Réparations et décolonisation, par Alain Limery (CCPM)

INTERVENTION DE  ALAIN LIMERY

(Coordination des Comités Populaires de Martinique)

 IV ème SEMINAIRE INTERNATIONAL AFRIQUE CARAIBE AMERIQUE LATINE

REPARATIONS ET DECOLONISATION

 

C’est fort des résolutions de l’ONU, mais aussi de l’exigence sans cesse croissante d’un ordre international plus juste et débarrassé de la prééminence du capitalisme que se tient ce séminaire. Nous espérons qu’il en sortira des pistes d’action fructueuses en vue de l’éradication du colonialisme sous toutes ses formes. C’est la tâche qui nous incombe dans cette troisième décennie internationale décrétée par l’ONU.

Mon propos portera sur la question des REPARATIONS DANS LE CADRE DU PROCESSUS DE  DECOLONISATION.

En effet, les conquêtes coloniales,  l’instauration des systèmes d’esclavage et d’indigénat la systématisation du pillage des ressources, des richesses économiques et culturelles, des cerveaux, dans les territoires dominés ont eu des conséquences absolument dramatiques  qui se traduisent par :

1) Un mal développement de nos pays confrontés dans la plus  part des cas à la totale inadéquation, des lois, règles et normes avec la réalité géographique,  culturelle, économique ou sociale qui constitue le socle de notre société.

 2) Une coupe franche de l’équilibre démographique de notre pays  avec les lois de l’immigration des années 1960 et 1970 qui l’ont vidé d’une frange importante de sa jeunesse, et qui font que la Martinique, avec une population vieillissante, s’oriente vers une catastrophe démographique d’ici 20 à 30 ans.

Le constat flagrant des conditions de vie lamentables pour nos peuples  se vérifie  dans de nombreux domaines :

Le domaine de la santé, où l’on assiste à un désengagement de plus en plus manifeste de l’état.

– déremboursement des médicaments

–  réformes aux conséquences désastreuses imposant aux hôpitaux des logiques budgétaires ;

Le domaine de l’éducation ou l’on constate  un nivellement par le bas des conditions d’exercice pour les enseignants, la surcharge des classes, le manque de perspectives d’embauche pour nos diplômés,

Le domaine de  l’économie avec

Le renchérissement des coûts des denrées alimentaires et de consommation courante,

L’augmentation de la pression fiscale

L’accroissement du niveau d’endettement des ménages,

La régression du taux de couverture des productions  agricoles par rapport aux produits importés, ce qui provoque une dangereuse dépendance alimentaire.

Le domaine de l’écologie  avec le drame de la pollution des sols, des nappes phréatiques et de notre espace maritime  par les pesticides.

Tous ces éléments sont la conséquence de la colonisation de fait et l’expression de ces méfaits, qui traduisent l’impossibilité pour les Martiniquais de conduire eux-mêmes les actions nécessaire à leur développement.

Ainsi malgré toutes les tentatives des dirigeants colonialistes Européens de promouvoir de prétendus <<aspects positifs de la colonisation>>, malgré leur refus empreint d’arrogance de reconnaitre les crimes et leur responsabilité, afin d’assumer leurs actes, un courant qui a désormais  un rayonnement mondial pose avec de plus en plus de force l’exigence des REPARATIONS. Il ya  eu crime contre l’humanité. Les responsables sont identifiables. Les torts doivent être reconnus, et les victimes indemnisées. Cela d’autant plus que le crime se perpétue avec violence aujourd’hui. C’est la fameuse affaire du CHLORDECONE. Il s’agit d’un dangereux pesticide interdit en Europe et aux USA pour lequel l’ETAT FRANÇAIS a donné dérogation afin qu’il soit utilisé dans les bananeraies. Aujourd’hui de vastes parties du territoire sont polluées. On interdit aux agriculteurs qui s’y trouvent de vendre leurs produits. On interdit aux marins-pêcheurs d’exercer leur activité. Une vague impressionnante de cancers de la prostate a été constatée. Aucune indemnisation n’est prévue. Le principe pollueur payeur ne vaut pas en colonie. L’Etat colonial se défausse totalement de sa responsabilité. Le pire c’est que l’histoire se reproduit ave la dérogation accordée à l’interdiction de l’épandage aérien.

