Étiquette : Michèle Bigot

Quand j’étais petit je voterai

— Par Michèle Bigot —
Texte de Boris Le Roy, M.E.S. Emilie Capliez
Que nous réserve cette création de la Comédie de Saint-Etienne ? Et que nous réserve ce chamboulement des temporalités annoncé par le titre ? Assurément on est dans une esthétique du déplacement, du pas de côté. Et c’est raison quand il s’agit d’aborder au théâtre des questions aussi lourdes que l’exercice de la démocratie et l’apprentissage de la citoyenneté. Alors le décalage comique est de mise. Voter, un exercice qui soulève les passions quand il ne génère pas l’indifférence !
Et les ados, comment ils voient les choses ? Ils n’ont pas l’âge de voter dans les élections nationales, mais l’élection d’un délégué de classe peut s’avérer un pur exercice électoral : se présenter comme candidat, faire campagne, argumenter, développer un programme, tout cela c’est déjà la vie politique, celle d’un citoyen, quand bien même on n’en comprend pas tous les enjeux. Le pari est réussi. Il est de l’ordre de la métaphore généralisée : c’est drôle et c’est parfaitement pertinent. Deux acteurs de belle envergure soutiennent la gageure. Lui, surnommé Anar, interprété avec drôlerie et finesse par Simon Pineau, elle, surnommée Lune, jouée avec une malicieuse ingénuité par Elsa Verdon.

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Et dans le trou de mon cœur, le monde entier

— Par Michèle Bigot —
De Stanislas Cotton
M.E.S. Bruno Bonjean
Festival d’Avignon Off, 11 Gilgamesh Belleville 6=>28/07 2017
Le dispositif scénique annonce la couleur : trois échafaudages imbriqués, ils forment passerelle, plateau, support d’acrobaties. Quand on entre, sept jeunes comédiens (trois garçons, quatre filles) tournent déjà autour du plateau. Le sol est jonché de morceaux d’étoffe, des débris, des morceaux d’écorce, allez savoir ! quelques fripes sont accrochées aux barres du praticable. Les acteurs se préparent, ils s’échauffent, s’étirent. La musique monte en puissance, l’échauffement s’organise en chorégraphie. Une logique chorale se met en place. Des corps jeunes, nerveux et souples. Impatients d’en découdre.
Surgit alors la parole : c’est timide, au début, c’est un dialogue qui s’instaure en front de scène entre deux filles, Dorothy et Minou. Elles sont devant une décharge : Dorothy rêve de balancer le « pater »  et la « « mater dans la fosse à ordures. Délire d’ado. Et puis elle a envie d’un burger. Son plan, c’est d’entraîner Minou au BurgerPalace. Mais voilà, Minou elle n’en veut plus des burgers. Elle a mal au ventre. Elle s’est fait violer par un copain qui puait le burger, alors elle, le burger…
Le ton est donné : c’est la balade de trois couples de gamins qui se cherchent, se provoquent, rêvent et tirent à boulet rouge sur une société qui leur réserve la guerre, la précarité, l’ennui et/ou la violence.

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Tout entière. Vivian Maier, qui êtes-vous ?

— Par Michèle Bigot —

Création 2016 Le Préau CDN Normandie-Vire
Commande d’écriture et de mise en scène Guillaume Poix,
Interprété par Aurélie Edeline
Festival d’Avignon, 11. Gilgamesh Belleville, 6>28/07 2017

Étrange femme que cette Vivian Maier ! Quelque peu inquiétante, une héroïne digne de Leïla Slimani. Mais magnifique, aussi : photographe de rue qui ne développe jamais ses clichés, collectionneuse compulsive, un « grand œil » comme d’autres sont de « grandes oreilles », et gouvernante à ses heures pour gagner son pain. Témoin de son temps, elle photographie avec son Rolleiflex de manière systématique, fixant sur sa pellicule le spectacle de la rue dans les métropoles américaines des années cinquante. 150 000 clichés jamais tirés et qu’on retrouvera dans des caisses en 2007. Que du noir et blanc, à l’image de sa vie, dont on sait peu de choses. Une femme qui s’efface derrière le gigantesque édifice des photos qu’elle-même n’a jamais vues, c’est un prodige et un formidable mystère !
Il y a de quoi mener une enquête. Vivian, on ne la connaît qu’à travers ses enregistrements, ses autoportraits, ses films super 8 et les milliers d’objets et de coupures de journaux qu’elle a collectionnés.

