« Tâche d’encre aux poumons » , de Jean-Durosier Desrivières

stylo

Je ne sais plus parler

Je ne sais plus parler mesdames

Mesdemoiselles et messieurs

Parce que ma tête pense et croit nécessaire

D’ordonner à ma main

De foutre à mes doigts une expansion de doigts

Qui s’arroge le droit de foutre à ma bouche

Une expansion de gueule

Qui elle se prend pour je ne sais quelle

Cheminée

Persuadée qu’elle pourra réchauffer

A la fois de l’hiver-du-gwo-pwèl-

De-la-solitude-et-de-la-mélancolie

Ainsi comprenez bien mesdames

Mesdemoiselles et messieurs

Je ne sais plus parler…

Je ne sais plus parler…

Parce que mes mots me font signe

Qu’ils se sont brûlés les lèvres

A force de flirter avec NICO…

Non pas Nicolas…

Bon vous comprenez…

Et je vous fais confiance…

Donc je me coltine

A persuader mes narines

De ne pas porter foi

Aux paroles de mes mots qui pensent que

L’expansion de mes lèvres

Finira par avoir raison de moi

Ne pouvant plus parler

Je me suis donc mis à écrire…

Aussi j’ai vu mon médecin

Lui il a l’art d’aborder les questions délicates

En ligne de touche

Il sait ce que sait lui prendre la tangente

Alors il m’a dit…

Savez-vous monsieur

Que vous devez vous dispenser de l’autre stylo

Dont vous vous servez

Que voulait-il dire par là

Etait-ce ça…

La scène se passe dans mon bureau mesdames

Mesdemoiselles et messieurs

Ça fait des années que ça dure…

Ma page blanche bien à plat sur le bureau

Je suis fan moi

De la page blanche

Ça fait des années que ça dure…

A ma droite mon stylo qui bave

Et mon stylo qui fume

Je ramène mon stylo qui bave à ma feuille

Ça fait des lettres qui se tiennent bien la main

Et des mots libres déséquilibrés mais libres tout à fait libres

Et dans l’ensemble ils semblent bien s’accorder

Ça fait des années que ça dure…

Je dépose momentanément mon stylo qui bave

Et je prends mon stylo qui fume

Je ramène mon stylo qui fume à ma gueule de bois

Ça me fait donc une expansion de gueule en paille

Avec des volutes de fumées en pagaille qui me caressent le visage

Ça fait longtemps que ça dure…

J’abandonne mon stylo qui fume un moment

En équilibre sur le bout de mes lèvres de saison sèche

Et je reprends mon stylo qui bave

Et je m’obstine à accorder mes mots désaxés… saccadés…

Saccadés brusquement par des toussotements

Ça fait longtemps que ça dure…

Alors docteur

Pourquoi laisser tomber l’autre stylo

Monsieur

Je crains que vos jours soient désormais mal agencés

Car vous vous êtes fait

Une grosse tache d’encre…

Aux poumons….

Jean durosier desrivières, « Tache d’encre aux poumons »,

Pour La Ligue Contre le Cancer, Comité de Martinique