Voir l’olivier lors de la nuit des AMD Guadeloupe

— Par Patrice Ganot —

Les AMD, les Amis du Monde Diplomatique, est une association dont un groupe s’est constitué en Guadeloupe. Depuis cette constitution, le groupe a réalisé de nombreuses manifestations. Les plus fréquentes, l’organisation de projections-débats. Elles se déroulent, généralement, à la Médiathèque de Port-Louis. La dernière nous a permis de voir un film documentaire relatif à l’invasion du Panama par les USA, en 1989, et d’échanger avec une jeune femme, chargée à la Région de la coopération Guadeloupe-Panama ; sa grande connaissance du pays a rendu cet échange des plus passionnants.

Le groupe des AMD organise aussi, à la salle Robert Loyson du Moule, « LA NUIT DU FILM ENGAGÉ ».

Il s’agit de projections de 4 films, entrecoupées de débats avec des intervenants choisis en fonction des thématiques « engagées » par les films.

En février 2016, la première « NUIT » nous a permis de voir : « La classe ouvrière va au paradis », « L’expérience Cecosesola », « Les couilles de l’éléphant », « La Terre Promise ».

Le 24 février dernier, deuxième nuit, : « l’olivier », « Jikoo, la chose espérée », « Guibord s’en va-t-en guerre »,  » Gulîstan, terre de roses ». Pour les deux premiers films, il a été prévu des discussions autour, notamment, de l’Agriculture, de la Nature. Deux Agriculteurs « Bio », la Présidente de l’Aplamedarom (Association pour les Plantes Médicinales et Aromatiques de Guadeloupe) et le Président de l’Association Collectif Vigilance Citoyenne, avaient été invités pour le débat.

La biodiversité, l’utilité de l’arbre, l’agriculture (quelle ?), la protection de l’environnement, etc. ont été signalées comme sujets abordés par les deux films. La métaphore, quasi biblique du premier (olivier arbre de la paix, le rameau ramené par la colombe de l’arche*, etc.), n’a échappé à personne.

Pour ma part, j’ai pensé que le premier(1) n’avait peut-être pas sa place dans une NUIT DU FILM ENGAGÉ. En ce sens que l’engagement, auquel on s’attend dans une telle séance, organisée par les AMD, serait plutôt illustré par des films du genre d’un « Merci Patron ! » que l’association a fait connaître au public guadeloupéen dès sa sortie. Ou d’un « La classe ouvrière va au Paradis », cité plus haut.

Les intervenants m’ont paru hors sujet par rapport au film ; en réalité, c’est « l’olivier » qui était hors sujet, par rapport à la « NUIT ». Sauf à y débattre du mot « engagement » sous l’angle de la philosophie (« Pour les existentialistes, acte par lequel l’individu assume les valeurs qu’il a choisies et donne, grâce à ce libre choix, un sens à son existence. » -site des Éditions Larousse).

Mais quel bonheur nous avons eu de pouvoir visionner ce film, roboratif, jubilatoire ! Merci les AMD !

Développons notre propos !

Le synopsis de la Fiche technique est ainsi rédigé :

« Alma, jeune femme engagée, reprend l’exploitation agricole de son grand père. Ce dernier a été contraint de vendre son olivier millénaire à une multinationale et ne s’en est jamais remis. Alma décide de renverser l’ordre établi et remonte la piste de cet arbre unique, dernier ancrage dans ses terres familiales. Ce voyage rocambolesque l’amène au coeur d’un combat de David contre Goliath. »

L’affiche attire l’attention sur le fait que l’histoire a été écrite par le scénariste de Ken Loach, Paul Laverty (des derniers, « Moi, Daniel Blake », « Jimmy’s hall », « la part des anges », au premier, « Carla’s song »).

Avec un pareil scénariste, « l’olivier » ne pouvait être qu’un film engagé… Pour la petite histoire, la réalisatrice, Icíar Bollaín, est la compagne de Paul Laverty qu’elle a rencontré suite à sa participation en tant qu’actrice au tournage de « Land and Freedom ». Forcément du cinéma militant !

Tel que nous l’avons vu, le sujet du film n’était pas la protection de l’environnement, ni l’activisme politique (écolo ou pas) ; pas l’agriculture, pas davantage la biodiversité, …

Mais la transmission et le passage de relais ;

Le rite initiatique ;

Non pas le graal, mais la quête, pour elle-même ;

Mais également, la liberté qui s’augmente en libre-arbitre.