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J’ai bien fait ?

—Par Michèle Bigot —

Texte et M.E.S. Pauline Salles
Festival d’Avignon Off, 11. Gilgamesh Belleville, du 6 au 28/07/2017

Question sur une question : conviendra-t-il de supprimer au titre son point d’interrogation ? Comme si deux questions valaient une affirmation. A moins qu’elles ne renforcent l’interrogation, qu’elles ne laissent libre cours à la perplexité, comme le soutient la forme théâtrale !
Perplexe, l’auteur, face à la montée des périls : p(c)crise de conscience d’une femme, faillite de la démocratie, bide de l’éducation, fiasco dans l’accueil des migrants, débâcle dans la création artistique, malaise dans la famille, marasme dans le couple, ça fait beaucoup pour une seule femme, même avec un profil le mère courage et de hussard (on ne connaît pas de féminin à « hussard » !) de la république. Voici venir le temps du chamboule-tout. Et du jeu de « qui perd gagne » encore appelé « perdant-perdant ». On est loin des euphories électorales !
C’est l’histoire de Valentine, une femme en convulsion : elle a la quarantaine, elle débarque, hagarde, chez Paul, son frère avec qui elle est plutôt en froid. Elle a le sentiment d’avoir fait une grosse bêtise, mais ça la rend euphorique, électrique.

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« Mon cœur » : texte et mise en scène : Pauline Bureau,

— Par Michèle Bigot —
Cie La Part des Anges
Le Merlan, scène nationale de Marseille, 5-6 avril 2017
A l’origine de ce projet, le combat exemplaire d’une femme-courage, Irène Frachon, médecin pneumologue qui, inquiète de voir souffrir et mourir de jeunes patients dans son CHU, découvre que tous ont consommé du Médiator sur prescription médicale : le supposé médicament était censé les faire maigrir ! Certes, ils ont maigri, mais ils ont aussi contracté une valvulopathie cardiaque qui les a gravement handicapés et a tué nombre d’entre eux. Son combat commence, qui va l’opposer au laboratoire Servier : elle va découvrir les conflits d’intérêt, le cynisme et la mauvaise foi dans toute sa splendeur. Le double jeu de certains médecins et les dysfonctionnements de l’ANSM, aussi. Le scandale éclate : 5 millions de personnes auraient consommé cet antidiabétique et le Médiator pourrait avoir tué au final entre 1000 et 2000 personnes.
En 2010, Irène Frachon publie son livre aux éditions Dialogues : Médiator, 150mg. Combien de morts ?
EN 2014, Pauline Bureau voit Irène Frachon à la télévision. Elle reconnaît en elle une héroïne telle qu’elle les aime dans la vie et au théâtre.

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Une saison en enfer

— Par Michèle Bigot —
D’Arthur Rimbaud
M.E.S. Ulysse di Gregorio
Avec Jean-Quentin Châtelain
Le Lucernaire, Paris, 8 mars > 6 mai 2017
N’en doutons pas : seul Jean-Quentin Châtelain était à même de relever le défi : porter sur scène ce texte prodigieux, qui défie les lois du temps : Une saison en enfer. Entreprise aussi intrépide que périlleuse. Comment faire passer le spectateur anonyme de la vie ordinaire au sublime et au monstrueux, sans autre forme de transition ? au Lucernaire, le spectateur doit avant tout monter au dernier étage, celui du « Paradis » pour embarquer pour l’enfer. C’est bien vu ! L’escalier monumental qui nous y conduit en caravane silencieuse sera l’épreuve initiatique. On arrivera dans la salle obscure et envahie de fumée : la respiration peine, le regard se fait errant. Nous voilà au bord de la géhenne. La cérémonie peut commencer. Sur le plateau, un espace chtonien, une sorte d’anneau magique et menaçant, dessiné par une levée de terre. En son centre, une surface noire : l’avant dernier cercle de l’enfer, l’entrée de l’empire des morts.

