Un OVNI théâtral : « Mur Mur » de Nicolas Dewynter.

— Par Dégé —
Compagnie Du Oui. Avignon 2017

On sort de là assommé. On a besoin d’en parler. Par petits groupes sur le trottoir… Les gens échangent volontiers à Avignon. Dans les files d’attente trop longues, chacun interroge ou conseille sur ses coups de cœur. Mais pour Mur Mur, il faut prendre une pause avant de courir vers un autre spectacle. Se remettre, essayer de comprendre.
C’est une pièce particulière, à part. D’une violence inouïe. Sur le fond comme sur la forme. C’est bien du théâtre mais sans dialogue, sans monologue. Des phrases de temps en temps. échappées des coulisses ou d’un discours simulé.Ce n’est pas du mime non plus car il n’y a pas de silences. Beaucoup de bruits, d’onomatopées,de musiques hurlantes. Les gestes, les déplacements sans élégance ni souplesse sont saccadésheurtés, mécaniques.Ce n’est ni une comédie ni un drame ni une tragi-comédie et en même temps c’est tout cela.Nicolas Dewynter, l’auteur, « le compositeur de la pièce », la qualifie de «tragédie clownesque ». Il y a des rires, des larmes, des caresses, un jeu, des jeux, de la maltraitance, un mariage, de la peur, de l’amour, des cris de toutes sortes, de la danse…la mort. De très beaux arrêts sur image comme celle de l’homme en ombre chinoise qui la nuit se transforme en loup. Ou la lutte physique du couple. La violence n’est pas montrée « en cours », on ne voit que son résultat : cocards, mains coupées…
Cela se passe dans un espace sans issue, des murs tendus de plastique noir, au sol des sortes de draps qui colmateraient des fuites, ou des linceuls enveloppant un cadavre, car la scène s’ouvre sur un fantôme dressé et sur un « militaire » médaillé de porte-clefs, chaussé d’immenses pantoufles à tête de lapins. C’est un clown. Ouf, on va rire et comme le suggère le titre si on ne s’inquiète pas de l’orthographe, il s’agira de plaisir et chuchotements.
Le clown s’amuse à balancer des ampoules électriques entourées d’abat-jours en papier sur lesquels on devine des phrases manuscrites. Elles s’allument et s’éteignent au gré du personnage. Il faut saluer ici le travail du technicien éclairagiste pour sa synchronisation avec les impulsions données, les alternances de noirs, surexposition ou douces lumières. Avec le vacarme sonore, la régie ne chôme pas.Appelée « Tondeuse » ou « Machine », une femme aux yeux écarquillés, visage barbouillé de blanc, sourire factice presque constant, se tient debout et applaudit à tout ce que le clown, son mari, lui offre : cadeaux, emprisonnement, mariage, coups…Pourquoi agit-il ainsi ? Pourquoi ne réagit-elle pas ou pas plus ou pas encore ? Pourquoi, pourquoi, dix mille fois pourquoi ?S’agit-il de prostitution, de kidnapping, de sadisme, de masochisme, des deux, de maltraitance conjugale, de handicap mental, d’antimilitarisme, de jeu, de perversité…? De perversion sans doute…De serial killer…? Chacun peut projeter ses fantasmes ou ses certitudes.
Le jeune couple de comédiens, Elisabeth Andres et Pascal Roubaix, l’est aussi dans la vie réelle. On peut se demander s’il pourra survivre à un tel traitement quand on sait, par Lorenzaccio, que le masque finit par coller à la peau. Ils sont créateurs en famille de la pièce et appartiennent à ces nouvelles générations nourries aux films d’horreur, aux journaux télévisés à sensations, aux sauts à l’élastique, aux grands huit des parcs d’attractions : la peur est une habitude, un plaisir recherché.
« Mur Mur n’a pas vocation à faire passer un message ou à donner une leçon de vie, dit le flyer, il s’agit de se confronter à ce qu’il y’a de plus noir dans le clown ». Mail s’agit bien de faire apparaître aussi « le ridicule » de la victime (sic) ce qui interroge…Voilà la deuxième année que la pièce tourne avec succès en France métropolitaine, les associations féministes comme les amoureux de l’insolite i.e de l’art ne peuvent que souhaiter la venue de Mur Mur en Outre-mer.
Par Dégé. Compagnie Du Oui. Avignon 2017