Recherches en Esthétique n° 21, « La Réception de l’art ». Présentation.

— Par Olivia Berthon —

recherche_en_esthetique_n°21Le mardi 14 mars 2016, ESPE Martinique

Considérer l’art dans sa dimension sociale, s’interroger sur ce que l’art représente pour nous, pour moi, pour eux, pour les autres, voilà une des acceptions de la réception de l’art.

L’éditorial de ce 21e volume de la revue Recherches en Esthétique nous le précise : ce sont les évènements tragiques, survenus en janvier 2015, les tristement célèbres attentats de Charlie Hebdo qui ont incité Dominique Berthet et son équipe de chercheurs, contributeurs et collaborateurs, à s’interroger sur cette notion, celle de la réception de l’art, qui aujourd’hui, à l’ère d’Internet et des nouveaux médias de communication, se pose en de nouveaux termes.

En s’appuyant, sur la réception d’un dessin qui aurait pu porter la mention « ceci n’est pas le Prophète », pour faire référence à une des trahisons les plus célèbres, celle des images de René Magritte, la question posée se concentre, entre autres, sur la manière dont seront reçus différents « objets » qui tendent à se déployer dans un contexte donné. Contexte qui, à l’heure actuelle ne cesse de se développer, de s’étendre, grâce, comme je le disais à l’instant, à Internet, qui permet une diffusion massive et instantanée d’images flux, au-delà des cultures et des frontières.

Cette revue, réunissant 19 articles, divisés en 3 parties, est à la fois une réflexion de haut vol, concentrée autour de la notion de réception de l’art vu sous de multiples coutures, mais aussi un élargissement, forcément, des différentes conceptions que l’on pourra bâtir autour de cette notion.

Cet ouvrage « ouvre », il augmente le nombre de pistes théoriques que cette notion révèle, que cette notion exhibe et provoque l’entendement que l’on peut s’en faire et qui relève d’une question importante, puisque recevoir une œuvre, c’est la mettre au centre du débat, l’exposer, la confronter à un public qui, nous le savons aujourd’hui, pourra peut-être la recevoir comme une forme de déclaration de guerre de positionnement culturel, intellectuel ou religieux, « passible de la peine de mort » (p. 15).

Les 17 auteurs qui interviennent sont des spécialistes, des chercheurs issus de très larges univers : littéraire, artistique, esthétique bien sûr, issus du cinéma, de la photographie, de la philosophie, de l’histoire de l’art, des critiques d’art et autres linguistes. Des spécialistes des cultures francophones, mais aussi espagnoles, et germaniques, des ambassadeurs des cultures antillaises, françaises, caribéennes, des cultures allemande, brésilienne, autrichienne, grecque, sénégalaise, tunisienne, portugaise et japonaise.

La première partie s’intitule « L’art au risque de sa réception », et commence, juste après l’éditorial, par un entretien réalisé par Dominique Berthet avec le professeur émérite de l’Université de Paris 1 Marc Jimenez, intitulé « Attention à l’art contemporain ! ».

Dans cet entretien, et en s’appuyant entre autres sur les points de vue d’Alain Badiou et d’Emmanuel Todd au sujet du slogan « Je suis Charlie » et des manifestations consécutives, Dominique Berthet interroge Marc Jimenez sur son analyse de ces évènements, sans oublier de faire référence à la caricature de Louis Philippe métamorphosé en poire dans le journal La Caricature en 1830, près de deux siècles auparavant, et sur les limites de la liberté d’expression. La gravité et la proximité historique de ce thème invitent Marc Jimenez à répondre avec puissance.

Bien après les milliers d’éclats de rire suscités, déjà, par les leçons du caricatural Bourgeois Gentillhomme de 1670, ou des fables de La Fontaine datant de la même époque, Marc Jimenez nous prouve bien que la question de la liberté d’expression est au cœur des préoccupations esthétiques depuis des siècles. Emmanuel Kant, dit-il : « conditionnait la liberté de penser à la liberté d’expression, à celle de communiquer librement nos pensées » (p. 8).