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« Les Harmoniques » de Gérald Tenenbaum

— Par Michèle Bigot —
Gérald Tenenbaum
ISBN : 2815921170
Éditeur : Nouvelles éditions de l’Aube (03/02/2017)

« Aucun son naturel n’est simple : il résulte de la combinaison d’un son principal, fondamental et d’un grand nombre d’harmoniques qui déterminent son timbre ». Aucun roman authentique n’est simple : il résulte de la combinaison d’un certain nombre d’intrigues qui déterminent son épaisseur. Le spectre harmonique de ce roman, son timbre, c’est la recherche des disparus. L’accord entre les hommes (et les femmes) naît de cet ajustement entre leurs recherches. Et pour mener à bien cette quête, on se déguise, on échange les rôles. On se ressemble, on s’assemble, on se conjugue : Keïla est la jumelle de Nayla. L’amitié est une forme de gémellité : Belen et Keïla, Samuel et Pierre, où est l’autre, où est le même ??
L’économie du roman est un chassé-croisé d’intrigues et de personnages. C’est aussi une enquête sur un événement oublié, un traumatisme enfoui : l’attentat du 18 juillet 1994 à Buenos Aires, contre l’AMIA (association mutuelle israélite argentine), jamais revendiqué. Le roman part sur les traces de l’enquête en cours qui met en cause le gouvernement iranien et le Hesbollah.

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Mary Prince d’après The History of Mary Prince, récit autobiographique d’une esclave antillaise

— Par Michèle Bigot —

M.E.S. Alex Descas

avec Souria Adèle

Théâtre municipal de Fort-de France, 2/02/2017

Ce spectacle présenté en 2015 à l’Albatros, dans le cadre du festival d’Avignon par la compagnie Man Lala, présente une séquence de textes extraits d’un récit autobiographique. Il s’agit du premier témoignage publié en 1831 à Londres, sur les conditions de vie de son auteur, Mary Prince dans les colonies britanniques. Née esclave dans une colonie des Bermudes vers 1790, elle est vite séparée de ses parents lors d’une vente des esclaves de la maison. Ses premiers maîtres la traitent avec humanité; elle bénéficie même d’un enseignement rudimentaire, et elle est trop jeune pour comprendre sa condition d’esclave. Mais très vite elle fait l’apprentissage de l’affliction par la séparation brutale d’avec les siens dans son plus jeune âge. Ecoutons-la:

Je ne savais ni où j’allais, ni ce que mon nouveau maître ferait de moi, j’avais le coeur brisé de chagrin et mes pensées retournaient sans cesse vers ceux dont on m’avait si brusquement séparée. Je n’arrêtais pas de me dire: « Oh, ma mère!

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« Le temps et la chambre » de Botho Stauss, m.e.s. Alain Françon

— Par Michèle Bigot —
Après avoir mis en scène La Trilogie du revoir en 2015 à l’ENSATT, A. Françon revient à Botho Strauss avec sa pièce la plus déconcertante : Le temps et la chambre. A. Françon avoue sa prédilection pour ces auteurs de langue allemande que sont Botho Strauss et Peter Handke. Cependant, avec Le temps et la chambre, l’entreprise relève de la gageure. C’est qu’on a affaire à un texte à l’agencement très paradoxal. On peut le qualifier de récit, à condition qu’on accepte de débarrasser le récit de toute intrigue et de toute linéarité. Il reste certes des personnages : deux hommes servent de centre à la première partie, Julius (Jacques Weber) et Olaf (Gilles Privat), tous deux âgés, complices dans leur scepticisme, qui observent le spectacle de la rue et assistent à l’irruption des passants qu’ils ont observés dans l’espace de leur chambre. Au centre de la seconde partie Marie Steuber, qu’on a déjà vue apparaître en première partie, entourée successivement d’hommes avec qui elle dialogue de façon plus ou moins orageuse. In fine , le spectateur pourra recomposer une histoire, qui lui aura été livrée à l’état de fragments, dans un montage kaléidoscopique.

