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« Les Révoltés du Monde » : quand les “chevaliers de la table ronde” ont la parole

Le Festival poursuit sa route en commune


— Par Janine Bailly —

S’il est des semaines où seule nous reste la petite lucarne de la télévision pour censément nous ouvrir au monde, il en est d’autres où les propositions sont si diverses et multiples à Fort-de-France qu’elles nous obligent à des choix douloureux. Aussi me fallut-il ce vendredi “sacrifier” la soirée d’ouverture du festival Les Révoltés du monde au concert Carmina Burana, par ailleurs fort réussi. Raison pour laquelle je n’ai hélas pu voir le film de Sabaah Folayan et Damon Davis, Whose Streets ? (La rue est nôtre), tribune offerte à ceux-là qui, trahis par les médias ordinaires, témoignent enfin des événements dramatiques survenus en 2014 à Ferguson, dans le Missouri, et de leur engagement militant pour que soit reconnu au peuple noir non plus l’égalité des droits civiques mais plus ordinairement « le simple droit de vivre en toute sécurité ». Parole donnée à ceux qui aussi luttent pour que justice soit faite, pour que cessent les inégalités raciales, quand les instances mêmes de leur pays innocentent les criminels avérés.

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Les RCM 2018, versant documentaire

— par Janine Bailly —

Sans atteindre jamais la perfection de Carré 35 (de Éric Caravaca), offert dans la programmation générale, les neuf films proposés à la compétition de documentaires étaient de bonne teneur, intéressants dans leur diversité et leur singularité. Diversité des metteurs en scène, qu’ils soient originaires des Antilles ou des Amériques, diversité des sujets puisés dans l’histoire intime comme dans l’histoire publique, regard sur l’actualité brûlante autant qu’incursion dans la mémoire des peuples. S’il fallait trouver des points communs entre ces œuvres, je dirais que le plus souvent elles font alterner images créées et images d’archives, que la voix off y distille des commentaires en complément des interviews réalisées, que les portraits tissés le sont dans un environnement visible à l’écran, et que le cadrage privilégie plans rapprochés et gros plans sur les visages. S’il s’avère parfois difficile, notamment en ce qui concerne les “52 minutes” réalisés pour la télévision, de saisir la différence entre reportage et documentaire, il semble que ce dernier genre nous interpelle autant par les images que par la parole, par la recherche et l’affirmation d’un point de vue personnel, et par le travail de montage effectué, qui peut rapprocher de la fiction et faire du documentaire une véritable création.

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«  Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre » : essentiel et primordial

— Par Janine Bailly —

Le spectacle conçu par la Compagnie Nova et Fab-Théâtre de Belleville est une mosaïque colorée de tableaux qui pour notre plus grand bonheur se succèdent sans nous laisser reprendre souffle, un patchwork de textes judicieusement choisis et assemblés pour que nous entendions la voix de quelques-uns de nos plus grands penseurs. Fait aussi de poèmes, discours et interviews, illustré de scènes imaginaires qui avec humour ou gravité viennent croiser la réalité historique et littéraire, l’ensemble, dont la cohérence est assurée par le récit de la vie d’Aimé Césaire, a su éviter l’écueil du didactisme comme celui de l’hagiographie ou du discours sentencieux. Parce qu’elles nous parlent de nous-mêmes et des autres, ces littératures poétiques, engagées et salvatrices sont « des armes miraculeuses » offertes pour que nous progressions vers plus de tolérance, d’intelligence et de vivre ensemble. La force de ce montage réside dans le fait que, partant de ce que l’on a appelé le “problème noir”, il ouvre l’éventail au reste du monde et propose un questionnement sur le “multiculturalisme” de nos sociétés qui aujourd’hui, refusant l’arrivée de trop de migrants, tendent à se replier égoïstement sur elles-mêmes.

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Aux RCM : secrets de famille et pactes de silence

— Par Janine Bailly —

Il est dans toute famille de ces zones d’ombre que l’on tient secrètes, et qui pourtant marquent notre inconscient, transmises de génération en génération, jusqu’au jour où l’un ou l’autre, parce que plus en souffrance, ou simplement plus curieux, se met en quête d’une vérité souvent pressentie mais jamais dévoilée.

