il y a croissance. Si l’une ou l’autre est défaillante, il y a problème. Si les deux sont en mauvaise santé, il y a crise. »

 Sous l’angle global ou sectoriel, cette description recouvre nécessairement un large éventail de phénomènes économiques qui se manifestent dans toute leur complexité. Pour le secteur de la culture qui nous intéresse ici, la demande et l’offre sont en large déphasage, c’est le moins que l’on puisse dire.

 La demande qui constitue le moteur de la dynamique sectorielle est-elle significative pour entraîner l’offre ?

 Prenons l’exemple des musiques guyanaise, guadeloupéenne et martiniquaise. Avec leurs authenticités qui plaisent beaucoup, elles ont déjà montré qu’elles peuvent s’imposer très largement, localement et dans de nombreuses contrées dans le monde. Hier, avec Kassav’ qui a connu des débuts timides mais s’est ensuite basé sur une originalité forte pour faire émerger une demande auprès d’un large public consommateur, lui rendant une grande reconnaissance qui lui a valu une dizaine de disques d’or et autres récompenses de prestige. Aujourd’hui, avec une kyrielle de musiciens et groupes qui possèdent les potentiels pour mieux couvrir de nombreux marchés internes et extérieurs aux DFA.

 Or, durant de telles périodes favorables, lorsque la dynamique offre-demande provoque beaucoup plus d’étincelles qu’à l’habitude, le secteur de la musique, comprenant une multitude d’activités et de métiers dans les domaines tels que la formation, le spectacle vivant et le e-commerce, n’a pourtant pas réussi à capitaliser suffisamment de retombées en termes de création d’entreprises, d’édification d’infrastructures diverses et de gains significatifs en emplois directs et indirects.

 La demande est bien sûr la résultante des revenus. Même s’il existe de grandes disparités dans la structure des revenus des domiens et que seul un petit nombre possède des revenus élevés, les statistiques ont toujours confirmé la vitalité de la consommation. Là où les besoins connaissent des problèmes de débouchés, dus souvent à une demande non solvable, il en va autrement lorsque l’on examine les échantillons de population qui font l’acquisition des biens d’équipement. C’est encore le cas des biens de loisir lorsque l’on constate l’engouement du public lors des rares événements dans certaines activités.

 La demande, elle est aussi exprimée depuis l’extérieur. Comment ne pas alors immédiatement évoquer la non satisfaction de cette demande émanant des originaires d’outre-mer formant le « sixième DOM » en France métropolitaine, souvent en quête d’éléments de leurs traditions et patrimoines culturels les rapprochant de leurs îles ? Quelques exemples : c’est une situation bien réelle du marché de la musique de voir beaucoup d’œuvres autoproduites localement, en tirage limité, et malheureusement absentes sur les marchés national et international ; il est arrivé plus d’une fois qu’un album, même primé par la SACEM dans les DFA, reste inconnu chez les grands distributeurs nationaux ; il est arrivé que certaines productions se soient bien vendues sur le marché local, jusqu’à épuisement, et demeurent ensuite non disponibles, alors même que des consommateurs les réclament ; il importe de noter la pauvreté de l’offre de DVD musicaux des artistes des DFA, notamment lors de la période clé de noël ; il faut relever les situations d’absence en ce qui concerne l’exportation d’instruments spécifiques des DFA ; etc.

 La demande enfin, est aussi fortement influencée par les médias, qualifiés si pertinemment par Mario d’Angelo1 de consommateurs intermédiaires puissants. En regard de leurs audiences très larges et de leur grand pouvoir d’impact auprès de publics diversifiés, les radios et les télévisions tiennent certainement une place centrale dans la formation et l’évolution de la demande de produits musicaux. Ils peuvent faire et défaire le cheminement commercial d’un album, d’un artiste. Le phénomène télévisuel à la mode en France métropolitaine de fabrication de toute pièce d’une star de la chanson, reproduit un temps sur les chaînes de télévision locales dans les Antilles et en Guyane, a bien illustré ce pouvoir des médias qui ont ainsi la capacité de faire si réellement elles le veulent.

 Si l’environnement de la demande que nous venons de décrire brièvement laisse transparaître des images globalement reluisantes de perspectives, en est-il de même du coté de l’offre ?

 D’abord, nous avons mis en évidence des situations de besoins non satisfaits et de demandes réelles et potentielles dans bien des créneaux. Le corollaire est fort logiquement la nécessité de mettre en face les produits et les services qui formeraient alors l’offre adéquate. Nous pouvons ainsi aborder les questionnements induits, en particulier la faisabilité, le financement et les politiques publics d’accompagnement.

 Est-ce faisable de constituer une offre viable dans le secteur de la culture ?

