Soweto: la recette d’un succès populaire ambigu

 — Par Roland Sabra —

Soweto texte de Serge BiléComme toute recette de cuisine tout dépend de l’endroit où vous concoctez votre plat. On ne fait pas une bouillabaisse de la même façon à Marseille, à Miami, à Tokyo, à Fort-de-France. Il est important de tenir compte des ingrédients locaux, de ce que vous pourrez trouver sur le marché.

Prenons l’exemple de Soweto, spectacle qu’il est difficile de qualifier, tant il relève de genres indéfinis, (comédie musicale? tour de chant? danses? music-hall? variétés?) et qui a suscité un enthousiasme populaire indéniable à l’Atrium de Fort-de-France. Les trois représentations ont été doublées et chaque fois elles ont fait salle comble.

Serge Bilé, est un journaliste honnête et compétent, et ses papiers retracent, sans compromis, sans flatterie aucune ce qu’il constate, n’en déplaise à quelques nationalo-populistes qui lui contestent ( de quel droit?) sa liberté de parole au fallacieux prétexte qu’il ne serait pas martiniquais d’origine! La bêtise est sans frontière. Sans être historien, essayiste, ni même écrivain Serge Bilé écrit des livres, témoigne. « Noirs dans les camps nazis », qui aurait dû obtenir le prix Essais France Télévision a été écarté à la suite d’une intervention de la responsable des prix littéraires mettant injustement en doute le sérieux de l’ouvrage. Serge Bilé a gagné le procès qu’il a intenté à France Télévision. « La Légende du sexe surdimensionné des Noirs » est un essai qui dénonce le naturalisme et l’essentialisme d’un mythe qui renvoie, in fine, à l’animalité. « Quand les noirs avaient des esclaves blancs » met en valeur la richesse de civilisations africaines dans lesquelles l’écriture, les sciences et les arts étaient florissants. Il tord le cou aux idées hégéliennes et gaino-sarkozistes sur « l’homme africain qui ne serait pas assez entré dans l’histoire ». On l’aura compris Serge Bilé est avant tout un humaniste qui s’oppose à toute récupération. Un homme libre qui combattra Dieudonné dans ses tentatives de détournement de son premier livre.« J’ai […] dû combattre Dieudonné qui tentait de récupérer le livre», dit Serge Bilé. «Je pense, au contraire, que ce livre incite les Noirs à partager les souffrances de la communauté juive. Pour que de telles horreurs ne se reproduisent plus».

Serge Bilé est donc un homme dérangeant, qui s’autorise de lui-même, pour aborder des genres que les esprits pointus de la spécialité considèrent comme leur espace réservé. Mais on va voir qu’il ne suffit pas de contester les genres institués pour faire oeuvre d’art et que toute transgression réussie suppose une maîtrise des codes que l’on prétend dépasser.

Dernier coup d’éclat, donc, il « ose » écrire une  « comédie musicale » sur Nelson et Winnie Mandela. Pour le côté artistique il s’adresse au meilleur metteur en scène martiniquais du moment, José Exélis et pour les subventions il sollicite Aurélie Dalmat, membre influente de la commission des affaires culturelles de la Région qui finira par revendiquer la totalité de la mise-en-scène, le financier semblant l’emporter sur l’artistique. Les chanteurs recrutés localement sont à la hauteur de l’enjeu et surtout il s’adressera à une excellente chorégraphe qui va porter de bout en bout le spectacle.

Une jeune spectateur entrant dans la salle, qui ne connaîtrait rien de l’histoire de Nelson et de Winnie Mandela en ressortira sans en savoir un traître mot de plus. L’absence de dramaturgie, de problématisation des rapports entre les hommes, l’absence d’incarnation des affrontements sociaux, théoriques, l’absence de personnalisation des débats qu’ils soient d’ordre intime, comment et pourquoi Winnie en vient-elle à trahir Nelson?, ou d’ordre politique, violence ou non violence?, vengeance ou réconciliation, compromis ou jusqu’au-boutisme? Toutes ces thématiques qui incarnées, au sens étymologique du terme, font vibrer, participer, le spectateur sont ici absentes. Autant le dire il n’y a pas de mise en scène, ce qui laisse un espace royal à la chorégraphie. La nature a horreur du vide? Les arts de la scènes aussi! Le spectacle se transforme en un tour de chant, un enchaînement de complaintes, romances et canzonnettes illustrées par des danses, sans fil conducteur aucun.