El Pacto de Adriana est un film courageux, essentiel et nécessaire, devenu vital pour la jeune réalisatrice chilienne, Lissette Orozco. Certes, de la tragédie vécue par le Chili, il nous fut déjà superbement conté, et par des créateurs plus expérimentés. Cependant, ce documentaire, dénué de prétention esthétisante, est touchant dans sa sincérité, et dans ce qu’il révèle d’une famille qui pour éviter la souffrance et la honte, s’est condamnée elle-même à ce déni que Sigmund Freud définit comme “la non-considération d’une partie de la réalité”.

Parce que le doute s’est installé, que la sérénité et la crédulité de l’enfance se sont envolées, Lissette a besoin de percer le secret de la vie d’Adriana Rivas, la tante autrefois adulée mais aujourd’hui enfuie en Australie en dépit d’une assignation à résidence, et cernée d’une aura de scandale.

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Sur les écrans des RCM, grandir : « Bad Lucky Goat, Ava, Corniche Kennedy »

— par Janine Bailly —

Que l’on soit en Colombie, dans Bad Lucky Goat, dans une station balnéaire en France avec Ava, à Marseille sur Corniche Kennedy, l’adolescence est un passage obligé, un sas à franchir entre l’enfance évanescente et l’âge adulte qui s’approche, avec son cortège de découvertes, de choses neuves à appréhender, heureuses ou contraignantes, consenties ou imposées. Nombreux sont les réalisateurs qui s’attachent à en décrire les bonheurs et les affres, les consentements et les réticences.

Bad Lucky Goat, de Samir Oliveros, emprunte avec humour sa trame au genre du road movie, le fil conducteur du scénario étant un périple aux causes inattendues, accompli sur les petites routes de l’île de la Providence, en mer des Antilles, avec pour moyen de locomotion une moto empruntée après que “le gros méchant bouc” eut percuté l’avant de la voiture familiale, conduite par la fille de la maison. Chargés d’une mission importante — aller chercher des bancs pour l’hôtel que tiennent les parents avant que n’arrive le catamaran des touristes —, le frère et la sœur adolescents voient bientôt leur plan contrarié par ce bouc noir aux longues cornes, échappé, après avoir rongé sa corde, de l’arbre-sanctuaire auquel son maître l’avait attaché, et qui traverse inopinément la route.

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Aux RCM, trois visages de la tragédie : « Médée, Ailleurs, Carpinteros »

— Par Janine Bailly —

Ce dimanche matin-là, la journée consacrée aux RCM s’est ouverte, au cinéma Madiana, sur Médée, une œuvre majeure de Pier Paolo Pasolini. Fidèle pour l’essentiel au mythe, le réalisateur italien en donne pourtant une version personnelle, flamboyante et poétique, où le personnage éponyme confié à Maria Callas nous tient tout au long sous son charme, au sens premier du terme, au sens où l’on se sent comme ensorcelé. Princesse et magicienne hiératique, femme amoureuse, épouse trahie, sœur et mère acculée par le destin à la cruauté : toutes ces figures, elle les incarne davantage par le corps que par la parole, et dans son regard, sombre et tout à la fois lumineux, cruel ou tendre, révolté ou apaisé, se lisent les nuances infinies des sentiments qui la traversent. Pasolini ouvre le film sur la figuration d’un des rituels agricoles de la mythologie grecque, accompli pour que se régénère la végétation, rituel sanglant qui repose sur le sacrifice humain. Il le ferme sur la colère démesurée d’une Médée échevelée défigurée par la haine, qui pour accomplir sa vengeance contre Jason l’infidèle vient de sacrifier ses deux fils, accomplissant ainsi son inéluctable destin.

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Au club-lecture de la bibliothèque Schœlcher : «  Marx et la poupée »

— par Janine Bailly —

D’Iran, il nous arrive films et livres, pour parler d’un pays en mutations et souffrances. Maryam Madjidi, jeune femme iranienne exilée, obtint avec Marx et la poupée le prix Goncourt du premier roman, en 2017. Le récit est très proche de la vie de son auteur, qui conduit de l’enfance vécue à Téhéran à l’exil parisien, puis aux séjours adultes dans différents pays, Chine, Turquie, Inde. Un court texte en prologue raconte comment son oncle emprisonné a gravé pour elle, sur une pierre, à l’aide d’une aiguille, le prénom Maryam. La narratrice dit qu’elle aimerait avoir un sac d’histoires à offrir, car « de l’enfance, il reste aussi le goût des histoires, des contes qu’on vous raconte, ou que vous racontez pour tromper la solitude », et c’est précisément ce que fait l’auteur Maryam Madjidi : entrecouper son récit de contes traditionnels. Et l’Iran natal est bien là, qu’on ne peut oublier, dans la révolution islamique, dans l’investissement politique de parents communistes — un engagement responsable de l’exil en France. Seront évoqués un oncle emprisonné, un jeune voisin mystérieusement disparu, et les exactions, les humiliations et les tortures.

