Sargasses : comment transformer un mal en bien?

sargasse-2État de la question

Depuis 2011, les sargasses envahissent les côtes de la Martinique. Également appelées « algues brunes », elles proviennent de la haute mer. Elles y vivent sous forme libre et suivent des courants marins qui les dirigent actuellement sur les côtes martiniquaises, préférentiellement vers la zone atlantique mais aussi parfois jusque sur la côte caraïbe. Ce phénomène est la conséquence d’une nouvelle organisation des courants marins parcourant l’Atlantique dans l’hémisphère nord.

Cet écosystème à part entière est frappé d’une dualité :

D’une part, il jouit de protections spécifiques (telle que la convention de Carthage) lorsqu’il se maintient en haute mer. En effet, ces radeaux de sargasses constituent un habitat et une source de nourriture pour de multiples espèces pélagiques, parfois endémiques à l’écosystème, qu’il convient de protéger. Dans un rapport datant de 2004, B.Goff soulignait que le service des pêches de la NOAA1 (USA) arrivait à la conclusion que les sargasses étaient nécessaires pour le cycle de vie des daurades coryphènes et des thazars.

Néanmoins, d’autre part, ce souci de préservation est supplanté par les multiples effets négatifs qui émanent des échouages massifs de sargasses sur les littoraux des territoires qui y sont soumis : ces algues sont alors considérées comme une menace à la fois sur le plan environnemental, économique et sanitaire. En effet, leur putréfaction entraîne des dégagements importants de gaz, notamment de sulfure d’hydrogène et d’ammoniac, qui peuvent être à l’origine de nuisances olfactives et de troubles sanitaires pour les riverains, les promeneurs et les usagers des plages.

Les principales conséquences de la présence de sargasses sont donc la monopolisation de l’énergie lumineuse pour leur croissance, au détriment des autres organismes benthiques, et bien sûr – lors des échouages et de la phase de putréfaction – de leurs effets néfastes sur la santé, l’écologie et l’économie.

Dans le cadre de cette mission, j’ai pu étudier les origines de ce phénomène, observer le fonctionnement de la cellule de pilotage, analyser les pratiques et les dispositifs émergeants de lutte contre ce nouveau fléau, rencontrer les partenaires institutionnels et économiques, et prospecter les différentes solutions de valorisation des sargasses.

Ce rapport a pour objectif de faire un état des lieux de la situation ; il propose également une analyse des offres de solutions existant à ce jour, tant sur la prévention de l’échouage que sur le ramassage et la valorisation des algues brunes.

1. Réponses institutionnelles à la problématique des sargasses depuis 2011

En 2011, face au phénomène, nouveau à l’époque, d’échouage de sargasses, il a fallu faire avec les « moyens du bord » pour répondre à cette situation d’urgence. Les communes ont organisé des collectes, avec l’aide de la Région ; c’est ainsi qu’une aide ponctuelle de 700 000 € a été débloquée en deux fois. En parallèle ont été amorcés :

– La mobilisation de l’expertise des services de l’État (DAAF, DEAL et ARS) pour conseiller les maires ;

– Le suivi de la situation sanitaire avec des mesures quotidiennes des taux de H2S et Intervention dans les cas les plus sensibles (FAA) ;

– La quantification du phénomène avec 14 reconnaissances aériennes Dragon 972 permettant de cartographier les arrivées d’algues.

En 2014, devant le retour, la régularité et l’importance des échouages, un plan sargasse a été envisagé par l’Etat qui, avec ses partenaires (au premier rang desquels les collectivités régionale et départementale), a progressivement cherché à consolider la construction d’une réponse opérationnelle pérenne afin d’enrayer ce phénomène.

Aujourd’hui, c’est un véritable partenariat qui s’est tissé de manière informelle entre les services de l’Etat (Préfecture, DEAL, DIECCTE, ADEME…), les collectivités territoriales, et les EPCI (Cap Nord et CAESM), afin de mettre en place des réponses globales et opérationnelles dans la durée face à l’invasion.

En ce sens, depuis la fin du mois de juillet, tous les vendredis après-midi, se réunit, en préfecture, un comité de pilotage entre toutes ces institutions afin de mettre en place des actions concertées et rationnelles sur l’ensemble du territoire.

1.1. L’Etat

Au niveau de l’Etat la réponse organisationnelle et financière a été la suivante :

Trois groupes de travail thématique ont été mis en place dès septembre 2014 et se réunissent mensuellement :

– 1 sur le traitement et process de compostage (pilotage DAAF)

– 1 sur la valorisation agronomique (pilotage DAAF)

– 1 sur la détection et les modalités de ramassage (pilotage DEAL)

Le ministère de l’environnement a débloqué une somme de 1 500 000 € via l’ADEME dans le cadre de l’AMI (Appel à Manifestation d’Intérêt).

