SOS ! Terriens en détresse

— Par Yolaine de Vassoigne, présidente de l’association Équinoxe —

Équinoxe : réseau d’entraide des familles de personnes souffrant de troubles psychiques en Martinique

A l’occasion de la Journée Nationale de la psychiatrie le 22 janvier 2019, il m’a paru prioritaire d’exposer le vécu des aidants familiaux, notamment les mères de personnes souffrant de troubles psychiques. La plupart vont mal, souvent très mal, parce que la psychiatrie va mal, se révélant globalement incapable d’œuvrer efficacement au rétablissement des personnes qu’elle est censée rétablir. Disant cela, je tiens à saluer et à remercier ceux et celles des psychiatres, des soignants et des acteurs sociaux qui tentent de pallier cet état de fait en remontant à contre-courant car c’est loin d’être simple. J’aurai l’occasion d’y revenir.
Ayant eu à accompagner récemment une mère et un couple en détresse, je voudrais ici témoigner de ce que vivent de très nombreuses familles. Mais d’abord le contexte.

La psychiatrie va mal. Pourquoi ?

Parce qu’elle est trop souvent en dérive, avec une vision étriquée qui se cantonne encore à prescrire des médicaments qui pourtant ne représentent que 20% de chances de réhabilitation quand ça marche, des médicaments qui s’accompagnent d’effets secondaires souvent majeurs, engendrant des pathologies parfois létales, entre autres diabète, hypertension, obésité, troubles cardiaques et rénaux. L’espérance de vie d’une personne souffrant de troubles psychiques est réduite d’environ une vingtaine d’années à cause de pathologies somatiques associées aux traitements ou non prises en charge. En dérive aussi parce qu’en haut, de tout temps, la santé mentale a été le parent pauvre du système de santé en France, l’un des pires en Europe pour la qualité de la prise en charge psychiatrique. La psychiatrie c’est d’abord l’humain, elle se construit autour d’une personne prise en charge dans sa globalité, avec beaucoup d’écoute et de bienveillance, pas autour d’une ordonnance médicale.

L’accompagnement social, clef de voûte du rétablissement, censé favoriser l’inclusion sociale de ces personnes est encore quasi inexistant. L’accès à un logement autonome, à l’emploi, aux loisirs (culture, sport), à la mobilité est largement nié à ces personnes dont pourtant le souhait est pour la plupart d’être autonomes dans leur vie, mais ces droits citoyens ne leur sont pas accessibles dans cette société où leur vécu est fait de rejet, d’exclusion, de stigmatisation, d’isolement, de solitude, parfois de maltraitance institutionnelle liée au déni de liberté fondamentale pour tout être humain qu’est la contrainte, via la contention et la cellule d’isolement. Pourtant il est possible qu’il en soit autrement, qu’une société solidaire leur ouvre l’accès à leurs droits, à défaut de leur ouvrir les bras, à défaut d’empathie, d’humanité tout simplement.

C’est l’objectif des GEM (Groupe d’Entraide Mutuelle : accueil de jour non médicalisé, accompagnement social de personnes en souffrance psychique) dont le 3ème ouvre dans le sud actuellement. Les autres existent sur le centre et le nord atlantique.
Dans tout ça, les aidants familiaux naviguent en enfer parfois, entre détresse absolue, découragement, voire envie de suicide disent certaines mères qui se ravisent vite, car comment sans elles pourraient survivre leurs enfants ?

Face à des situations d’urgence à l’évidence, elles sollicitent d’abord le CMP (Centre médico-psychologique où les personnes sont censées être suivies hors l’hôpital) quand une rechute – prévisible mais non anticipée suite à l’arrêt du traitement pourtant dispensé au CMP – déjà allée trop loin ne peut être gérée que par une prise en charge hospitalière, le temps d’une re-stabilisation de la personne. L’hospitalisation en psychiatrie est de ce point de vue toujours un échec, une absence de réponses en ambulatoire (CMP) et une absence d’accompagnement social des personnes. C’est souvent la conséquence d’un énorme gâchis, de tout ce qui n’a pas été là au moment où il l’aurait fallu, la conséquence de multiples dysfonctionnements ou carences du système qui n’a pas réagi, n’a pas voulu réagir à temps.

Parcours ordinaire des aidants familiaux

Le CMP ? Il répond absent « portez plainte » y répond-on souvent aux familles confrontées à des situations devenues ingérables, parfois dangereuses où elles peuvent être menacées dans leur intégrité physique ou psychologique.

Le SAMU ? Il répond absent « pas (encore) de sang versé, donc pas d’urgence ».

Les urgences psychiatriques ? Elles répondent absent « Suivez la procédure », une procédure complexe qui nécessite un certificat médical constatant l’état de la personne, souvent impossible à obtenir, aucun médecin ne se déplaçant. Or en rechute, la personne est généralement en refus de toute démarche de soin et de tout contact médical. Pas de certificat médical, pas d’admission aux urgences psychiatriques.