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Une figure emblématique : Amadou Hampâté Bâ

— par Janine Bailly —

Plus qu’une représentation théâtrale traditionnelle, le spectacle Le fabuleux destin d’ Amadou Hampâté Bâ, qui se donne les 13 et 14 mars à Tropiques Atrium, m’est apparu comme une leçon de littérature vivante et pleine d’intelligence, comme aussi le portrait animé d’un homme grand et sage, et de belle humanité. Une impression qui s’est confirmée lors du bord de scène final, où Hassan Kassi Kouyaté nous dit la genèse de la pièce, écrite par le conseiller littéraire Bernard Magnier, et qui s’inscrit dans un projet mené en collaboration avec le Tarmac, théâtre parisien dédié à la création francophone contemporaine. Un projet qui a pour finalité de faire découvrir, ou mieux connaître, des hommes et des femmes disparus, admirables non seulement par leur écriture, mais encore par leur engagement auprès de leurs semblables, par ce qu’ils ont été et par ce qu’ils ont fait. Après Sony Labou Tansi, dont « la chouette petite vie bien osée » nous fut montrée ici-même dans Sony Congo, après Hampâté Bâ, il est déjà prévu un opus sur Kateb Yacine, un autre sur Fanon… en espérant que place soit bientôt faite à une femme ?

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« Wild West Women » : des femmes à la conquête d’elles-mêmes

— par Janine Bailly —

Sur scène, elles ne seront, pendant ces presque quatre heures de spectacle, que trois comédiennes, pour nous entraîner à leur suite dans cette épopée américaine, sorte de western palpitant, version femmes. Elles nous guideront, dans une sorte de “chevauchée fantastique” à la John Ford, mais légèrement parodique car poussant à l’extrême les codes du genre, sur la route des pionniers partis à la conquête de l’Ouest. Elles nous feront suivre la piste de l’Oregon et partager leurs aventures tumultueuses, au hasard de rencontres imprévues, heureuses ou malheureuses, et soumises souvent à la cruauté des hommes comme aux rigueurs du climat, car ici tout est paroxystique — chaleur, froidure extrême, tempête de neige qui oblige à rebrousser chemin…

Mais dans notre imaginaire, ils seront bien des dizaines, les personnages qu’elles auront créés dans une dynamique, une fougue, une inventivité qui ne se démentiront jamais, bien que l’on ait noté une certaine baisse  d’intensité dramatique dans le second volet, due sans doute à la multiplication de ces hommes  pris “du côté obscur de la force”, et qui ne font dans l’histoire qu’un rapide passage.

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Comme en hommage à Simone Veil

— par Janine Bailly —

Quatre comédiennes, appartenant à la compagnie Les Buv’Art, maintenant bien connue des scènes martiniquaises, ont eu la judicieuse idée, pour marquer de leur pierre cette semaine où l’on célèbre la Femme, de s’attaquer à un monument du théâtre dit populaire, Et pendant ce temps, Simone veille, qui tient la scène à Paris depuis de longs mois, et qui s’apparenterait plutôt au genre cabaret-théâtre, par ses jeux de mots, ses calembours, ses chansons, qu’elles soient dans leur forme originelle ou réécrites en version humoristique sur des airs célèbres, comme par une certaine volonté caricaturale dans la composition de ses personnages. On n’oubliera pas la parodie de “Bambino”, mimée et chantée, extrêmement drôle, où il est parlé de la libido des femmes, et des transformations qui se sont opérées grâce à la contraception.