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« Vu du pont » d’Arthur Miller. m.e.s. Ivo van Hove

— Par Michèle Bigot —
L’histoire se déroule dans les bas-fonds du New York des années 50, dans le milieu italo-américain des dockers du quartier de Red Hook. La tragédie qui va s’y dérouler, on peut la contempler depuis le pont de Brooklyn. Vu du haut, tout ce petit monde s’agite fébrilement, se débat aux prises avec la misère et le chômage qui rôde. Vus du pont, les personnages n’échappent pas à leur destin. La machine infernale se met en train dans la vie d’Eddie Carbone. Eddie est sicilien, docker endurci à la tâche. C’est un homme généreux, accueillant : il a élevé avec amour Catherine, la nièce de sa femme Béatrice. Mais Catherine devient une femme et il sent qu’elle s’échappe. Arrivent chez lui des cousins de Sicile, Marco le taiseux et Rodolpho le chanteur, émigrés clandestins qu’il se fait fort d’abriter et de cacher aux services de l’immigration. Que pensez-vous qu’il se passât ? Comme dirait Voltaire …..
Tous les éléments de la tragédie sont en place. Le déroulement implacable des faits nous est conté par un narrateur-personnage, Alfieri l’avocat, tour à tour témoin et acteur secondaire.

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Letzlove-Portrait(s) Foucault. Création Pierre Maillet

— Par Michèle Bigot —

Les portraits, créés par Elise Vigier et Marcial Di Fonzo BO à la Comédie de Caen sont des créations itinérantes, portées par un ou deux acteurs, parfois accompagnés d’un musicien.
Le portrait dont il s’agit ici est double : c’est à la fois celui de Michel Foucault et celui de Thierry Voeltzel, tels qu’ils se manifestent dans l’action, au cours de la conversation qui se noue entre eux. Thierry Voeltzel, c’est un inconnu rencontré sur la route par M. Foucault. Thierry faisait du stop pour rentrer chez lui en Normandie, M. Foucault le prend à son bord, et la conversation commence. Découverte réciproque, Foucault se montre le plus curieux et le plus attentif des partenaires de l’échange. Une relation amoureuse forte va se nouer rapidement. Thierry c’est pour Michel « Le garçon de vingt ans ». On est en 1975 et ce dernier représente la jeune génération d’après 68. Il parle comme il fait l’amour, sincèrement, librement, finement, avec audace et malice. Bientôt la conversation va prendre une forme plus officielle : celle d’une suite d’entretiens au cours desquels Michel se fait enquêteur et activateur de maïeutique.

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« Murs » : texte Jérôme Richer et Abdelwaheb Sefsaf. M.E.S. Abdelwaheb Sefsaf

— Par Michèle Bigot —
La « Compagnie Nomade in France » a offert son nouveau spectacle Murs à la Comédie de Saint-Etienne, qui en a la primeur. Un bel avenir est promis à ce spectacle, mais les stéphanois ont pu bénéficier d’une longueur d’avance, dans la mesure où il est co-produit par la Ville du Chambon-Feugerolles et que la compagnie est conventionnée par la région Auvergne-Rhône Alpes. Ajoutons à cela que Abdelwaheb Sefsaf est un pur produit de l’Ecole de la Comédie de Saint-Etienne, dont il représente une éclatante réussite. Les festivaliers d’Avignon le connaissent déjà puisqu’en 2011 il a participé à la pièce Quand m’embrasseras-tu ? qui fut l’un des coups de cœur du Off. Et la saison dernière, il a fait un tabac dans le Off au Gilgamesh avec Médina Mérika. Sa nouvelle création est dans le même esprit, celui qui consiste à cultiver le rapprochement entre Théâtre et Musique. Abdelwaheb Sefsaf s’est fait connaître sur la scène musicale en tant que leader du groupe Dezoriental en 2004. Depuis, il mène en parallèle sa carrière de comédien et de metteur en scène.

