Sauver l’œuvre de Louis Caillat 

— Par Michel Herland —

A côté des Parcours du patrimoine consacrés aux différentes communes de la Martinique dont un article récent a rendu compte[1], d’autres guides sous le même format s’affranchissent du découpage géographique de l’île pour traiter d’un thème transversal[2], d’un lieu unique[3] ou de l’œuvre particulièrement remarquable d’un architecte. Dans l’article précité nous avons mentionné le guide consacré à Germain Olivier (1869-1942), l’architecte de la préfecture de Martinique et du château Aubéry. L’empreinte laissée par Louis Caillat (1901-2002) est bien plus importante puisqu’il a signé les plans de pas moins de 70 ouvrages, bâtiments publics, commerciaux ou maisons particulières.

Une particularité de cet architecte aussi prolifique que talentueux est de n’en être pas véritablement un ! En effet, son père, sculpteur sur pierre et sur bois ayant disparu dès le début de la guerre, il devient dessinateur industriel dès l’âge de 14 ans. Il découvrit l’architecture grâce à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes (Paris 1925) et à l’ouvrage de Le Corbusier, Vers une architecture. Il saisit l’occasion de partir en Guadeloupe, après le cyclone dévastateur de 1928, toujours comme dessinateur mais cette fois aux côtés d’un architecte, Ali Tur. Son contrat ayant été prématurément rompu, au lieu de rentrer en France il migra vers la Martinique et débuta la carrière que l’on sait.

Ses œuvres traduisent l’influence de Le Corbusier dont les auteurs du guide rappellent opportunément les principes : « plan libre, pilotis, toit-terrasse, façade rideau et fenêtres bandeaux mis en place dans un volume très sobre ». C’est néanmoins lorsqu’il combine les lignes courbes avec les lignes droites que Caillat atteint les sommets de son art. En témoigne son chef d’œuvre, la maison Monplaisir (1946-1950), proche du Squash Hôtel, dont la masse imposante ne nuit en rien à l’élégance et qui renferme quelques prouesses architecturales, comme les brise-soleil en béton suspendus qui laissent filtrer la lumière par dessus. L’absence de tout poteau dégage complètement la vue depuis l’intérieur, sans solution de continuité avec la galerie. Autres particularités, les porches sur la rue, les ferronneries et les meubles intégrés au bâtiment.

Ex villa Caillat

La maison Monplaisir, inscrite au titre des monuments historiques depuis seulement 2010 mais qui est restée dans la même famille depuis l’origine, fait, hélas !, figure d’exception parmi les constructions de Caillat. Sans parler de celles qui n’existent plus (comme l’ex-hôtel du Conseil général doté d’une rotonde spectaculaire, détruit en 1984), la plupart de celles qui demeurent ont été profondément dénaturées à l’instar de l’ex-villa Passerelle (rue du professeur Raymond Garcin), construite pour l’ingénieur René Dormoy, devenue une boulangerie, ou de la propre maison de Caillat (route de Cluny) dont les pilotis ont été murés et qui abrite désormais un marchand de pneus. Quant aux jardins, ils ont dans les deux cas disparu.

Dans l’ouvrage qui recense les 101 monuments historiques martiniquais[4] ne figurent que deux bâtiments de Caillat, la villa Monplaisir et une autre « en cours d’inscription » située rue Martin Luther King à Fort-de-France. Formulons le vœu que d’autres bâtiments remarquables comme les villas des officiers au fort Desaix ou la villa Roy-Camille à Saint-Pierre bénéficient de la même protection avant qu’il ne soit trop tard !

 

Louis Caillat – Itinéraire d’un homme libre par Jean Doucet et Yohann Bouin, « Parcours du patrimoine » n° 393, HC Éditions, 2014 (avec le soutien de la DAC Martinique), 160 p., 8 €.

 

Ex villa Dormoy

[1] http://www.madinin-art.net/les-parcours-du-patrimoine/

[2] Musée et lieux historiques de la Martinique – 16 visites culturelles par Jean-Claude Maced et Régine Bonnaire, Fondation Clément et HC Éditions, 2013.

[3] L’Habitation Clément par Christophe Charléry et Florent Plasse ; Fort Saint-Louis par Geneviève Léti, Léo Élizabeth et Jonhattan Vidal, « Parcours du patrimoine » n° 350 et 386, HC Éditions, 2010 et 2013

[4] http://www.madinin-art.net/martinique-monumentale/