Le droit à réparation est un principe admis par toutes les législations occidentales, et dont  l’application est exigée quand les colonialistes sont concernés. Nous devons à titre d’exemple nous rappeler  les indemnisations dont ont pu bénéficier la France et la Grande Bretagne consécutivement aux deux guerres mondiales. On peut penser à la question des emprunts russe suite à la dislocation de l’URSS. Parfois même ce sont les criminels qui ont été indemnisés !  Haïti a du payer pour indemniser les esclavagistes et les colonialistes !  L’Irak détruit par les frappes de l’OTAN à l’occasion d’une guerre basée sur le mensonge, a dû indemniser les agresseurs !

Nos peuples ont donc légitimement le droit d’exiger réparation d’autant plus que les mécanismes mis en place à la faveur de la colonisation persistent et permettent la perpétuation du crime.

C’est en ce sens que le mouvement international pour les réparations (MIR) conduit depuis plusieurs années des réflexions  et autres  actions  visant à obtenir  réparation des crimes commis par les colonisateurs au travers de la traite négrière et de l’esclavage.

La section MIR de Martinique est très active et pour preuve l’Etat Français sous la contrainte des diverses mobilisations dans ses différentes possessions coloniales à, au travers de la loi TAUBIRA  reconnu l’esclavage des noirs et la traite négrière comme étant un crime contre l’humanité (Loi française n°2001-434, dite loi TAUBIRA).

Cette loi qui lève plusieurs obstacles juridiques, a ouvert de nombreuses perspectives au MIR Martinique, dans son action pour que soit déclarée la responsabilité de l’Etat Français dans le préjudice infligé à la population de Martinique, issue de la traite et de l’esclavage.

Cependant la tâche reste ardue, la vigilance et la lutte restent de mise. Nous savons que les puissances coloniales occidentales mènent un combat acharné pour que la question de la réparation ne soit pas valablement posée. C’est ainsi que nous avons observé des manœuvres visant à boycotter   la conférence des nations unis contre le racisme, à Durban en Afrique du sud en aout septembre 2001. En effet les observateurs indiquaient déjà je cite :<<la préparation de cette conférence sur le racisme a été marquées par de vives controverses –et tensions- qui ont opposés les pays occidentaux les pays arabes et la société civile Africaine sur deux sujets très politiques ; le proche orient et la question des réparations liées à l’esclavage. Difficulté que quotidien français « libération » résumait ainsi début aout 2001 : « l’antiracisme piégé par le sionisme et l’esclavage ».

. De plus, même dans le camp des anticolonialistes, certains refusent de s’engager dans ce combat, ne  voulant y voir qu’une simple demande de finances.

Nous comprenons que nous ne devons-nous faire aucune illusion sur un quelconque changement d’attitude des gouvernement occidentaux et que nous devons nous doter de nos propres moyens de lutte,  amplifier le travail et les pressions sur le plan mondial pour imposer une dynamique de réparation.

Se posent les questions des modalités de la Réparation :   (Fonds de Développement, renégociations des dettes, soutien aux recherches généalogiques par l’ouverture des archives, etc.) Autant de domaines sur lesquels les peuples concernés doivent se mobiliser collectivement.

Une chose  est sure, la véritable « réparation » des dommages liés à la colonisation et aux séquelles de l’esclavage ne peut être réalisé que par nous-mêmes.

Cette « auto réparation » implique la reconquête de notre histoire et sa divulgation pour une fraction plus large de nos peuples respectifs. Pour ce qui nous concerne en Martinique, nous avons constaté de nombreuses avancées, cependant nous devons renforcer notre combat pour  la réappropriation de notre culture et poursuivre le travail d’auto valorisation. En ce sens, nous pensons que les progrès passent par les actions alternatives  dans le domaine de l’éducation et par l’impulsion d’initiatives concourant à la gestion de nos vies, sur les plans économique et  social.

C’est la raison pour laquelle  nous croyons que la question de l’autoréparation est une donnée essentielle  dans le processus de décolonisation.

Nous vous remercions pour l’attention que vous nous avez accordée.