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La Gentillesse

— Par Michèle Bigot —
La Gentillesse est un texte dramatique inspiré des personnages de L’Idiot de Fiodor Dostoïevski et de La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole: des êtres hors du commun, dont la douceur confine à la naïveté, et qu’on pourrait dire frappés d’innocence. Dans l’univers feutré d’une famille bourgeoise, deux héros improbables et maladroits font exploser les cadres, les règles de la bienséance et des relations sociales. Leur irruption est une déflagration, qui vient détruire, bouleverser la vie, libérer les pulsions dissimulées.
Sur le plateau, quatre personnages, deux femmes figées dans des attitudes prostrées ou mutiques, la mère et la fille ; Dans un coin un homme et une femme (la seconde fille). Lui s’ingénie à démêler une sculpture de filaments colorés. Autoritaire et sûr de lui, il intime sèchement des ordres absurdes. La jeune femme fait de son mieux, elle est docile. C’est une « gentille ». Elle a une voix et une attitude de « ravie de la crèche », mais au fond, ce qu’elle suggère à son partenaire est frappé du sceau du bon sens. Elle l’encourage à sortir de son isolement et de son aboulie.

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Nkenguegi

— Par Michèle Bigot —

nkenguegiDieudonné Niangouna, qui fut artiste associé au festival d’Avignon lors de l’édition 2013, où il présenta Shéda, est à la fois auteur, metteur en scène et acteur. Nkenguegi est sa dernière création ; elle se présente comme le troisième volet d’une trilogie dont les deux premiers volets furent Le Socle des vertiges et Shéda. Il continue dans la démesure : si ses créations sont des Odyssée, des pièces fleuves, le flot n’est pas tari qui vient irriguer Nkenguegi. Présentée dans le cadre féérique de la carrière Boulbon, Shéda donnait à voir le spectacle de la misère en terre africaine, et tous les soubresauts de la vie politique où l’effort démocratique se heurte à la tentation de la tyrannie. Ce qui préside à Nkenguegi, c’est le naufrage des migrants ! Sur scène, en fond de décor, une reproduction du tableau de Géricault, Le radeau de la Méduse, que les acteurs vont reproduire sur le plateau. A la faveur d’une structure de type « théâtre dans le théâtre », les comédiens entremêlent leurs corps épuisés dans une disposition mimétique : le drame de la Méduse trouve ici une juste transposition dans les naufrages de migrants en Méditerranée.

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Angelus novus

— Par Michèle Bigot —
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Passé maître dans la direction des créations collectives (Le Père Tralalère, Notre Terreur, La Capital et son singe), sylvain Creuzevault nous revient avec toute son équipe pour une réécriture contemporaine du mythe de Faust. Ici la figure de Faust se distribue en trois personnages : Kacim Nissim Yildirim, docteur en neurologie, Marguerite Martin, biologiste généticienne et Theodor Zingg, compositeur et chef d’orchestre. Trois figures de la libido sciendi, trois figures du pouvoir tel qu’il s’exerce sur les esprits d’aujourd’hui. Il y a quelque malice à avoir fait de Marguerite l’autre de Faust. Sa dimension féminine incontrôlable, son ubris déchaîné. Le Faust contemporain a trois visages, celui du professeur Nimbus, celui du pouvoir scientifique et celui de l’artiste. Chacun d’eux se déchaîne dans son domaine. Tous sont aux prises avec leurs démons : soif de pouvoir, débordements libidinaux, exaltation mystique, paranoïa. Faust ne connaît pas de limite dans sa soif démiurgique : tout homme de science qu’il soit, sa raison vacille. Et sa raison vacille à cause de son ambition. La raison est un démon déraisonnable, comme on sait.
Comme dans l’atome, il y a fission dans le mythe de Faust.

