Trois films, trois visions d’une humanité en souffrance !

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— Par Janine Bailly —
L’opération « Séance VO », qui se déroule sous la double égide de l’Atrium et de Madiana, commence en force ce mois d’avril ! Les trois films que j’ai vus ne peuvent laisser indifférents, et l’on sort de la salle ému, perplexe, indigné, satisfait ou contrarié, en tout cas porté à la réflexion et à l’échange avec ceux qui ont assisté aux mêmes séances. Quand le cinéma pousse à la discussion et rapproche les pauvres humains trop solitaires que nous sommes parfois, quand il renoue des liens distendus et génère la communication, c’est forcément un bon, un grand cinéma !
Snow Therapy, drame réalisé en 2014 par Ruben Östlund, ou comment le couple se délite à la faveur d’une avalanche venue troubler la photo de famille idéale qui ouvre le film. Des enfants âpres, qui semblent prendre le pas sur des parents obligés, pour pouvoir se parler, de se tenir dans ces couloirs de beau bois blond, mais cependant kafkaïens, d’un hôtel de luxe étrangement désert. Un père qui n’a pas assumé le rôle de héros, rôle auquel il est tenu par une société qui sait si bien attribuer à chacun sa place. Une mère exigeante, femme à la recherche de la vérité, s’appuyant sur les autres pour obtenir de l’homme l’aveu de sa lâcheté, mais femme prise elle-même de panique dans cette scène finale où l’on voit un conducteur incapable de manœuvrer le car qui ramène les skieurs vers la vallée. Le couple est-il ou non ressoudé ? La question se pose puisque c’est à l’ami et non au mari que sera confiée la fillette fatiguée de marcher.
Léviathan, drame réalisé en 2014 par Andrei Zvyagintsev, ou comment la classe moyenne russe vit la décomposition de son monde, noyée dans des flots d’alcool, dévorée par la corruption ambiante, écrasée de culpabilité. Corruption : le maire, ignoble personnage bouffi, veut exproprier Kolia le petit garagiste, récupérer sa terre en vue d’une opération immobilière juteuse, et l’avocat, venu de Moscou se perdre dans ce Nord en souffrance, n’y pourra rien changer, car l’édile a des appuis en haut lieu. Alcool : scène d’anthologie, ce « duel » grotesque entre Kolia l’exproprié et Monsieur le maire, duel à l’issue duquel ce dernier chancelle, ivre de vodka, dans les bras d’un garde du corps très vigilant. Sentiment de culpabilité : l’épouse qui s’éprend de véritable amour pour cet avocat, si doux en comparaison de son mari, mais qui revient en larmes au logis, Pomponnette moderne guettée par une mort prochaine. Culpabilité vraie ou innocence bafouée de l’époux accusé du meurtre de sa femme ? Le film nous laisse face à cette ambiguïté qui demeure.
Dear White People, comédie dramatique réalisée en 2014 par Justin Simien, ou comment vivre sa différence dans un monde américain en perte de repères, en recherche de valeurs comme en désir d’un langage qui parlerait le plus justement possible de la couleur des peaux. Ils sont étudiants, ils sont aisés, jeunes et beaux, ils vivent dans une université qui se veut mixte, mais qui se révèle être sans cesse agitée de remous, de tensions latentes qui finiront par éclater dans un rude affrontement final. Dur d’être noir quand les blancs ont toujours eu le pouvoir, dur d’être blanc quand l’héroïne métisse veut que subsiste une résidence noire interdite aux blancs, dur d’être femme si l’on veut se faire élire présidente de cette résidence, dur d’être homosexuel quand cela s’avère être une minorité. Pourtant, dans le secret des chambres, on ne choisit pas son partenaire amoureux en fonction de sa couleur de peau. Quelle solution envisager si chacun campe publiquement sur ses positions tout en agissant dans sa vie personnelle contre des convictions publiquement affichées ? L’ambiguïté est là aussi au cœur du film.
Et puis, si je rapproche ces trois œuvres, c’est encore en raison de l’importance qu’y prennent les lieux et les atmosphères. Snow Therapy, paysages de neige inquiétants, diurnes ou nocturnes, sillonnés par les dameuses aux allures de machines extra-terrestres, fracassés d’explosions destinées à déclencher préventivement des avalanches. Léviathan, tout entier déroulé sous une lumière crépusculaire, riche en longs plans fixes sur une mer déchaînée ou calme, sur de sombres rochers, en parfaite harmonie avec l’état d’âme des personnages. Apparaissent aussi un étrange squelette d’animal blanchi, un monstre serpentant dans les flots (est-ce une baleine ? le Léviathan de la Bible, annonciateur de chaos ? la Bête de l’Apocalypse ?), dans l’eau des carcasses de bateaux rouillées et comme figées pour l’éternité. Terrible est la scène où la machine vient détruire la maison, faisant s’effondrer les murs et poussant de sa gueule de bête inhumaine les témoignages de vie sur la table du déjeuner. Dear White People, un lieu clos, d’où l’on ne sortira pas car non seulement on y travaille mais aussi on y organise des événements festifs, on y anime une radio interne, on y publie des journaux concurrents, on y parle de ce qui se passe à l’extérieur sans jamais y aller voir, on y noue et dénoue des amours contrariées. Lieu qui finit par exacerber les passions et qui enferme dans une atmosphère étouffante et délétère.
Affaire à suivre tout le mois d’avril, sans se découvrir d’un fil car il se peut qu’il fasse froid, le soir, dans les salles climatisées !
Janine Bailly-Chéneau, Fort-de-France, 18 avril 2015