Idée généreuse aussi, la première s’étant donnée gratuitement au restaurant Les Arômes du Carbet, dans la salle transformée pour accueillir un public venu nombreux, et qui s’est montré enthousiaste devant la prestation enlevée de la petite troupe. Troupe féminine à l’exception de Rachid, habituellement acteur mais préposé à la technique, qui accomplit, dans ces circonstances improvisées, la performance d’illustrer le propos à l’aide d’une bande-son originale et de projections vidéo d’époque particulièrement parlantes.

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« Billes de verre, éclats de plomb », chronique phantasmée d’une rencontre

— par Janine Bailly —

Dans le « paysage » qu’est Artaud, il faut  « s’y promener, il faut prendre le temps d’aller de saillie en trou, de sentier en piste, il faut s’y exposer, s’y aventurer. » (Kenneth White, in Le monde d’Antonin Artaud, essai, 1989). C’est bien à cette sorte d’aventure que nous convie l’écrivaine, responsable de la mise en scène de son propre texte, Billes de verre, éclats de plomb, avec la complicité de deux comédiens chargés d’assumer ses paroles, comme aussi celles d’ Antonin Artaud et Frantz Fanon, qui traversent en fulgurantes insertions l’écriture ardente et métaphorique de Thérèse Bonnétat.

Quand commence le jeu, l’un se tient de dos en fond de plateau, l’autre est couché au devant de la scène, blotti sous des linges qui d’abord le dissimulent. Et le temps s’arrête, un moment qui peut sembler durer, un moment fait de silence, d’immobilité recueillie, comme une transition entre le « ici-maintenant » et « l’ailleurs » d’un univers théâtral où on nous inviterait à entrer. Pour venir à nous, il faudra à l’un se retourner, à l’autre émerger de linges qu’il déposera à l’avant-scène ; l’un de ces linges, clair, étant à prendre quand il sera parlé pour la première fois d’Antonin Artaud, poète maudit né sous le ciel de Provence, « grand Monsieur masqué de blanc », qui « tel un oiseau de proie » s’offre au grand vent ; l’autre de ces linges, sombre, étant à saisir pour parler de Frantz Fanon, médecin-psychiatre et essayiste, « petit Monsieur à la peau noire », imaginé se tenant face au poète sur le port de Marseille.

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À la Fondation Clément : « AFRIQUES, artistes d’hier et d’aujourd’hui »

— Par Janine Bailly —

Les expositions organisées par la Fondation Clément, dans le cadre de l’habitation éponyme, offrent pour la Martinique un réel intérêt, qu’elles nous plongent au sein de l’univers caribéen, ou qu’elles nous apportent des nouvelles de l’au-delà des mers. La dernière en date, conçue en collaboration avec la Fondation Dapper, sera visible jusqu’au 6 mai 2018. Intitulée AFRIQUES, artistes d’hier et d’aujourd’hui, cette présentation des Arts anciens et de l’Art contemporain, qui occupe de belle et judicieuse façon toutes les salles du musée, du masque le plus traditionnel à la toile la plus novatrice, ne déroge pas à la règle. Et le catalogue de l’exposition, qui a pour préface un texte de Patrick Chamoiseau, Rencontres avec l’Afrique – De l’Absolu à la Trace, est aussi un superbe ouvrage, qui combine reproductions de qualité et analyses pertinentes.

Dans ses pages culturelles, la revue Télérama consacre à cet événement un article dont je donne l’introduction, empruntée à Suzanne Césaire dans la revue Tropiques : « L’Afrique ne signifie pas seulement pour nous élargissement vers l’ailleurs, mais aussi approfondissement de nous-mêmes », et la conclusion de la journaliste Yasmine Youssi : « Dans cette terre de France antillaise, si éloignée du Ministère de la Culture, où l’art semble être le cadet des soucis des représentants de la République tant est criante l’absence d’un musée (public) digne de ce nom, l’exposition (gratuite) de la Fondation (privée) Clément est magnifique.

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« Moi Ève, la pire de toutes », une expérience théâtrale

— par Janine Bailly —

De ce titre énigmatique, proposé par Ricardo Miranda pour sa nouvelle création, nous n’aurons l’explication qu’assez tardivement , dans un des rares passages parlés de ce théâtre dansé — ou de cette danse théâtralisée ? Recherche, pour dire la femme dans un univers d’hommes, d’une forme singulière qui, si elle ne semble pas toujours très bien aboutie, a le mérite d’être servie avec enthousiasme et sincérité par trois complices, soit deux femmes, Lindy et Émilie, et un homme, Ricardo lui-même.