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A la recherche de la sœur perdue

— Par Michèle Bigot —

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L’Enfant caché dans l’encrier
Joël Jouanneau, création
26/26/10/2016, Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-provence
On connaît deux Joël Jouanneau : l’auteur et metteur en scène de pièces destinées au jeune public, et le metteur en scène des textes de Beckett, Bernhard, Jelinek….
Dans le registre du théâtre destiné au jeune public, sa pièce précédente, Le Marin d’eau douce (2007), racontait déjà l’histoire d’un enfant, appelé juste Enfant, qui s’ennuyait dans son grand château. Pour rompre cet ennui, il décidait de prendre la mer, et à l’issue de ce périple, il rencontrait Minnie, sa presque sœur qui le baptisait Ellj.
C’est ce même personnage de Ellj qu’on rencontre dans la nouvelle pièce. L’enfant s’ennuie toujours, livré à lui-même. Il passe ses grandes vacances dans le château de son père, le grand amiral toujours absent. Un jour, il entend une petite voix sortir de l’encrier ; c’est celle d’une petite sœur inconnue qui l’appelle au secours. Le voilà donc parti sur les routes pour la délivrer. Au fur et à mesure que se déroule son voyage, sur terre et sur mer, Ellj retranscrit ses aventures sur son cahier d’écolier.

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La Matière de l’absence : l’écriture comme célébration du surgissement

— Par Michèle Bigot —

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L’absence, c’est avant tout celle de Man Ninotte, la mère du narrateur, qui vient de la porter en terre. De ce deuil, partagé avec la fratrie, et au premier chef, avec sa sœur, la Baronne, il reste l’indicible douleur de la perte. Mais aussi la densité d’une présence de l’absente, qui apparaît à tous les coins de rue. Sa silhouette, ses gestes, ses expressions, une trace. La trace autour de laquelle on peut broder à l’infini. Broderie et tissu font texte. L’absence de la mère renvoie à « l’effacement primordial », celui des Amérindiens, celui des esclaves enchaînés à la cale du vaisseau négrier, arrachés à leur univers, plus dépouillés que les plus nus. Sur cette radicale absence, cette totale amputation, cette disparition, il s’agit de faire culture, « sol et racine ». Le manque fondateur, l’effacé structurant, voilà qui va faire nouveau monde.

Et la perte de l’être le plus cher réactualise ce manque radical. Par là, elle fait surgir la forme poétique. La mort scandaleuse est aussi un immense horizon. Bazil, la mort annoncée par la conque de lambi, arrête les enfants en plein vol.

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« Rêve et Folie » de Georg Trakl

— Par Michèle Bigot —

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Amandiers, Nanterre, 15/09>21/10 2016

Traum und Umnachtung, tel est le titre de ce poème de Georg Trakl, traduit par M. Petit et J.-C. Schneider par « Rêve et Folie ». Limites de la traduction, sensibles en poésie et encore plus dans le cas de G. Trakl. On sent bien que « folie » ne rend compte que de façon approximative du substantif allemand « Umnachtung ». La traduction ordinaire par « dérèglement » est encore pire. Car il y a dans le nom allemand quelque chose d’une nuit qui vous environne. C’est dans cette impossibilité de dire que C. Régy puise son inspiration. En effet la traduction est l’exercice même de l’indicible. Celui qui seul vaut la peine d’être dit. Mais pas nécessairement avec des mots, ou en tout cas, pas dans une recherche d’équivalence sémantique. Pour approcher la force du poème allemand, il faut tous les autres mots du poème, les plus sauvages, les plus noirs, mais il faut aussi l’obscurité totale ou une lumière crépusculaire, le silence ou la voix d’outre-tombe et la décomposition du geste.

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Electre. Variation à partir de Sophocle

— Par Michèle Bigot —

electre« Si l’acte est beau, pourquoi le cacher dans l’ombre ? »

Tout commence par un dispositif inédit : devant les gradins, une salle de classe : une dizaine de tables d’écoliers avec leurs chaises qu’occuperont les spectateurs : leur font face trois tables de classe occupées par les acteurs. Huit comédiens arrivent, prennent place vis-à-vis des spectateurs. D’emblée le quatrième mur est démantelé et quelque trente spectateurs se situent dans un espace intermédiaire entre la scène et les gradins. C’est que le théâtre est toujours et avant tout une lecture de texte. Et nous voilà précipités dans un univers qui n’est ni tout à fait la vie, ni tout à fait le spectacle !
Le jeu des acteurs prend donc naissance dans une simple lecture. Mais peu à peu le texte s’empare du corps des acteurs. Les voici soulevés par la force intrinsèque des mots et des passions. La poésie du texte est un envol. Ils s’arrachent à leur siège, à leur lecture, pour vivre le texte lui-même. Nous emportant avec eux, tant ils incarnent leur personnage avec vigueur et justesse.