La bande son, qui semble de la musique synthétique, est assez uniforme, et quelques changements de tempo masquent difficilement le peu d’imagination du créateur. Tout finit par se ressembler, s’aplatir et aucun morceau ne se détache de l’ensemble. On est à des milliers de kilomètres de West Side Story, de Starmania, ce n’est pas de sitôt que l’on verra un des refrains de Soweto en tête des hit-parades. Il est vrai que les soupes que l’on entend sur les antennes ne sont pas gage de qualité, mais bon.

A ce moment, le lecteur doit se demander si le critique peut raisonnablement croire avoir raison seul face aux milliers de spectateurs qui ont ovationné Soweto? Peut-être faut-il déplacer la question : qu’ont-ils applaudi ? Le spectacle ou la situation bien réelle mais éloignée qui est évoquée par le spectacle? Comment ne pas applaudir à l’épopée extraordinaire du peuple sud-africain qui s’est libéré, sans verser dans la dictature, du joug de l’apartheid? Comment ne pas être admiratif devant un leader qui ayant atteint les objectifs qu’il s’était fixé s’est retiré du pouvoir refusant de s’y accrocher? Comment ne pas s’enthousiasmer devant cette image tout en positif d’une émancipation d’une nation noire? Comment ne pas faire le lien avec l’Haïti chérie et douloureuse? Comment ne pas voir que l’Afrique du Sud est un baume sur cette plaie à vif? Signe de l’ambiguïité du triomphe, Karl The Voice qui, dans le spectacle, tient le rôle pas vraiment central de Mandela est follement acclamé aux moments des adieux. Qui acclame-t-on? Le chanteur où le personnage? Le drapeau ou le porte drapeau? Le signifiant ou le signifié?

La bonne volonté des artistes n’est pas en cause, ils se démènent sur scène avec une belle énergie, ils croient à ce qu’il font mais l’absence de sens à leurs présence, et qui n’est pas de leur fait, déréalise leur prestation. Le spectacle a été travaillé, il n’a pas vraiment besoin de mûrir, c’est la direction du travail qui est à revoir car devant un public moins sensibilisé à la thématique évoquée et plus attentif aux enjeux artistiques il n’est pas sûr que les « standing ovations » étasuniennes et assimilées par le public martiniquais soient au rendez-vous.

Fort-de-France, le 07/04/08

Roland Sabra

Comédie musicale

« Sowéto »

par Rodolf Etienne

Photo R.E.

Ce samedi 5 avril, à 15 heures 30 et 20 heures, dimanche 6 avril à 15 heures et 19 heures 30, la grande salle de l’Atrium accueille « Sowéto » de Serge Bilé, mise en scène par Aurélie Dalmat et José Exélis. Le public qui s’est pressé aux guichets devraient être heureux de découvrir ce spectacle qui donne au coeur un grand coup de baume. Tania Saint-Val, Ralph Thamar, Karl the Voice, Orlane et toute la troupe vont, pour ces séances, prouver une fois de plus le talent des artistes locaux. La première, jeudi soir, a tenu toutes ses promesses, faisant flotter sur l’Atrium une atmosphère de bonheur et de partage autour de ce grand homme qu’est Nelson Mandéla et de sa lutte pour la libération de son peuple. On aime Sowéto, et on le redit, mais difficile tout de même de ne pas noter quelques petites « faiblesses ». On est dès l’abord, surpris par la simplicité du décor et des costumes. A tel point que l’on a du mal à se projeter dans cette Afrique du Sud souffrante de l’époque de l’Apartheid. On est aussi quelque peu aigri du déroulé de l’histoire, on saisit difficilement les moments où l’intrigue bascule. Ainsi se retrouve-t-on (déjà en fin de spectacle !) avec un Nelson Mandéla libre, un Botha destitué, sans savoir comment ni pourquoi. On aurait aimé mieux saisir ce moment clé de l’histoire, surtout que la voix de Tanya Saint-Val gagne en pertinence pour ce dernier tableau.