Le sujet de « l’olivier » c’est LA VIE. Si j’ose dire, « Tout simplement » : Les générations se suivent. Au bout de leur cycle de vie, les anciens doivent laisser la place aux jeunes. Sans doute métaphore très appuyée, le grand-père meurt juste quand la petite-fille est parvenue à remonter sur l’arbre de son enfance. Un cycle s’achève, un autre peut commencer.

Air connu. Le grand-père d’Alma a été très dur avec ses fils, le traditionnel « pater familias », quand il devient, sautant une génération, un « grand-père gâteau » pour sa petite fille. Pourtant, il a fini par céder à ses fils et accepter la vente de l’olivier.

De nombreuses analepses nous montrent la complicité du grand-père et de sa petite-fille (encore enfant), avant l’arrachage de l’arbre, et la scène de l’arrachage, elle-même, au cours de laquelle, il est le seul à pouvoir la faire descendre de l’arbre sur lequel elle est montée pour arrêter la pelleteuse.

C’est lui qui a appris à sa petite-fille comment préparer un rameau d’olivier, réaliser une greffe en fente, avant de le replanter.

La transmission, elle également, a sauté une génération. Le père d’Alma n’a pas assuré ; c’est du reste lui le principal instigateur de la vente de l’arbre. Sa femme, la mère d’Alma, les a quittés. Les affaires ne vont pas fort, ils ont besoin de l’argent que va rapporter la vente. On l’apprendra plus tard, les 30 000 pesetas de la vente de l’olivier ont servi en fait (ce ne pouvait être un prêt bancaire) à graisser la patte de quelque élu pour obtenir l’autorisation de construire une sorte de restaurant (ou une boîte) qui finalement ne sera pas des plus rentables. Intrusion de l’évolution de la société, précisément de l’économie, dans l’ordre « traditionnel » de la maison ; non le sujet, mais un des éléments du récit.

Quand l’histoire démarre, le Grand-Père s’est enfermé dans un profond mutisme. Une véritable absence. Un matin, il n’est plus dans la maison, il a disparu, provoquant l’inquiétude de la famille. Alma, finira par le retrouver devant une pyramide de cailloux entassés à la place de l’arbre. L’olivier arraché, il y a quelques années. Elle le ramène. Mais il s’enfonce de plus en plus dans son absence. Le père d’Alma a les pires difficultés pour lui faire avaler quoi que ce soit ; Il se laisse mourir. L’affection de sa petite-fille n’y change rien.

Elle comprend que, plus que la mort de sa femme, ce à quoi ils ont d’abord pensé, la disparition de l’olivier le hante. Nous estimons pouvoir donner l’interprétation suivante, sa femme est morte « naturellement » ; c’est dans l’ordre des choses. En revanche, il a fini par accepter que l’on arrache l’olivier, il se sent responsable de cette disparition. Il a trahi les générations précédentes qui le lui ont transmis. L’arbre ne lui appartenait pas. Au terme de sa vie, le remords est sans doute devenu insupportable.

Pour sauver son grand-père, le ramener à la vie. Alma décide de retrouver l’olivier ; elle se persuade qu’il est encore en vie. Elle apprend qu’il a été acheté par une multinationale allemande. Elle doit le ramener. La quête2 commence. Pleine de péripéties et de rebondissements, elle nous réjouira.

Un « objet » encombrant accompagne assez tôt cette pelicula de carretera (en anglais, road movie) ; son rôle nous a semblé dépasser celui de support des scènes burlesques qui lui sont liées.

C’est de l’oncle qu’il s’agit. Il s’est laissé entraîner dans ce projet qu’il juge au départ complètement fou, sur la foi d’un faux document (une lettre), créé par sa nièce (l’arbre est à la disposition des légitimes propriétaires pourvu qu’ils viennent le récupérer) et par le « prêt », à l’insu de son propriétaire (absent pour quelques jours), d’un camion grue. Au début du périple, il est au volant, l’équipée passe non loin de la maison de quelqu’un qui lui doit beaucoup d’argent. Il fait le détour. Le débiteur, prétendument insolvable, habite une villa très kitchement hollywoodienne, dotée d’une somptueuse piscine sur le bord de laquelle trône une énorme réplique de la statue de la liberté. Le débiteur feint d’être absent. L’oncle embarque la statue. Opération pas très difficile avec la grue dont le camion est équipé. Cet imposant trophée, bien arrimé sur le plateau du camion (provoquant des réactions diverses), ils arrivent à Düsseldorf.

