Widad Amra à la Bibliothèque Schoelcher : la poétesse assassinée

 

— par Selim Lander —

Ma voix ténue de femme

en oriflamme

tremble de si peu de lumière.


Widad Amra est professeur de lettres au couvent de Cluny. Elle y préside aux destinées des classes à option théâtre dont on a pu admirer quelques remarquables productions lors des dernières rencontres académiques, au mois de juin dernier. Elle est aussi poète et présentait son dernier opus, Salam Shalom (L’Harmattan, 2008) à la Bibliothèque Schoelcher, le vendredi 14 novembre 2008. Alors que tant de poètes ne parviennent pas à communiquer oralement leurs œuvres, Widad Amra sait dire la poésie comme une comédienne confirmée, ce qui ne l’a pas empêché de donner de son texte une lecture pleine d’émotion et de sincérité.

Elle pratique une poésie sans contrainte de mètre ou de rime, une absence de règle qui se révèle trop souvent pleine de risque, comme le démontent tant de textes contemporains qui n’ont d’autre mérite que la bonne volonté (ou la naïveté) de leurs auteurs. Ce n’est nullement le cas ici, même si l’on doit admettre avec humilité que la poésie contemporaine présente tout autant de risque pour le critique que pour l’auteur. Faute de critères formels irréfutables, le commentaire a tendance à privilégier le fond du discours alors que la poésie – même moderne – devrait valoir avant tout par la manière de dire plutôt que par ce qu’elle dit. La critique se résume alors fréquemment à une simple explication de texte, généralement superfétatoire, là où il faudrait plutôt mettre l’accent sur ce qui distingue l’expression proprement poétique du langage courant. La longue glose, par un philosophe qu’on nous a dit patenté, qui a suivi la lecture de Widad Amra, a fourni une illustration de ce travers de la critique, … dont le public se serait volontiers passé : … poésie assassinée !

Salam Shalom est un poème d’un seul jet, une longue mélopée. Faut-il y voir une influence orientale, puisque Widad Amra est née d’un père palestinien et d’une mère martiniquaise et qu’elle a passé une partie de sa jeunesse en Palestine ? Cette origine explique en tout cas le titre de l’œuvre et son contenu : « Salam », « Shalom », deux manières presque identiques de dire « salut », en arabe et en hébreu. Le titre s’avère on ne peut plus judicieux : le choix de deux termes exotiques et qui font allitération est parfaitement en adéquation avec l’intention poétique de l’auteur. Il annonce par ailleurs très précisément le contenu : bien que semblables, ces deux termes sont différents, différence ténue mais qui peut s’avérer insurmontable comme la distance qui sépare aujourd’hui les Palestiniens des Israéliens. Dans sa brève introduction à la lecture de son poème, Widad Amra a insisté sur la fonction « utopique » du message poétique. Elle voulait dire par là que la poésie est moins là pour rabâcher la réalité que pour affirmer le nécessaire, même s’il s’avère (provisoirement) impossible. Pourquoi pas ? Cela étant, Salam Shalom insiste davantage sur le tragique de la condition humaine – et pas seulement des populations du proche orient : n’évoque-t-elle pas en effet, en passant,

le Vietnam apocalypse

et l’Afrique génocide

le Darfour sans condoléance

et tant d’autres guerres oubliées ? –

que sur les lendemains qui chanteront.

Si Salam Shalom valait uniquement pour son message humaniste, il ne serait pas une œuvre poétique. C’est bien en poète que Widad Amra évoque le malheur :

Depuis les temps immémoriaux

les hurlements tournent en rond

dans la folie de nos mémoires,

ou les destructions :

Du jasmin piétiné tout au long de la route

en un superbe alexandrin. Parmi d’autres, comme ces deux-ci qui s’enchaînent dans le texte :

Mais la vie est passée en mirage de paix.

Ses cheveux ont blanchi des ratés de l’histoire.

Il ne faut pas être surpris de voir une adepte de la prose poétique tomber parfois dans l’ornière des versificateurs à l’ancienne. Me suivra-t-on si j’avance que c’est justement le recours à cet « artifice » d’un autre âge qui nous charme le plus chez les grands poètes de notre temps, à commencer par Perse qui a usé du procédé sans retenue ?

Salam Shalom est le chant de deuil d’un peuple dépossédé, contraint à la violence par une histoire injuste :

La révolte des ventres vides

de là vient le fanatisme.

Et si ceux d’en face ont eu aussi leur part de souffrance, cela ne rend pas plus facile de se comprendre :

Les prières des hommes s’élèvent

sans jamais se rejoindre.

L’avenir n’est certes pas totalement bouché. Comment renoncer à l’espoir d’une renaissance après tant de malheur ?

Cette fois nous ne serons pas la pierre

mais le lierre qui grimpe sur la pierre.

En nous remémorant le drame qui se joue au proche orient, Salam Shalom fait œuvre salutaire. On nous permettra d’y voir d’abord, néanmoins, un beau chant poétique qui nous saisit par ses fulgurances :

Quel est ce mirage

qui donne à nos murs

ce rosé de fin de jour ?

A Schoelcher  le 17/11/08