Des hics et des hacs…

Côté musique, on reste aussi sur sa faim : tout au long du spectacle on est « matraqué » par un rock syncrétique (guitare – batterie), qui oublie un peu trop la musique traditionnelle de l’Afrique du Sud et / ou…de la Martinique. Et puis, choisissant de mettre en scène des « stars », dans des rôles qui souvent ne leur colle pas à la peau, on a omis l’essentiel : la crédibilité artistique. Seul Karl the Voice (Nelson Mandéla) ou encore Olivier Angèle (Pieter Botha) « campent » leur personnage. On aura aussi déploré de ne profiter du choeur qu’à de rares instants, alors que celui-ci aurait pu jouer plus activement son rôle, gommant ainsi les aspérités de la mise en scène. On critiquera plus sévèrement encore ces enchaînements musicaux qui suivent un rythme immuable, métronimique, avec une fin et un début. Où sont donc les enchaînements ? On est bien évidemment heureux de cette production, et on en saisit bien les difficultés d’une telle production. C’est une première et une bonne première pour nos artistes et on salue le courage de Serge Bilé. Mais la comédie musicale répond à des critères strictes, et on a l’affreux sentiment qu’ils ont été omis. On se demande alors si, au détriment de la qualité artistique, on n’a pas préféré la mise en valeur d’individualités qui, si elles sont fortes par ailleurs, ne semblent pas trouver le ton juste pour nous ravir dans l’extase. Soyons quand même bon juge et, accordons à toute l’équipe de « Sowéto » le temps de la tournée programmée pour nous fixer sur la résonance de ce spectacle. Alors, messieurs-dames, rendez-vous est pris : Nous vous attendrons !

Rodolf Etienne pour le journal France-Antilles publié les 5 & 6 avril 2008.

Renseignements ci-après tirés du site :

http://www.soweto.fr/

L’AUTEUR

Serge Bilé est journaliste, documentariste, écrivain, musicien et auteur de chansons. Il a publié en 2005 le best-seller Noirs dans les camps nazis et composé pour de nombreux artistes. Il coproduit ce spectacle avec Françoise Valère.

LA COPRODUCTRICE

Françoise Valère est une femme de défi qui s’est spécialisée dans les grands événements qu’elle organise régulièrement en Martinique. On lui doit un concert mémorable, qui a réunit à Fort-de-France, Zouk Machine, Kassav et Tabou Combo. Elle a, également, pendant 4 ans, produit un spectacle pour enfant, Ti-Kréol, qui a connu un gros succès dans la communauté antillaise.

 

LES COMPOSITEURS

Les musiques ont été réalisées par huit compositeurs parisiens et antillais : Jacques Bastello, Eric Virgal, Aliss Terell, Manuel Césaire, Benjamin Constant, Willy Camara, Manuel Mondésir et Christian Lachenal, également directeur artistique sur ce projet.

  

LA CHOREGRAPHE

Stefanie Batten-Bland est une artiste américaine, d’origine haïtienne, de renom. Elle a travaillé avec Bill T. Jones, et s’est, depuis quelques années, affirmée, en tant que chorégraphe, sur les scènes du monde entier : New York, Paris, Budapest, Prague, Madrid. Elle a dansé pour Nelson Mandela et chorégraphié la comédie musicale de Jérôme Savary sur Joséphine Baker

  

LES METTEURS EN SCENE

José Exélis a fait ses premières armes, comme comédien, en participant à une trentaine de pièces. Il s’est fait notamment remarquer dans Britannicus de Jean Racine. Passé à la mise en scène, depuis une vingtaine d’années, il a travaillé sur différentes pièces de théâtre aux Antilles, dont HLM story, qui a connu un succès retentissant.

Aurélie Dalmat est une artiste martiniquaise talentueuse qui connaît quasiment tous les rôles au théâtre : tragédienne, comédienne, directrice d’acteurs, metteur en scène, auteur. Elle s’est illustrée récemment dans une interprétation de Phèdre de Jean Racine. Passée, elle aussi, à la mise en scène, il y a vingt ans, elle a animé des ateliers théâtre pour les sourds muets.

 

LE SCENOGRAPHE

Ludwin Lopez est un créateur dans tous les sens du terme. Installé en Martinique, depuis de nombreuses années ce scénographe, d’origine cubaine, internationalement reconnu, joue, comme personne, avec les images, les costumes, et la lumière. Il a collaboré à des pièces de théâtre à succès comme Besame Mucho.