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Le Dernier Testament

— Par Michèle Bigot —

le_dernier_testamentM.E.S. et adaptation Mélanie Laurent

Théâtre du Gymnase, Marseille, création le 20/09/2016

Après une carrière cinématographique bien remplie, comme actrice et réalisatrice (rappelons le tout récent Demain qui est encore sur nos écrans), Mélanie Laurent arrive au théâtre avec l’adaptation et la mise en scène d’un roman de James Frey intitulé Le Dernier testament de Ben Zion Avrohom. Ce texte évoque la venue d’un nouveau Messie dans le New-York d’aujourd’hui, du nom de Ben. A l’instar de celui de Galilée, il doit faire face à toutes les formes de la misère humaine, et le XXIè siècle offre une large palette de possibilités : violence, racisme, solitude, chômage, drogue, cynisme généralisé, large territoire, propice aux miracles !

Lui aussi est juif, issu d’une famille orthodoxe convertie à l’évangélisme. Lui aussi aura à lutter contre le fanatisme et le dogmatisme de ces nouveaux pharisiens. Il a du pain sur la planche ! Un homme seul, fort de sa seule humanité face à la misère des corps et des cœurs !

On aura compris ce qui a attiré Mélanie Laurent dans ce texte, pour lequel elle avoue sa fascination.

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Le dépeupleur

— Par Michèle Bigot —
le_depeupleur

Pour Serge Merlin, ce n’est pas une première : il a déjà interprété ce texte de Beckett en 1978 dans le off d’Avignon, avec Pierre Tabard, puis avec Alain Françon à l’Odéon. C’est toujours avec A. Françon qu’il revient sur scène hanter cet endroit impossible, ce « cylindre surbaissé ayant cinquante mètres de pourtour et seize de haut pour l’harmonie. Séjour où les corps vont cherchant chacun son dépeupleur. Assez vaste pour permettre de chercher en vain. Assez restreint pour que toute fuite soit vaine.»
Un petit peuple d’esclaves chercheurs arpentent sa base, circulent en rond, se cachent dans des niches et aspirent à rejoindre une sortie. Mais il n’y en a que deux, la première se dérobe au fond d’une niche mystérieuse et ne débouche que sur le néant, la seconde est au faîte du toit, mais totalement inaccessible. Un peu comme notre bas monde dont les deux seules issues seraient l’enfer hypochtonien ou le paradis de l’azur.
La mise en scène restitue l’angoisse engendrée par ce microcosme clos peuplé de captifs : une maquette creusée dans le sol reproduit à l’échelle cet univers carcéral, des petits sujets en bois y figurent les humains dans leur dérisoire activité, les cordes, les échelles, tout y est pour évoquer ce peuple de fourmis cherchant à sauver sa peau, et à échapper au « dépeupleur ».

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Antoine et Cléopâtre

— Par Michèle Bigot —
antoine__cleopatreTiago Rodrigues, teatro nacional D. Maria II
14/09-8/10
Avec Sofia Dias et Vitor Roriz
Nouveau directeur artistique du Théâtre National Dona Maria II à Lisbonne, Tiago Rodrigues est acteur, dramaturge, metteur en scène et producteur. Auteur, il écrit des scénarios, de la poésie et des chansons. Au théâtre, on le voit dans les créations du collectif belge tg STAN. En 2003, il fonde la compagnie Mundo Perfeito avec Magda Bizarro et est remarqué pour son approche nouvelle de la dramaturgie. Tiago Rodrigues a également monté les textes d’une génération émergente d’auteurs portugais.
Antoine et Cléopâtre, sa dernière création a été présentée au festival d’Avignon 2016, au théâtre Benoît XII. Quoique le motif soit puisé chez Plutarque, dont Shakespeare réalise la première adaptation pour la scène, suivi de Mankiewicz pour le cinéma, T. Rodrigues en propose une création originale, dont le texte ne rappelle Shakespeare que de loin et par bribes. Toute une tradition relatant l’impossible amour des deux héros trouve ici son aboutissement et l’héritage est assumé dans une forme théâtrale novatrice. Mettant à profit la caractère débridé et atypique de la pièce shakespearienne, T.

