Référendum d’initiative citoyenne (RIC) : la douce folie de la démocratie

— Par Yves-Léopold Monthieux —
Les référendums ne sont pas organisés, comme les autres élections, à des échéances fixées d’avance par la loi. Par ailleurs, le texte soumis à référendum, comme l’opportunité de la saisine, expriment l’expertise politique de celui qui pose la question et suppose la compréhension du citoyen qui doit y répondre. C’est dire que le référendum qui est le processus démocratique ayant la plus grande force démocratique, peut, lorsqu’il est dévoyé, conduire à de vrais dégâts. On évoque souvent le cas de MAASTRICH en oubliant que ce vote avait été utilisé par la droite et la gauche pour régler des conflits internes aux partis. Le « non » prôné par Laurent FABIUS avait en ligne de mire le leadership du parti socialiste en vue des futures présidentielles.
Par ailleurs, de même qu’il est utile de confier la construction des ponts aux ingénieurs et la santé aux médecins, il convient de confier le fonctionnement de l’Etat à des professionnels ayant un niveau d’expertise équivalent. En France ce sont les diplômés de l’ENA de « Sciences Po » qui remplissent cette fonction, la suppression de ces écoles n’a pas de sens. Aux élus de veiller à ce que ces technocrates restent à leur place et n’empiètent pas sur celle des politiques. D’ailleurs, on ne saurait trop rappeler que les hauts fonctionnaires ont pris le pouvoir sous la 4ème République pour pallier la vacuité des gouvernements due à l’instabilité ministérielle. Et s’y sont accrochés. En tout état de cause, le tout moun capab ne tient pas la route, ne pouvant créer que du populisme.
Nous sommes au début de 1964 à l’Institut Vizioz. Claude Emeri va nous faire son cours sur le fonctionnement de la Démocratie. Il nous expliquera pourquoi celle-ci ne peut être que représentative. Dès le début du cours il a invité les étudiants à trouver l’exemple d’un pays qui serait dirigé sans intermédiaires, directement par ses habitants. Alors qu’il n’attendait pas vraiment de réponse positive à sa question de pure forme, un étudiant a levé le doigt à la surprise de ses camarades. Ce dernier avait un cas à soumettre. Dans la semaine précédente il avait lu un article dans le tout récent Nouvel Observateur qu’il lisait déjà très régulièrement. Cet article concernait une île nommée Tristan da Cunha, perdue entre l’Amérique et l’Afrique, au sud de ces 2 continents. Elle était directement administrée par ses habitants qui prenaient collectivement les décisions. Cette démocratie était donc directe, collective et parfaitement participative. Un système qui conviendrait fort bien à l’esprit Gran tjè gran l’espri de mon ami Olivier JEAN-MARIE. Le prof qui ne s’y attendait pas reprit son souffle lorsqu’il fut précisé que la population de cette île se limitait à moins de 100 habitants.
En effet, ce cas de figure ne peut pas se concevoir dans une collectivité de plusieurs milliers d’habitants, voire des millions. Plus la population est importante, plus nombreux sont les corps intermédiaires, de sorte que le pouvoir du peuple y est nécessairement représentatif. A l’inverse, les référendums et les plébiscites sont des procédés de démocratie directe à manier avec délicatesse. Ils servent parfois à zapper les représentations intermédiaires et à faire prospérer la démagogie et le populisme. Aussi, les référendums mettent souvent au second plan les questions posées, se rapprochant du plébiscite, pour coller à la personne qui interroge et perturber le choix de l’électeur. Ce dernier ayant apprivoisé le piège, les gouvernements craignent de plus en plus, en France, d’utiliser ce procédé démocratique que les gilets jaunes plébiscitent, au contraire, comme un moyen évident de les sanctionner. Reste que l’idée de référendum illustre bien la conception gaullienne de la présidence de la république, la rencontre d’un homme et d’un peuple. Laquelle se traduit par l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel, qui n’est pas susceptible d’être remise en cause dans un avenir prévisible, notamment à l’avènement de la 6ème République.
On le sait depuis toujours, la démocratie contient en son sein les éléments pouvant la conduire à sa perte. C’est pourquoi partout où elle existe, des artifices sont utilisés pour l’empêcher d’échapper à la raison. La désignation par le peuple d’élus nationaux chargés de contrôler l’action du gouvernement est le premier des garde-fous. Elle se définit par deux mots : démocratie représentative. L’élargissement du référendum à la possibilité pour les citoyens, à leur seule initiative, de défaire les lois existantes, d’en faire de nouvelles et de révoquer les élus qu’ils se sont eux-mêmes donnés, c’est la suppression, de fait, des députés et des sénateurs. C’est la mort de la démocratie.
Fort de France, le 29 décembre 2018
Yves-Léopold MONTHIEUX