 Les difficultés de l’offre dans les DOM sont liées principalement à l’importance des coûts, aussi bien ceux du travail que ceux du capital. Eu égard aux piètres performances des DOM en matière de compétitivité de production, on peut d’amblée être teinté de scepticisme quant à la réussite de toute initiative visant à stimuler et développer l’activité des entreprises et l’emploi sur leurs territoires.

 Sur cette question de compétitivité précisément, qu’en est-il des biens culturels ? Y a-t-il des spécificités dans le cas des Antilles et de la Guyane ?

 Prenons d’abord quelques instants pour rappeler la définition de la notion de biens culturels.

 Il est même plus pertinent de considérer la notion de produits culturels qui est plus large et qui inclut précisément celle de biens culturels et de services culturels. Ces nuances et distinctions sont explicites dans la description des statistiques culturelles de l’Unesco2. S’agissant des premiers on peut lire : « Les biens culturels sont des biens de consommation qui véhiculent des idées, des valeurs symboliques et des modes de vie, qui informent ou distraient, contribuant à forger et à diffuser l’identité collective tout comme à influencer les pratiques culturelles. Protégés par le droit d’auteur, ils résultent de la créativité individuelle ou collective qui se transmet sur des supports susceptibles d’être reproduits et multipliés par des procédés industriels et distribués ou diffusés massivement. Livres, revues, enregistrements sonores, films, vidéos, séries audiovisuelles, produits multimédia, logiciels, produits de l’artisanat et design constituent l’offre culturelle, riche et diversifiée, mise à la disposition du public ». S’agissant des seconds, une définition tout aussi précise décrit que « Les services culturels sont des activités qui, sans prendre la forme de biens matériels, répondent à une idée ou à une nécessité d’ordre culturel et se traduisent par des mesures d’appui à des pratiques culturelles que les Etats, les institutions publiques, les fondations, les entreprises privées ou mixtes, mettent à la disposition de la communauté et qui incluent, entre autres, la promotion des spectacles ainsi que la conservation et l’information culturelles (bibliothèques, archives, musées, etc.). Ces services peuvent être gratuits ou payants ».

 

Assurément, les marchés culturels guyanais, guadeloupéen et martiniquais proposent des items pour quasiment tous les produits de cette large palette de l’offre culturelle. Avec les librairies et boutiques spécialisées ainsi que les grandes surfaces commerciales, il est aisé de se procurer des livres, des produits multimédia, des logiciels, des revues. Les produits qui font appel à nos sens auditif et visuel font également partie de notre univers quotidien. Les services quant à eux sont caractérisés par une existence très variable d’un territoire à l’autre. Des événements comme les spectacles de musique et de théâtre sont coutumiers, d’autres comme les visites de musées et le tournage de documentaires et œuvres de cinéma sont moins fréquents mais présents.

 De façon globale, il faut surtout prendre acte que, largement ouvert au monde, les marchés des DFA, aussi éloignés des grands centres occidentaux et aussi petits qu’ils soient, absorbent un quantum de produits culturels faisant la part belle aux produits venant de l’extérieur.

 Cette observation doit mettre en relief l’élément essentiel de notre interrogation qui consiste à défendre pour chaque DFA l’idée d’une place plus importante et d’une visibilité effective de produits culturels issus de créateurs et producteurs installés dans leurs communes.

 Le fonctionnement de l’économie de marché basé sur la concurrence explique largement le fait que beaucoup de produits ne peuvent être élaborés sur place, c’est le cas des divers biens multimédia, des livres, etc. Les goûts des guyanais, guadeloupéens et martiniquais qui ne sont pas insensibles aux phénomènes de mode impliquant l’appropriation de biens culturels des autres nations contribuent aussi à la configuration actuelle de leurs marchés des produits culturels.

 Le problème du coût se pose réellement. Mais évidemment, autour des biens culturels physiques importés, produits ailleurs et à côté de tous les autres biens et services culturels présents sur le marché, il faut noter que des produits culturels locaux interviennent et que d’autres peuvent émerger. C’est le cas de l’album d’un musicien. S’il est proposé sur le support d’un CD, de par son coût de revient, le produit acheté par le consommateur est fabriqué hors des DFA, mais il reste qu’il n’est qu’un support de l’œuvre musicale qui est celui de l’artiste. Si le succès est au rendez vous, un tel produit servira de courroie d’entraînement de multiples activités : diffusion sur les radios, réalisation d’un clip et diffusion des images sur les chaînes de télévision, passage dans les « boîtes de nuit », organisation de concerts, etc. S’il est mis en vente par le biais d’Internet, il mobilise aussi toute la chaîne de commercialisation en ligne qui repose aussi sur divers acteurs. Aussi, pour cet exemple de la musique, il s’agit là d’autant d’activités qui impliquent une contrepartie monétaire en termes de recettes et de revenus pour différents acteurs et aussi d’emplois. C’est au bénéfice de l’artiste et d’autres acteurs locaux que pourraient s’accumuler de tels gains lorsqu’une dynamique existe dans le secteur de l’économie de la musique, autour d’une offre de biens et services qui répond aux attentes du public, de partenaires pouvant impulser et pérenniser les activités en question, de structures administratives jouant pleinement leur rôle d’accompagnement.

