Étiquette : Fanon

« Billes de verre, éclats de plomb », chronique phantasmée d’une rencontre

— par Janine Bailly —

Dans le « paysage » qu’est Artaud, il faut  « s’y promener, il faut prendre le temps d’aller de saillie en trou, de sentier en piste, il faut s’y exposer, s’y aventurer. » (Kenneth White, in Le monde d’Antonin Artaud, essai, 1989). C’est bien à cette sorte d’aventure que nous convie l’écrivaine, responsable de la mise en scène de son propre texte, Billes de verre, éclats de plomb, avec la complicité de deux comédiens chargés d’assumer ses paroles, comme aussi celles d’ Antonin Artaud et Frantz Fanon, qui traversent en fulgurantes insertions l’écriture ardente et métaphorique de Thérèse Bonnétat.

Quand commence le jeu, l’un se tient de dos en fond de plateau, l’autre est couché au devant de la scène, blotti sous des linges qui d’abord le dissimulent. Et le temps s’arrête, un moment qui peut sembler durer, un moment fait de silence, d’immobilité recueillie, comme une transition entre le « ici-maintenant » et « l’ailleurs » d’un univers théâtral où on nous inviterait à entrer. Pour venir à nous, il faudra à l’un se retourner, à l’autre émerger de linges qu’il déposera à l’avant-scène ; l’un de ces linges, clair, étant à prendre quand il sera parlé pour la première fois d’Antonin Artaud, poète maudit né sous le ciel de Provence, « grand Monsieur masqué de blanc », qui « tel un oiseau de proie » s’offre au grand vent ; l’autre de ces linges, sombre, étant à saisir pour parler de Frantz Fanon, médecin-psychiatre et essayiste, « petit Monsieur à la peau noire », imaginé se tenant face au poète sur le port de Marseille.

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Lectures : « La Jupe de la rue Git-le-cœur » de J.-D. Desrivières ; « Frantz » de M. Herland 

Vendredi 30 juin, 20 heures – à L’Œuf-Maison d’artistes, rue Garnier Pagès, Fort-de-France

Jean-Durosier Desrivières revisite « l’audience »

Jean-Durosier Desrivières est connu comme poète, avec deux recueils publiés chez Caractères (2). Il est également l’auteur, pour le théâtre, de deux pièces brèves (3). La jupe de la rue Gît-le-Cœur met en scène deux personnages, « l’écrivain » et « l’audienceur », sans qu’il y ait pour autant dialogue, la dérive verbale du premier – qui accompagne sa dérive pédestre au quartier latin, en quête des bureaux de l’éditeur auquel il entend proposer un manuscrit – nourrissant les propos de l’audienceur, une figure de la société haïtienne, pas tout-à-fait un conteur, plutôt un affabulateur qui brode à loisir sur des faits réels.

Le monologue de l’écrivain s’alimente à plusieurs sources, parmi lesquelles la topographie du quartier latin, bien sûr, mais encore les passants et surtout les passantes dont il remarque qu’elles sont toutes, ou presque, en ce printemps, vêtues des mêmes pantalons blancs (« Trop de pantalons blancs, me suis-je dit. Et trop de mauvaise fesses dans ces pantalons blancs.

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Fanon, mauvaise conscience des Antilles

Par Michel Herland. À propos de Frantz Fanon et les Antilles, un livre d’André Lucrèce.

Publié en 2011 pour marquer le cinquantenaire de la mort de Frantz Fanon (né en 1925, décédé prématurément en1961), ce livre petit par ses dimensions mais bel objet (par son papier, sa typographie, sa couverture à rabats), et bien écrit, a surtout le mérite de poser quelques bonnes questions (1). La préface annonce la couleur : « En quoi la mise à l’écart de la pensée fanonienne et la promotion du discours-monde constituent-elles une possibilité offerte à l’homme antillais de prendre la mesure du monde et de se défaire des formes d’aliénation moderne ? » (p. 19).

Le premier chapitre du livre rappelle opportunément combien chez Fanon la théorie était inséparable de l’action. Quand il s’intéressait aux névroses de l’homme noir ou du combattant algérien, il savait exactement de quoi il parlait pour avoir reçus ces hommes en tant que patients, pour les avoir soignés. Et de même sa connaissance de la révolution algérienne était-elle directe, intime puisqu’il en était lui-même l’un des acteurs. Intellectuel atypique à cet égard, chez Fanon l’engagement ne se limitait pas à la publication d’écrits non-conformistes ou à l’addition de sa signature au bas d’un manifeste.

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