Pourquoi donc Ève serait-elle « la pire de toutes » ? Présentée comme figure inverse de Lilith, cette Ève-là, cette « côtelette cruche », avatar de son Adam, incarnerait une forme de soumission, plus signifiante qu’une certaine histoire de pomme, encore que ce “coup de la pomme” ne soit pas oublié — fruit vert à croquer sauvagement par les trois protagonistes, et panier de fruits jaunes déversé sur la tête de la coupable ! Lilith, elle, se targue d’avoir été la toute première, créée non d’une côte de l’homme mais pétrie de la même argile que lui, et donc mise au monde pour être son égale.

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Au Saint-Esprit, première carte blanche à Nicole Cage

— par Janine Bailly —

La troisième saison de Rencontres pour le Lendemain, manifestation culturelle de bon aloi, gratuite, ouverte à tous, et qui traditionnellement se tient à la médiathèque du Saint-Esprit, a ouvert l’année nouvelle en donnant carte blanche à Nicole Cage. Belle idée que celle-ci, qui nous fit découvrir, ou simplement mieux appréhender une femme et une artiste aussi talentueuse que chaleureuse. De l’artiste, il fut à juste titre dit qu’en dépit d’une reconnaissance avérée en bien des pays, cette fille si aimante de sa Martinique natale ne tient pas encore en son propre pays la place à laquelle elle peut prétendre. Ce que le public sembla ce soir-là démentir, venu en nombre emplir plus que de coutume la salle, un public tant masculin que féminin, qui sut se montrer chaleureux et attentif jusqu’à ce que l’on pourrait qualifier, en quelque sorte, de recueillement ému.

Mais ce fut d’abord de la femme, humaine et généreuse, prête à de justes combats, que vint nous parler son amie de cœur, la chanteuse Ymelda Marie-Louise. Toujours porteuse de ses racines, celle qui a fait de la Martinique son pays d’adoption dira que, si elle est « la plus martiniquaise des haïtiennes, Nicole est la plus haïtienne des martiniquaises », toutes deux ayant d’ailleurs été présentes, côte à côte, au secours de l’île sœur, au moment du dernier tremblement de terre.

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À l’écran, des femmes hors du commun, acte 2

— par Janine Bailly —

Seule sur la plage la nuit, du prolifique Sud-coréen Hong Sang-soo, est comme La douleur un film sur l’absence et l’attente. Et si les circonstances n’en sont pas aussi tragiques, on ne peut pourtant nier la souffrance de cette femme jeune et belle, Young-hee, incarnée par Kim Min-hee, muse et compagne actuelle du réalisateur.

Young-Hee, omniprésente sur la majorité des plans, est d’abord découverte auprès d’une amie, dans une ville européenne qu’on ne nommera pas explicitement. Elle est comme en exil, loin de son amant, — qu’elle a quitté ? qui l’a rejetée ? —  dont elle dessine à l’aide d’un bâton le visage sur le sable. De cet homme, elle espère la venue, mais suggère aussi, dans une certaine confusion des désirs, qu’elle pourrait s’installer là, y refaire sa vie. L’histoire ne nous dit pas clairement ce que fut son passé, qui suggère plus qu’elle n’affirme. Ce qui importe est l’errance, les dérives, les faux pas et faux chemins que l’héroïne emprunte quand, se trouvant abandonnée, elle n’est plus qu’attente de celui qui ne viendra pas, hormis peut-être dans son rêve.

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À l’écran, des femmes hors du commun.

— par Janine Bailly —

En ce mois de janvier, comme en écho à une actualité brûlante, il aura beaucoup été question des femmes sur nos écrans, et à travers elles, du monde comme il va, ou comme il trébuche.