Hors AMI, et outre le réseau de capteurs fixes, 2 autres projets sont soutenus par l’ADEME :

– Une étude de valorisation des algues sargasses par pyrolyse (entreprise locale DSK)

– Une formation technique pour l’évaluation des chantiers de collecte sargasse et la prise en compte du risque sanitaire

L’ADEME a également alloué :

– Une enveloppe de 700 000 € pour l’achat de matériel lourd de ramassage au bénéfice de L’Espace Sud et Cap Nord ;

– Une enveloppe supplémentaire, en complément et au titre du FEDER, de 500 000 € pour le même type d’achat ; quatre dossiers sont en cours d’instruction (Cap Nord, Espace Sud, la commune de La Trinité et celle du Marigot ; cette dernière vient d’avoir un avis favorable pour son dossier avec un financement de 100%)

– Une enveloppe de 157 800 € pour le financement d’un poste d’encadrant de « brigades vertes » pour une durée de 3 ans à CAP Nord.

L’ADEME a également validé le projet d’extension de l’entreprise Holdex permettant d’augmenter la capacité de récupération des algues sargasses (financement public demandé à hauteur de 6 050 000 €).

De plus, au-delà des efforts financiers importants mobilisés par les collectivités et notamment le Conseil régional, l’Etat contribue au financement de plusieurs dispositifs.

Le Préfet a d’abord décidé de mettre également à disposition des maires, une enveloppe de 200 000 € de la DETR (Dotations d’Équipements des Territoires Ruraux pour financer les besoins des communes en petit matériel).

Par ailleurs, dans cette phase transitoire et en attendant les résultats des expérimentations de ramassage qui doivent permettre, à moyen terme, de doter le territoire de moyens de collecte adaptés, l’État soutient les communes pour l’enlèvement des algues :

En 2014 au plus fort des échouages, le Préfet a mobilisé l’hélicoptère de la sécurité civile pour des reconnaissances aériennes hebdomadaires et a engagé les forces armées sur le terrain (Robert, Trinité, Ste-Anne)

– Actuellement ce sont les moyens de la DEAL qui sont à l’oeuvre (chantiers au Marigot, à La Trinité, au Robert, au François, au Vauclin et récemment au Diamant).

Ces interventions représentent 230 journées cumulées (100 sur le territoire de l’Espace sud et 120 dans le Nord) pour un montant de 250 000 €.

– Enfin, en parallèle, des brigades de l’environnement ont été constituées dans le cadre de chantiers d’insertion. Portées par les EPCI (Espace Sud et Cap Nord) ces brigades sont financées par l’État via la DIECCTE à hauteur de 2 919 550 90 €, permettant le financement de 160 emplois.

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Un réseau de capteurs fixes, géré par Madininair en partenariat avec l’ARS et financé à hauteur de 200 000 € par l’Etat, la collectivité régionale y contribuant à hauteur de 41 256 €, sera opérationnel avant la fin de l’année.

Enfin, le Gouvernement a notamment mis en place dans le cadre du plan interministériel «Sargasses », un fonds exceptionnel de 2 000 000 € pour les Antilles françaises au titre de la solidarité nationale, afin d’accompagner l’engagement des actions de ramassage par les collectivités.

Lors de la réunion de la Cellule de Pilotage du 18 septembre 2015, la DEAL a annoncé que la totalité de l’enveloppe financière de 300 000 € allouée aux opérations exceptionnelles de ramassage des algues avait été consommée.

Le directeur de cabinet de la Préfecture a indiqué que des fonds étaient disponibles sur une autre ligne budgétaire, afin de pouvoir continuer l’opération « coup de poing » prévue pour dégager les sites pollués depuis plus d’un an. (Un effort supplémentaire a été consenti sur la ligne 123 du budget de l’Etat pour la collecte des derniers arrivages (semaine du 6 octobre 2015).

Il faut noter que les moyens de l’Etat, à travers les services de la DEAL, semblent largement insuffisants au regard de la problématique, du nombre et de la spécificité des sites à traiter: seuls trois engins, dont une pelle à long bras âgée de plus de 15 ans, sont mis à disposition des équipes.

Ainsi l’Etat n’a aucune réponse satisfaisante à ce jour pour plus d’une dizaine de sites encroûtés.

Il existe des sites non accessibles par voie de terre et infestés depuis plus de 4 ans et qui ne peuvent être traités par les brigades environnementales en raison de la dangerosité du cocktail de gaz comprimé sous la croûte.

 1 National Oceanic and Atmospheric Administration

Lire la suite et l’intégralité du rapport

ou

La note de synthèse sur le site du Conseil régional