Réveil brutal, l’arbre ne se trouve pas dans une église protestante, comme la fausse lettre l’annonçait, mais au rez-de-chaussée, du siège d’une grosse société. L’oncle comprend qu’il a été berné. Il se sent trahi par sa nièce. « J’en ai marre que l’on me prenne pour un con », s’exclame-t-il quand il réalise que sa nièce les a menés en bateau, mais que l’autre chauffeur (fournisseur du camion), lui, avait dès le départ compris la supercherie. Dépité, il annonce qu’il retourne à la maison ; seul si les autres ne viennent pas. Arrivé au camion, pour calmer sa colère, il entreprend de démolir la statue à coups de masse. Il évacue sa rage, la disperse dans les morceaux et les miettes. Statue « de la liberté » détruite, il retrouve son libre arbitre. Ou, plutôt, il en fait la preuve, peut-être pour la première fois (des scènes précédentes nous ont montré qu’il était, lui le cadet, souvent en retrait lors des prises de décision familiale ; il suivait). Il décide de rester, d’accompagner sa nièce jusqu’au bout.

Film engagé (au sens politique, sociétal), pas vraiment donc. Les engagements (écologie, activisme « David contre Goliath ») ne sont que des éléments collatéraux du récit.

Quant à ce que nous voyons de l’agriculture… des oliviers qui ressemblent, au début du film, à de gros bonzaïs -on ne parle qu’incidemment de l’huile, sinon pour nous expliquer que sa production n’est plus rentable- ; une ferme dans laquelle sont élevées des poules, pas en batteries, certes, mais sur le sol peu naturel d’un espace confiné. Une agriculture, pas exactement bio. Aucun projet revendicatif, de ce côté. En outre, cet olivier qui ne rapportait plus, depuis longtemps, n’était pas dans un processus agricole de production d’huile (ni même forestier -l’artisanat fait de beaux objets avec le bois d’olivier) ; c’était une relique3. Ici, on pourra penser que c’était un arbre généalogique.

Quant à ce qu’il est devenu, une fois nationalisé allemand au siège d’une multinationale… Quel curieux symbole que cet arbre (l’individu, pas l’espèce), véritable fossile-vivant (2000 ans, dit le grand-père) soit pris comme logo par une entreprise (productrice d’énergie -avons-nous écrit « fossile » ?) qui se prétend à la pointe du progrès ; qui, pour que les choses soient « claires », l’a enfermé dans une cage de verre ! Pour ouvrir cette cage, quelques touches de militantisme écolo-citoyen sont apportées au scénario. Elles n’ont guère plus d’importance « politique » dans le récit que l’enlèvement de la statue et son arrimage sur le plateau du camion.

Cependant, si nous voulons voir dans cette histoire une parabole « politique », en la période que nous vivons, nous penserons aux candidats qui proposent des changements progressistes de la société. L’un d’entre eux voulant selon ses dires « ré-enchanter ». Certaines propositions de son programme sont jugées irréalistes. Pas finançables. Le projet d’Alma ne l’était pas davantage ; et pourtant, le camion grue était au rendez-vous, le voyage a eu lieu, une chaîne d’internautes s’est mobilisée et a permis la conclusion de la quête, le camion qui avait été emprunté sera rendu à son propriétaire avec une usure raisonnable. (Au bout du conte et du compte, la Troïka n’a pas pris ce « prêt », hors solvabilité, comme argument pour imposer, depuis l’Allemagne, quelque cure d’austérité drastique à l’Espagne.)

Pour « politiser » le film, il nous faut transporter (métaphore) cette histoire individuelle, voire égoïste, à travers sa mutualisation, sa mise ensemble (symbole), jusqu’au projet d’un avenir partagé.

Nous pourrions aussi considérer que c’est un film féministe. Le personnage principal est une très jeune femme -qu’une séquence du film nous montre très « libre » sexuellement- qui tient l’exploitation agricole. Une vraie patronne, souvent autoritaire, parfois irascible. Et c’est elle qui entraîne les autres dans son projet. Ce sont deux amies, visiblement en couple, qui l’aident. En Allemagne, les internautes qui prennent le relais, et qui transmettent le projet aux réseaux sociaux des mouvements écolos activistes, encore qu’elles ne soient pas unanimes, sont exclusivement des jeunes femmes. Hors les camarades que l’on distingue à peine dans les mouvements de foule, les hommes -ceux qui ne sont pas avec Alma- bien visibles dans leur virilité seront le Patron et les vigiles du siège de la multinationale. Proches d’Alma, le Grand-Père a démissionné, le Père également (on apprend même qu’il n’a pas défendu sa fille contre l’associé du restaurant qui la harcelait sexuellement). L’oncle, très sympathique, paraît faible. Quant au plus jeune, il est amoureux d’Alma ; sa quête à lui sera de la conquérir.