La Douleur d’abord, film tant attendu, et que grâce à Steve nous pûmes voir presque aussi rapidement que dans l’hexagone. Tout a été dit, et de façon dithyrambique, sur cette adaptation de deux récits tirés du recueil de Marguerite Duras, celui au titre éponyme, et Monsieur X. dit ici Pierre Rabier. C’est cette deuxième nouvelle qui constitue la première partie du film, où l’on voit la jeune Marguerite, incarnée par une  Mélanie Thierry à la douceur fragile et forte tout à la fois, tisser des liens avec un agent de la Gestapo, un Benoît Magimel alourdi, enlaidi, au regard insondable et qui semble guetter sa proie. Une relation ambigüe, par laquelle la jeune femme espère maintenir le lien avec son mari Robert Antelme, résistant déporté à la suite de la destruction de son réseau. Emmanuel Finkiel, le réalisateur, explique ainsi ce choix :  « L’histoire de Rabier est davantage dans l’action, elle permettait de tendre un fil qui relève presque du suspense ».

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« François d’Assise », une figure attachante et complexe

— par Janine Bailly —

S’il reste connu des spécialistes, Joseph Delteil (1894-1978) est aujourd’hui oublié du commun des mortels, et peu, dont je suis, sauraient dire qu’en 1925 il reçut le Prix Fémina pour un ouvrage intitulé Jeanne d’Arc. Cette Jeanne qui, en raison de son anticonformisme, déclencha un scandale, fut par ailleurs à l’origine de la rupture avec le groupe des surréalistes auquel Delteil, venu de son Aude natale « faire l’écrivain » à Paris, s’était pourtant intégré.  Malade, il se guérit de cette malheureuse expérience parisienne en regagnant le Sud pour y vivre en « écrivain-paysan », sans que cette retraite occitane l’empêchât de rester en contact avec des auteurs et chanteurs célèbres. On retient de lui qu’il aima ranimer à sa façon singulière les grandes figures historiques, et c’est bien ce qu’il fit en créant en 1960 cet étrange François d’Assise, sans lui adjoindre le qualificatif de « saint »  qu’habituellement on lui accole.

Seul en scène, Robert Bouvier donne corps à un personnage fougueux, lyrique et baroque, qui entraîne dans son sillage de mots et d’images un spectateur bientôt charmé, et plus tard étourdi par tant de paroles et de virtuosité.

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De l’éclectisme au Festival des Petites Formes

— par Janine Bailly —

Trois propositions, trois formes de spectacle bien différentes en ce début de semaine à Tropiques-Atrium, pour des aficionados qui chaque soir remplissent fidèlement les salles.

Pas vu, pas pris, qui ne dit mot consent et autres croyances populaires, un titre énigmatique pour ce qui est en quelque sorte une pochade d’étudiants, une sorte de récréation où l’on voudrait jouer avec son public — public dont seule une petite partie, ce soir-là, accepte d’entrer dans le jeu. Quatre jeunes acteurs, dynamiques et heureux visiblement d’être sur scène, parodient allègrement les émissions de télé-réalité qui font florès sur certaines chaînes de télévision. Malgré quelques procédés pas toujours très habiles, malgré certaines plaisanteries trop convenues, on peut prendre plaisir à cette farce jouée avec un grand naturel et un bel entrain. Glissés dans cette trame, les quatre monologues, adaptés de la pièce Liars Club, de Neil Labute, dramaturge et cinéaste américain connu pour ses critiques impitoyables et acides de la société actuelle, perdent de leur sens et de leur vigueur. Un seul ne parle pas de sexe, mais d’une vengeance bien laide exercée sur la résidente d’une maison de retraite, texte assez insoutenable qui me semble décalé dans ce qui par ailleurs se veut un divertissement.

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« Les Hommes », chronique d’une résistance au féminin

— par Janine Bailly —

De la Seconde Guerre Mondiale, les crimes contre les Hommes n’ont cessé d’habiter nos mémoires et nos consciences, individuelles ou collectives. Sur les écrans sort ce 24 janvier le film d’Emmanuel Finkiel, La Douleur, adapté d’une nouvelle éponyme de Marguerite Duras, et qui s’inspire de ce qu’elle vécut dans l’attente angoissée du retour de son mari, le résistant Robert Antelme, retenu en déportation. Chez Grasset vient de paraître ce 17 janvier le récit autobiographique L’amour après, où Marceline Loridan-Ivens se demande « comment aimer, s’abandonner, désirer, jouir quand on a été déportée à quinze ans ». Charlotte Delbo a, de même façon, à son retour des camps, beaucoup écrit sur sa trajectoire de femme communiste, sur son internement en tant que prisonnière politique, et sur les mécanismes de survie à inventer quand on vous plonge soudain et sans raison au cœur de l’enfer.