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Medina Merika

— Par Michèle Bigot —

medina_merikaMise en scène, texte et musique de Abdelwaheb Sefsaf
Festival d’Avignon off 2016, Théâtre du Gilgamesh

Ceux qui ont manqué ce spectacle en janvier à la Maison des Métallos à Paris seront heureux de le retrouver à Avignon. On dira même que cette programmation s’imposait ! Merci au Théâtre du Gilgamesh, qui nous a gâtés, cette année ! Car le monde arabo-musulman et plus généralement oriental est à l’honneur au Festival d’Avignon : le In nous a gratifié d’un spectacle théâtral iranien (Hearing) sur Damas (Alors que j’attendais), d’un spectacle de danse libanais ( Fatmeh) . Le off n’est pas en reste. Dans sa chorégraphie intitulée We love Arabs, Hillel Kogan nous propose une rencontre inédite entre Juifs israéliens et Arabes israéliens. On a pu écouter également Place Tahrir, conçu par le conteur Jihad Darwihe à partir du témoignage de femmes égyptiennes. C’est un orient imaginaire que nous propose Abdelwaheb Sefsaf ; il n’en est pas moins une synthèse actuelle des aspirations du monde arabo-musulman telles que les ont exprimées les printemps arabes. Cette fable tragi-comique évoque successivement Beyrouth, Alger, Bagdad.

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La tête des porcs contre l’enclos

— Par Michèle Bigot —

la_tete_des_porcsPièce chorégraphique et texte de Marine Mane
Festival d’Avignon off 2016, Caserne des Pompiers, 9-26/07

Depuis plusieurs années, à la tête de la compagnie In Vitro, Marine Mane explore dans ses mises en scène les traces intimes qui dessinent les parcours individuels et collectifs. Son théâtre est un théâtre du corps, où la danse occupe une place prépondérante, accompagnée par des dispositifs sensoriels, visuels autant que sonores. La tête des porcs contre l’enclos est le fruit d’une écriture personnelle. Sa création date de 2015. Il s’agit d’une œuvre scénique où se mêlent plusieurs genres artistiques : le plasticien, le musicien, les danseurs-acrobates, les acteurs ont conjugué leur effort pour produire un spectacle total. Il s’agit de cartographier la mémoire d’une enfant blessée. Non pas de raconter un traumatisme mais d’en parcourir les traces : mémoire du corps, empreinte sensorielle, la mémoire effectue son travail en direct sur le plateau, restituant des impressions, des images, des émotions.
Une voix off surgit, qui nous dit à quel point les mots peinent à exprimer les affects liés au traumatisme.

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Iliade

— Par Michèle Bigot —

iliadeD’après Homère

Mise en scène : Pauline Bayle

Festival d’Avignon, off 2016, La Manufacture, 6-24/07

Le spectacle commence dans la cour de la Manufacture ; les spectateurs sont en train d’attendre l’entrée quand débarquent parmi eux d’abord Achille, puis Agamemenon.

Déroute dans la foule ; étonnement, incrédulité ! Le rôle d’Achille est interprété par une jeune femme d’une rare énergie. Soudain, confondu dans les rangs des spectateurs, surgit Diomède, qui tente d’apaiser les conflits. Achille est en colère parce qu’Agamemnon lui a volé sa prisonnière, la belle Briséis. Il a ainsi porté atteinte à son honneur devant toute l’armée grecque. Le conflit est inévitable. Achille se retire dans sa tente ; il jure de ne plus participer aux combats qui opposent les Grecs aux Troyens.

Comment faire revivre cette légende épique aujourd’hui , ce poème plein de bruit et de fureur et de sang ? On a bien réussi avec le Mahabharata, pourquoi pas avec l’Iliade ? telle est la gageure.

Pauline Bayle relève le défi, en compagnie des remarquables comédiens de sa compagnie, « A Tire d’Aile ».

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