« Ris donc, parterre ! » A propos de « Embrassons-nous, Folleville! »

— par Roland Sabra —

au CMAC les 6 et 7 mars 2012

–__- Eugène Labiche par Desboutins

Labiche, ce « bouffon de l’empereur » (« Napoléon-le-petit ») est l’auteur emblématique d’un genre de théâtre considéré comme mineur par les écrivains du XIX ème siècle, le vaudeville dont l’origine date de plusieurs siècles. Chansons à boire normandes du Val-de-Vire, faciles à chanter construites autour d’évènements du jour, les Vaux-de-Vire gagnent l’ensemble des villes de France et deviennent des vaudevilles. L’intégration avec le théâtre intervient au XVIII ème avec des compositions scéniques sous la forme de dialogues chantés plus ou moins parodiques. C’est au moment de la révolution française, en 1792 que le premier « Théâtre du vaudeville » est créé à Paris mais il faudra attendre le siècle suivant pour que le sens actuel soit fixé et désigne une comédie populaire légère faite de rebondissements, de quiproquo, de grivoiseries autour de relations amoureuses complexes et/ou plus ou moins intéressées.

Le rire provoqué par le vaudeville est un rire respectueux de l’ordre social. Il n’a aucune perspective critique . « C’est un théâtre bourgeois qui rit du bourgeois mais qui n’entend pas changer le monde ». L’absence de pensée critique est produite par le rythme exceptionnel des comédies d’intrigue, en particulier chez Labiche. Le rythme est endiablé avec pour seules pauses les couplets chantés. La multiplication des scènes, dix-neuf dans le seul et unique acte de « Embrassons-nous Folleville », des personnages entrant et sortant du plateau sans cesse instaure, construit l’impossibilité de développer une tirade ou un raisonnement. La boursoufflure, la répétition et l’emphase flirtent avec la platitude car si la parole est ampoulée, elle est surtout figée, à l’image des situations acquises que ce théâtre entend préserver. Si l’action prime sur la réflexion c’est avec un parti pris clairement affiché de détachement. Les personnages disent leur vie plus qu’ils ne la vivent. Le grotesque des situations conforte le statut social du spectateur qui n’est jamais convoqué sur scène. Ce détachement prend à l’occasion l’apparence d’une distanciation au moment des couplets chantés, et des nombreux apartés avec le public, ces flatteries que n’oublient pas  de ne pas oublier les nombreuses didascalies.

Les auteurs de vaudevilles du XIX ème siècle ont été si peu révolutionnaires, les penser ainsi leur serait déshonneur qu’ils ont été pour une grande part d’entre eux, académiciens! Il faudra attendre le siècle dernier assez tordu pour que des esprits du même acabit tentent de faire du vaudeville un précurseur du théâtre de l’absurde quand ce n’est une avant-garde annonciatrice d’un théâtre métaphysique.Avec « Embrassons-nous, Folleville », écrite en 1850 Labiche, le rire s’emballe « joyeusement » autour du ridicule d’un ordre social, celui de l’aristocratie déjà renversée. Le petit-bourgeois va rire à gorge déployée et sans doute par dépit d’une noblesse qu’il tente en vain par ailleurs d’imiter. Quel est l’argument ? Le Marquis de Manicamp, un agité, un hyper-actif, dirions-nous aujourd’hui, veut sur un coup de tête, marier sa fille Berthe au Chevalier Folleville. Or celui-ci, un brin timide et introverti, est engagé avec sa cousine Aloise. Chaque tentative de sa part pour expliquer à Manicamp sa situation avorte sous le débordements d’affection collante, envahissante et démonstrative du marquis, qui noie le Chevalier dans les préparatifs et l’organisation matérielle de ce mariage. Mais ce projet d’ union est bien mal engagé puisque la Berthe en question n’est pas insensible, loin s’en faut, à la flamme qu’un soufflet un peu vif, à allumé dans le cœur du Vicomte de Chatenay lors d’un menuet passablement mal dansé. Mais bien sûr comme« Tout est bien qui finit bien » l’issue sera heureuse.

Labiche, fils de bourgeois aisé, marié à une riche héritière, châtelain en Sologne à la tête de 900 hectares épousera le mode de production naissant jusqu’à l’imiter dans la constitution de son propre ouvrage. Sur les 174 ou 173 pièces signées de son nom quatre seulement auront été écrites par lui seul. Toutes les autres l’auront été avec les 46 collaborateurs recensés à ce jour. Une division du travail, reflet de celle des usines naissantes, qu’il supervise et dans laquelle le fruit du travail appartient à celui qui l’organise. L’historien de la littérature et critique littéraire Ferdinand Brunetière, opposant à la candidature de Labiche à l’Académie écrivitt en 1879 : « On ne fait pas assoir une raison sociale dans un fauteuil académique ».La mise en scène de Laurent Fréchuret ( voir l’article de Christian Antourel) a été saluée par l’ensemble de la critique et accompagnée d’un joli succès populaire. Il faut donc se dépêcher de réserver ses places d’autant plus qu’une certaine caste dirigeante, ici en Martinique raffole de ce théâtre joyeux, anodin et si respectueux in fine de l’ordre établi.

Roland Sabra, Fort-de-France le 26/02/2012