Dans la pièce Les Hommes, présentée cette semaine au Théâtre Aimé Césaire, Charlotte Delbo relate cet épisode où, enfermées au fort de Romainville dans l’attente d’être orientées vers le camp de Auschwitz-Birkenau, des femmes d’âges différents et d’origines diverses vont rester dignes et debout, refusant, en dépit de la peur et de l’angoisse, de donner victoire à l’ennemi.

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« Ladjablès » femme sauvage, ou le mythe renouvelé

— Par Janine Bailly —

En ce mois de janvier où le soir tombant nous apporte déjà les échos des tambours qui s’apprêtent au Carnaval, c’est à une relecture des mythes de Martinique que Daniely Francisque nous convie avec bonheur sur la scène de Tropiques-Atrium. Que savons-nous de la Diablesse, qui donc est-elle ? La légende veut qu’elle guette les hommes la nuit afin de les séduire, pour leur plus grand malheur… Elle prend l’apparence d’une femme très belle, hélas pourvue d’un sabot de cheval ou de bouc en place d’un, ou de ses pieds. Selon certains écrits, ce serait sur les plantations la représentation d’une femme blanche, épouse ou fille de maître, et qui prendrait un malin plaisir à attirer les plus beaux esclaves dans ses filets, les destinant ainsi à subir une sévère punition, mort ou disparition inexpliquée.

 Ladjablès, femme sauvage incarnée par Rita Ravier, correspond bien à  cette image : alors que l’homme Siwo, seul en scène, bavard perroquet écarlate sous son bec d’oiseau, nous joue avec délectation et brio, dans un monologue épicé, son personnage de “macho” conquérant prêt à faire succomber toutes les “femelles” prises dans son sillage, Ladjablès attend, silhouette énigmatique entrevue derrière ce rideau (de perles ?)

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« Un Buffle », fable moderne à l’usage des grands

— par Janine Bailly —

Le Festival des Petites Formes s’est ouvert tout en douceur, ce mercredi en fin d’après-midi, sous le chapiteau de Tropiques-Atrium, qui cette année encore a pris ses quartiers à l’Espace Osenat du bourg de Schœlcher. Les spectateurs, hélas en nombre trop réduit, y ont retrouvé avec bonheur Léopoldine Hummel, déjà vue à la Martinique en 2016, dans une mise en scène de José Pliya, pour l’adaptation du roman de Carole Martinez, Du domaine des murmures. Cette fois encore, la jeune femme, habile à faire naître et l’émotion et l’adhésion de son public, a su mettre au service du texte non seulement une voix claire et qui sait aller au cri, une diction parfaite, mais encore ses talents de musicienne et de chanteuse.

Alors que nous prenons place, la comédienne se tient sur scène, vue de dos, sur un leitmotiv musical sombre. Quand se font le silence et la lumière, elle se retourne, nous salue avec jovialité, et nous devenons ses proies, visiteurs factices d’une blanchisserie à vendre, qu’elle nous décrit de ses mots et de ses gestes : voilà c’est dit, abattu le quatrième mur, nous entrons sur ses pas dans la fable, Un Buffle, qu’elle nous contera, et par instants chantera, avec un bel enthousiasme, dans la jubilation du dire.

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L’Atelier de Laurent Cantet, ou comment se dire et s’écrire

Jeudi 18 janvier à 19h30. Madiana V.O.

— par Janine Bailly —

De Laurent Cantet nul n’aura oublié la Palme d’Or reçue en 2008 au festival de Cannes pour le film Entre les murs qui regardait, au plus près et au plus juste, une classe réputée difficile fonctionner sous la férule d’un professeur de lettres, et qui ouvrait le monde fermé du collège au spectateur, l’incitant à une réflexion sur ce qu’est aujourd’hui l’acte d’enseigner comme sur les rapports qui se tissent au sein d’un groupe social constitué.

Dans L’Atelier, programmé en ouverture du second cycle cinéma de Tropiques-Atrium pour cette rentrée, un groupe de jeunes garçons et filles, volontaires en principe pour participer à un stage d’insertion sous forme d’atelier d’écriture, se forme, se soude, se déchire, s’affronte ou se réconcilie, microcosme d’une société en souffrance, et que l’œil de la caméra scrute, entre réalité et fiction, puisque là encore, hormis les deux protagonistes principaux joués par Marina Foïs et Matthieu Lucci, jeune acteur prodigieux bien que débutant, les rôles ne sont pas tenus par des professionnels.