 De façon générale, face à ces contraintes supplémentaires liées aux coûts, faut-t-il en rester au statu quo ?

 Les voies du salut pour le secteur culturel de chacun des DFA sont sûrement à rechercher dans une démarche collective. Débordant le secteur de la culture lui-même, c’est une vision similaire mais encore plus ambitieuse que le ministre de la culture et de la communication, Renaud Donnedieu de Vabres avait esquissé au sujet du devenir et du rôle de la culture pour la France. Il affirmait en 2005 : « Nous devons mettre en valeur nos talents, qui sont bien plus vigoureux et nombreux que nous le croyons. Notre potentiel est immense. Encore faut-il que chacun en prenne toute la mesure. Cette redécouverte du capital et des richesses culturels de la France passe par la reconnaissance de la nécessité de l’effort et du travail de chacun, par l’ouverture des esprits, la fièvre des savoirs, le souci de la préservation et de la diffusion de notre patrimoine et de nos créations ». La Guyane, la Guadeloupe et la Martinique, qui se sont forgées d’un côté dans les contraintes et les atouts liés à leur positionnement géographique, et de l’autre côté des entremêlements douloureux de sociétés et civilisations africaine, européenne, indienne, caribéenne, américaine et amérindienne possèdent de fait un patrimoine haut en richesses de toutes sortes, alliant ressources, paysages, créativité, culture vivante, etc.

 Plaçons alors ces patrimoines dans une dynamique de catalyseur du développement de l’offre, l’offre du tissu des entreprises artisanales qui doit se consolider, l’offre de l’économie fondée sur le savoir qui continue à piloter le succès des grands pays industrialisés, l’offre du secteur agricole qui doit se reconstruire, l’offre de l’économie de la biodiversité qui enregistre depuis quelques années une montée en puissance partout dans le monde, …, l’offre du secteur culturel dont il est question ici.

 Sur le champ d’exploration des possibles dans ces différents secteurs, les pistes ne manquent pas.

 Revenons encore une fois à la musique. Il y a l’exemple de l’offre de produits multimédia, les traditionnels (DVD, etc.) et ceux découlant des avancées technologiques récentes. Le DVD a vu ses coûts de réalisation considérablement baissé et parallèlement, le savoir faire de jeunes créateurs s’est affirmé à travers quelques cas disparates. Il y a l’exemple de l’offre de festivals. Kayenn Jazz Festival, Lamentin Jazz Project, Martinique Jazz Festival, Terre de Blues de Marie-Galante, Gwoka Sentann,…, ils drainent chacun, chaque année, plusieurs milliers de participants de multiples provenances. Certainement, ils font partie de ces valeurs sûres dans le champ des événements culturels des Antilles Guyane aptes à offrir de véritables opportunités de dynamiques économique. En effet, après plus d’une dizaine d’années d’existence pour chacun, ils peuvent s’investir plus dans les modèles de management et outils de développement qui font le succès des grands festivals à travers le monde. A la date d’aujourd’hui, il faut malheureusement souligner que pour la majorité des festivals musicaux dans les DFA, le constat est encore celui d’une sous optimalité des retombées financières directes sur l’économie locale, d’une insuffisante dynamique commerciale de produits dérivés (DVD pour la mémoire des images, objets de souvenirs, cuvées spéciales, etc.), etc.

 

 Conclusion

 Dans ce texte nous défendons l’idée que le secteur des industries culturelles et créatives (ICC) au sens large devrait constituer l’un des arbres portant les mutations des économies des DFA dans les années à venir et que ses branches musicales peuvent vraiment grandir pour engendrer une croissance riche en fruits.

 Dans cette optique, des initiatives devraient venir des pouvoirs publics et en particulier du pouvoir local, afin d’écrire des partitions qui mettent l’intonation sur des choix stratégiques visant des mutations économiques sur la valorisation des ressources culturelles des populations et de leurs identités. Loin de l’enfermement sur soi même, la notion d’identité ici est celle si chère à Edouard Glissant, l’identité-relation qui est indissociable des appels de contacts entres cultures. Lorsqu’il affirme : « Avoir quelque chose à échanger qui soit le produit de notre activité créatrice, et même si c’est le sable, le soleil et les paysages, il faut que nous les transformions, pour nous et pour les autres, en éléments actifs et dynamiques d’une culture que nous maîtriserions », comment ne pas voir les facettes authentiques de la musique et plus largement celles des multiples disciplines des ICC comme des vecteurs de progrès dans le remodelage de la structure créatrice de richesses de nos pays ?

 1 Mario d’Angelo, Socio-économie de la musique en France. Diagnostic d’un système vulnérable, La Documentation française, 1997.

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