Un Batman dans ta tête

— Par Michèle Bigot —

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Un Batman dans ta tête © Lola Carrère

De David Léon

Mise en scène : Hélène Soulié

Avec Clément Bertani

Festival d’Avignon, off 2016, Artéphile, 7-30/07

On n’en sort pas indemne. David Léon n’en finit pas d’explorer les dérangements de l’esprit. Dans un monologue traversé par nombre de paroles étrangères, Matthieu, un adolescent schizophrène nous dévoile le cheminement qui le conduit de l’enfance d’un garçon mal aimé au délire violent de l’adolescent éperdu. Son seul compagnon d’errance est une figure de Batman, qui lui tient lieu d’alter ego, d’inspirateur et de mentor. Batman représente pour lui la figure idéale du pouvoir et du dépassement de soi.

Loin des criailleries de celle « qui ne voulait pas être une maman », parfois accompagné de son double, Matthieu s’isole dans son délire. Le texte du monologue suit le mouvement ; passant de la narration aux paroles rapportées, il se présente comme un patchwork de voix, qui résonnent dans l’esprit de Matthieu. Chaos d’idées, de sensations, de souvenirs, sa tête est la caisse de résonnance des émotions qu’il n’a pas su contrôler. Alors Matthieu se réfugie derrière sa console, à l’abri de la fureur du monde.

Le texte s’inspire d’un fait divers : à Béziers, un élève avait menacé ses camarades avec un hachoir, pour pouvoir ressentir une émotion. Hormis la masturbation qu’il pratique assidument, l’adolescent reste coupé des sensations de son corps. A force d’encaisser indifférence, hostilité, voire injures de la part de ses proches, Matthieu sent monter en lui la rage qui menace d’exploser à tout moment.

Le comédien Clément Bertani réussit la prouesse d’incarner un Matthieu non seulement crédible, mais sensible, attachant, quoique redoutable dans ses emportements furieux. La mise en scène de Hélène Soulié est en tout point remarquable. La plus grande sobriété se met au service de ce débordement progressif d’émotion. Le travail du rythme est ici essentiel pour restituer la montée de ce délire.

Matthieu est assis dans sa baignoire et s’adresse à lui-même comme à son double, reflété par un miroir incliné. Admirable métaphore de la schizophrénie, qui occupe tout l’espace scénique et s’impose aux spectateurs avec une évidence brutale. Le jeu des couleurs connote l’univers de Batman, tout en noir et jaune, assez criard pour refléter la violence des émotions et des paroles. Peu d’évolution dans la scénographie, si ce n’est que Matthieu change de position et que le miroir, changeant de degré d’inclination en vient à refléter les remous troubles de son bain.

Toute la force de l’expression est dévolue à la voix de l’acteur, à ses variations de rythme, de ton, d’intensité. Le corps de Matthieu traduit dans sa gestuelle la souffrance qui s’empare de lui.

Aucun objet superflu, aucun geste inutile, aucune parole vaine ; tout fait sens dans ce montage serré de l’écriture scénique : la scénographie, la bande son, le monologue, tout concourt à l’installation de cette « tempête sous un crâne ».

Spectacle très remarqué dans le off 2016 que celui d’Hélène Soulié et mémorable performance de son comédien Clément Bertani !

Michèle Bigot


EXTRAITS DE PRESSE

L’Humanité – Jean-Pierre Léonardini
Avec Un Batman dans ta tête, solliloque écrit par David Léon, Hélène Soulié, qui l’a mis en scène, confirme l’évidence d’un talent fertile qui nous était apparu lors de sa précédente réalisation du Petit Eyolf d’Ibsen. (…) En un mot comme en cent, Un Batman dans ta tête témoigne à l’envi d’un travail théâtral artistement pensé et vécu.

France Inter – Stéphane Capron

La mise en scène d’Hélène Soulié est un excellent contre-point au texte coup de poing de David Léon. On sort bouleversé de ce spectacle.

Le Monde -Brigitte Salino

Le comédien et la mise en scène font battre, jusqu’au vertige, le coeur de ce texte dont la matière pourrait être un cliché moderne, l’influence des jeux vidéo sur l’esprit d’un adolescent, si David Léon n’atteignait les zones où se nouent les troubles mortels d’une vie. C’est dur mais productif : remuant.

Libération – Carole Rap

Une émotion en profondeur.

France Culture – Joelle Gayot

Trop de silence entoure l’écriture de David Léon. Il est temps de le rompre en plaçant, face aux micros de France Culture un écrivain dont les mots ne comptent pas pour rien. Des mots qui forent, avec acharnement et virtuosité, l’implosion des pensées, l’atomisation des consciences.