Certes, le choix de rassembler autour de la table d’écriture un représentant de chaque groupe social, religieux ou ethnique — l’adolescent noir, le jeune musulman, la “beurette” fille de parents algériens émigrés et fière d’une insertion qu’elle juge réussie, etc. —

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Du développement de la critique théâtrale

— par Janine Bailly —

Lors des rencontres du Premio Europa per il Teatro à Rome, la communication de l’AICT (Association Internationale des Critiques de Théâtre) sous l’égide de la présidente Margareta Sörenson et de Jean-Pierre Han le vice-président, nous a informés de l’action accomplie afin que se développe, de par le monde, la critique théâtrale.

Depuis 1978, des stages sont organisés, sur des festivals (d’art dramatique, de marionnettes…), qui concernent des jeunes ayant déjà accès à la profession de critique, et qui n’ont pas encore atteint l’âge de trente cinq ans. Chaque stage s’adresse à deux groupes de huit à dix participants, l’un de langue anglaise, l’autre de langue française. Cependant, il arrive que soit pratiquée aussi la langue du pays accueillant, ainsi en Chine un groupe fut animé en mandarin, ce qui selon certains est une avancée positive, mais qui pour d’autres est un obstacle aux échanges. Selon les statistiques, 25% des stagiaires seulement sont de sexe masculin, ce qui semblerait refléter la situation de la critique aujourd’hui.

S’il s’agit d’abord d’analyser puis de commenter les spectacles, l’apprentissage se fait aussi au niveau de la langue et de l’écriture.

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Le Prix Europe — Du côté de chez Huppert et Irons

— Par Janine Bailly —

Lauréats du Prix Europe pour le Théâtre, Isabelle Huppert et Jeremy Irons, lors de tables rondes matinales tenues au Palazzo Venezia à Rome, nous ont bien volontiers dévoilé une partie de leur intimité, après que les participants nous eurent dressé leur portrait et rappelé leur parcours professionnel. La providence en soit louée, une traduction simultanée de l’anglais au français étant assurée j’ai eu le bonheur de suivre comédien et comédienne dans leur langue maternelle respective.

 

Jeremy Irons, qui put entendre à son sujet des commentaires élogieux, un peu trop proches à mon goût de l’hagiographie, a animé sa prestation, quittant son siège, mimant pour le plaisir de la salle une entrevue un peu houleuse avec Harold Pinter, et pratiquant avec élégance un humour propre à dérider son auditoire. Un peu cabotin, mais si charmeur, il a enthousiasmé le public féminin et, conscient de ce charme, a tenu à préciser que son épouse était dans la salle ! De cette star, qui dans la vie se montrerait simple et généreuse, se déplaçant à moto ou vélo et refusant les gardes du corps, chacun reconnaît la force d’une voix unique, qui sait mettre en relation « délicatesse, douceur, obscurité ».

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Le théâtre, à ses deux extrémités

— par Janine Bailly —

La programmation du Prix Europe pour le Théâtre, qui s’est voulue éclectique, nous a menés aux deux extrémités du spectre, du plus classique au plus novateur, ce que l’on a pu constater après avoir vu le Richard II proposé par Peter Stein, et la performance Filth, du théâtre NO-99.

De Peter Stein, réalisateur berlinois qui en son temps a révolutionné la Schaubühne, je connaissais la réputation, et j’en attendais beaucoup, quand bien même un critique mauvais coucheur avait titré son article « Richard II, ou la fatigue du spectateur ». La représentation il est vrai s’étire sur trois heures coupées d’un bref entracte, et l’on put y voir maint spectateur dodeliner, s’ensommeiller, consulter sous cape son portable, tandis que les plus audacieux rassemblaient leurs affaires et prenaient subrepticement la fuite… Il est vrai aussi que cette pièce austère, qui traite presque exclusivement de la déposition d’un roi, huitième de la dynastie Plantagenêt, et de son remplacement, à la suite de manœuvres tortueuses, par son rival l’usurpateur — ce qui selon Shakespeare engendrera plus tard la Guerre des Deux-Roses — n’est pas la plus attrayante de son auteur.

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