Entre temps, quand la situation devient très tendue avec un risque certain pour la personne en rechute ou les aidants familiaux, des courriers ont parfois été adressés au Procureur, au Préfet, à l’Agence Régionale de Santé, au Maire… TOUS aux abonnés absents.

Personne vers qui se tourner, des souffrances parfois devenues intolérables pour la personne en crise ou les aidants familiaux. Parfois une situation qui vire au cauchemar d’heure en heure, jour après jour, nuit après nuit, semaine après semaine, mois après mois. Oui, parce que cela dure souvent des mois, des mois de nuit sans sommeil, d’errance, de profonde angoisse, de délire, de solitude, d’exclusion de toute vie pour la personne malade ; des mois de nuit sans sommeil, de stress, de désespoir, d’abandon, de rejet, de solitude, de toute vie sociale, parfois professionnelle, pour les aidants qui touchent le fond du puits.

Et ces questions lancinantes : pourquoi ce monde est-il sourd ? Comment se fait-il ? Quel sens tout cela a-t-il ? Pourquoi moi ?

Sans réponse sanitaire ou autre pendant des semaines, des mois, la famille se résigne à se rendre au commissariat, parfois suite à de réelles menaces ou à des agressions de leur proche en crise, parfois suite au harcèlement de voisins, de connaissances, voire d’inconnus en butte aux troubles de comportement de leur proche, parfois parce qu’elle aura tout tenté ailleurs. En vain. Et que ça continue jour après nuit, semaine après semaine, mois après mois. Et que ça use, qu’on n’a aucune issue. Parce que de toutes parts, on vous a bien fait comprendre que c’est vous les coupables, coupables donc responsables d’avoir un proche malade.

Le commissariat ? On entend – les oreilles c’est fait pour – mais on n’écoute pas, parfois on se rit de vous comme me témoignait une mère hier « vous avez été blessée ? ». Face à son silence – car après avoir exposé votre situation et confié votre souffrance, on n’a plus de mots face au mur gigantesque, infranchissable, de l’incompréhension – d’un ton moqueur le policier enfonce le clou « avec quelle arme ? ». Là vous êtes effondrée, c’était la dernière chance d’être entendue et on vous ridiculise, avant de poursuivre « cette personne – leur enfant que les aidants n’ont eu d’autre choix que d’héberger, sinon c’était la rue – est chez elle, vous ne pouvez pas porter plainte, pas même une main levée, rentrez chez vous »… même quand il n’y a plus de « chez soi » », que vous avez été bouté-e hors de chez vous, que vous êtes en errance depuis des semaines, des mois, hébergé-e quelques jours à droite, à gauche, balloté-e d’un quartier à un autre, d’une commune à une autre, au bon vouloir de la main charitable qui vous propose quelques jours d’hébergement, un répit, « mais seulement quelques jours, hein ? ». La dernière famille que j’ai accompagnée a, en 3 mois, changé quatre fois de lieu d’hébergement, les trois premiers parce que boutée hors de chez elle par leur fils malade, le dernier parce que sans logement habitable pendant des mois. Leur fils ayant enfin été pris en charge après plusieurs mois, non à l’hôpital, mais… en prison pour s’être montré agressif envers diverses personnes étrangères – les « étrangers » ça compte, pas la famille -, leur coquette maison, un F5, est aujourd’hui rendue à l’état de ruines, seuls les murs et la toiture tiennent encore. Tout le reste, dévasté, une maison des horreurs où tout a été cassé, sali, encombré, peint de graffiti du sol au plafond, portes comprises, où ordures et déchets provenant de décharges ont été accumulés dans chaque pièce et sur la véranda pendant des mois par leur fils malade… pas mieux dans ce qui fut le jardin, pas mieux de part et d’autre de la rue devant.

En lieu et place de soin, direction la prison pour leur fils, avec une cavalcade de procès à venir pour des comportements simplement liés à ses troubles. Tout aurait pu être évité avec dès le départ une écoute, une prise en charge sanitaire, un accompagnement adéquat… mais la psychiatrie et les services sociaux maintes fois contactés ont toujours hypocritement répondu « on ne peut pas obliger quelqu’un à se soigner », sourds à la détresse et à la souffrance de la famille et de leur fils. La sectorisation (suivi des personnes en ambulatoire, c’est-à-dire hors l’hôpital), autrefois une avancée majeure dont la France a été l’initiatrice et le modèle, est aujourd’hui un dispositif moribond à reconstruire complètement.
Belle la société, beau le monde qui traite ainsi des humains – car ce sont des hommes -, qui traite ainsi la folie et les personnes qui gravitent autour ! « Le degré d’évolution d’une société se mesure à la façon dont elle traite ses fous ». Le constat semble clair.

Yolène de Vassoigne, présidente de l’association Équinoxe (réseau d’entraide des familles de personnes souffrant de troubles psychiques) et mère de deux personnes diagnostiquées schizophrènes dont elle est fière car leur combat pour simplement exister dans cette société est admirable.

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