 

LE CREATEUR LUMIERE

Dominique Guesdon est un « faiseur de lumière » qui a écumé toutes les scènes de théâtre et de danse de France avant de s’installer en Martinique en 1993. Artisan dans l’âme, il illumine, avec autant de maitrise, petits et grands spectacles. Il est assisté de Valéry Pétris.

KARL  THE VOICE
DANS LE ROLE DE NELSON MANDELA

Karl the voice,  c’est d’abord une voix remarquable et sensible au service d’un chanteur multicarte et généreux. Il sait tout faire  – Soul, rap, hip hop, house music, musiques caribéennes –  et prend un malin plaisir à multiplier les expériences humaines et artistiques en travaillant aussi bien avec Bob Sinclar, IAM, que Doc Gynéco.

TANYA SAINT-VAL
DANS LE ROLE DE WINNIE MANDELA

En 20 ans de carrière, Tanya Saint-Val, monstre sacré de la musique caribéenne, a connu tous les honneurs, en solo, ou en duo,  avec  Johnny Halliday, Passi, Francis Cabrel, ou Zouk Machine. Elle s’est produite sur les plus grandes scènes du monde, à commencer par la plus mythique de toutes, l’Olympia, et continue d’enchanter son public avec son inimitable timbre de voix.

RALPH TAMAR
DANS LE ROLE DE DESMOND TUTU

Ralph Tamar s’est fait connaître avec Malavoi, le célèbre orchestre martiniquais avec lequel il a sillonné le monde, et reste, à ce jour, l’une des plus belles voix masculines de la Caraïbe.  Éclectique, il a enregistré avec Kassav et partagé des scènes avec des artistes aussi différents  que  Bernard Lavilliers, Tito Puente, Youssou N’Dour, Yuri Buenaventura ou Dee Dee Bridgewater.

OLIVIER ANGELE
DANS LE ROLE DE PIETER BOTHA

Olivier Angèle est un artiste aux multiples talents, à la fois comédien, metteur en scène et chanteur. Il  a joué au théâtre dans « Les prétendants » de Jean-Luc Lagarce, au cinéma dans « Régime sans pain » de Raoul Ruiz, ou encore à l’opéra dans « Malcom, ou l’histoire d’un prince ». Il est le co-fondateur du célèbre groupe Angel-Maimone-Entreprise, qui écuma les scènes françaises dans les années 80.

LAURENT VIEL
DANS LE ROLE DE FREDERICK DE KLERK

Excellent chanteur, comédien charmeur et charismatique. Une force… Tout a été dit sur Laurent Viel, sur sa présence, impressionnante, sur scène et sa voix, étonnante, qui permet aux mots de prendre leur essor et fait merveille à chaque note. Egalement metteur en scène, il passe, avec un égal bonheur, du théâtre à la chanson.

MIMI FELIXINE
DANS LE ROLE D’AUBREY MALEKA

Mimi Félixine est une artiste complète. Danseuse, elle a participé, avec  Mya Frye, au clip de Prince « You’ve got the look ». Comédienne, elle a joué dans « Marche à l’ombre » de Michel Blanc. Chanteuse, elle s’est produite avec Manu Dibango, Johnny Hallyday, Yannick Noah, et a travaillé pour les studios Disney en prêtant notamment sa voix  à des dessins animés, tels que Le Roi Lion.

ORLANE
DANS LE ROLE D’ELLEN SITA

La voix d’Orlane a une âme. C’est ce que s’accordent à dire tous ceux qui écoutent cette artiste,  de grand talent, qui excelle dans tous les styles de musique, que ce soit le jazz, la chanson française ou le zouk. En dix ans de carrière, elle a travaillé avec les Touré Kunda, et sillonné la Caraïbe, l’Afrique, l’Océan indien, et les Etats-Unis, où elle fait un tabac au sein de la diaspora afro-caribéenne.

Le rôle de Nelson Mandela est tenu par le chanteur martiniquais Karl « the voice », celui de Winnie Mandela par la chanteuse guadeloupéenne Tanya Saint-Val et celui de Desmond Tutu par le chanteur martiniquais Ralph Thamar.

L’Américaine d’origine haïtienne Stefanie Batten-Bland, qui s’est illustrée dans la comédie musicale de Jérôme Savary sur Joséphine Baker, signe la chorégraphie du spectacle.