Rite initiatique. De gamine, volontaire mais capricieuse, encore qu’attachante, inconséquente mais sachant entraîner, qu’elle était jusque-là, Alma est redescendue adulte, de l’arbre devenu logo, exposé

dans son siège par une multinationale allemande (mais au fait, peu importe le nouveau propriétaire !). Elle n’est pas revenue avec l’olivier, mais -le but a tout de même été atteint- avec un de ses rameaux. Il sera planté. Il deviendra grand (et, peut-être, producteur), pourvu que… et cætera.

Le passage symbolique de relais a lieu, au-dessus du lit, avec la dépouille du Grand-Père. Suit la cérémonie, religieuse -au sens étymologique. Non ! pas l’enterrement du Grand-Père -il ne nous est pas montré-, mais la plantation du rameau. La famille et les proches (dont la femme de l’oncle, qui ne l’a jamais vraiment quitté ; lui aussi est revenu adulte) sont présents. Les deux amies se tiennent par la main, sans que cela choque qui que ce soit. C’est le père d’Alma qui pratique la greffe préalable à la plantation. La technique lui a bien été transmise. Chacun reprend sa place, pour le cycle nouveau.

La fin n’est pas vraiment ouverte. Cela ne souffre aucun doute, Alma va épouser (mariage ou pas) celui qui l’aime depuis longtemps (celui qui au risque de perdre son travail a emprunté le camion de son employeur, pour lui permettre d’aller au bout de sa quête ; et l’accompagner). Ils auront des enfants ; le père d’Alma deviendra, à son tour, Grand-Père…

LA VIE, quoi !

La preuve ? Alma entend, à nouveau, le verdier siffler.

Le 1er mars,

Patrice Ganot

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1 – « l’olivier », nous n’avions jamais entendu parler de ce film. Le titre, pour un film « engagé », nous a d’abord fait penser qu’il se passait en Palestine.

2 – En termes de « quête » nous avons pensé au « The Fisher King » de Terry Gilliam. Nous avons également pensé au récent « Juste la fin du monde ». Voyage inverse, en quelque sorte : le héros revient voir sa famille, pour une dernière rencontre. Film remarquable, sur le plan cinématographique, scénario, caméra, bande-son ! Mais la famille de ce film-là ne nous a pas convaincu (sauf la belle-soeur, peut-être ; ses échanges non verbalisés avec le héros dont elle paraît seule comprendre, deviner plutôt, la raison du retour). L’espagnole est beaucoup plus crédible, dans ses atermoiements, ses crises, ses blagues, ses coups de colère et de folie. L’incapacité d’exprimer les vraies raisons, du voyage pour l’un, de l’absence à l’anniversaire de sa femme pour l’autre, la réalité du projet dans les deux, « les lèvres qui se collent », le mensonge qui s’impose quand on voudrait dire la vérité, sont présentés dans les deux films ; mais de manières très différentes.

3 – Il y a dans un square de Paris, un arbre, que l’on conserve comme un objet sacré. Il a moins de 2000 ans, mais tout de même, il a été planté en 1602 par le jardinier du Roi (Henri IV, à l’époque). Il s’agit d’un Robinia pseudoacacia, (Robinier faux-acacia). Le nom du genre, Robinia, lui a été donné en hommage à la mémoire du jardinier royal, Jean Robin, et de son fils, Vespasien, également botaniste.

Cet arbre est maintenu en (sur)vie dans un square de grande ville, pas dans une exploitation agricole.

* – Où il est question d’arbre abattu et de générations : de Robert DESNOS,

La Colombe de l’arche

Maudit !

soit le père de l’épouse

du forgeron qui forgea le fer de la cognée

avec laquelle le bûcheron abattit le chêne

dans lequel on sculpta le lit

où fut engendré l’arrière-grand-père

de l’homme qui conduisit la voiture

dans laquelle ta mère

rencontra ton père.