Bien conscient du fait qu’en France, la liberté d’expression a toujours été limitée, Marc Jimenez pose alors une autre question, celle du droit au blasphème. Alors, le dessin satirique, peut-il lutter contre le fanatisme ? En gardant pour fil d’Ariane la question de la liberté de penser, de la liberté de créer et d’expression, les interlocuteurs échangeront autour du thème de la transgression, en s’appuyant sur des œuvres d’artistes comme Anish Kapoor, Titien, Michel-Ange, Marcel Duchamp, Annette Messager ou Jackson Pollock, et j’en passe.

Christophe Genin nous invite ensuite à nous interroger sur « la réception comme possible renaissance de la barbarie », dans un article précédé de la mention « “Je suis Charlie” versus “Oui, mais…” ». Ce professeur en philosophie de l’art et de la culture à l’Université de Paris 1 nous rappelle, en se référant au texte de Hans Robert Jauss, que le public « n’est pas un réceptacle passif, mais un receveur actif et influent qui intervient dans l’histoire d’une œuvre » (P. 13).

En opposant les mœurs de l’homme civilisé, qui admet le principe de discussion, au barbare, qui contraint l’autre à lui obéir, il nous permet de comprendre que la violence de la réception d’une œuvre par des intégristes fondamentalistes qui s’érigent en autorité légitime, fait que le rire est tout simplement « passible de la peine de mort » (p. 15), en prenant appui sur le principe de la vengeance. La question du « sacré » a donc du mal à s’entendre avec le dessin comique, transformant de simples caricaturistes en figures nationales, par leur assassinat.

Christophe Genin s’interroge sur le pouvoir du crayon en tant qu’arme, et sur les paradigmes de l’image, avant de s’interroger sur les ambiguïtés du mahométanisme, en nous rappelant qu’il n’y a pas « d’interdit spécifique portant sur la personne de Mahomet, mais sur les “idoles” » (p. 21), nuance. « Dès lors, la réception qui condamne Charlie Hebdo au nom d’un prophète irreprésentable fait preuve d’inculture », dit-il (p. 22), car « si le mahométanisme arabe ne figure pas Mahomet, en revanche, l’islam ottoman, perse ou moghol ne s’en priva pas » (p. 23). Christophe Genin explore ce sujet, nous parle de la mort, de l’islam, mais aussi des ambiguïtés de la culture européenne, en gardant, en toile de fond, l’esprit anticlérical, anticonformiste, libertaire et émancipateur propre à l’esprit de mai 68, en nous rappelant que « savoir rire de soi, est bon pour la santé » (p. 28).

L’article suivant, intitulé « Trois paradigmes de la réception de l’art », est proposé par Michel Guérin, qui a été conseiller culturel en Allemagne, en Autriche puis en Grèce, auteur d’une trentaine d’ouvrages, agrégé de philosophie, professeur émérite à l’Université d’Aix Marseille, et membre honoraire de l’Institut Universitaire de France.

Dans cette communication, l’auteur interroge l’esthétique de la réception en précisant au lecteur qu’à l’origine, ce courant critique était aussi bien plus tourné vers la littérature que vers l’art, en prenant appui sur des auteurs comme Jauss, mais aussi Wolfgang Iser, Hans Georg Gadamer ou encore Martin Heidegger.

Pour lui, « L’esthétique classique nomme beauté ce sens incarné qui, nous échappant, sait nous toucher en nous donnant à penser » (p. 32). L’œuvre serait alors un corps, doté d’une âme, une unité, une entité. « Œuvre liée à son médium propre, comme l’esprit à la chair » dit-il plus loin : on distingue, là encore, la dimension sacrée de la question. Chair dissolue, grâce à l’intervention de Hegel, « le temps de l’art sans œuvre a commencé », dit-il (p. 33). Michel Guérin nous invitera, ultérieurement, à nous interroger sur l’histoire des institutions, sur l’esthétique de la répétition, à nous interroger sur la dématérialisation « d’œuvres “qui ne soient pas d’art” ; en réalité, un art, qui ne soit plus qu’art » (p. 37).

L’article qui suit, intitulé « La réception de l’art à l’ère du post-art », est proposé par Dominique Chateau. En premier lieu, le point est fait, quant au terme « post-art » qui désigne, « par son préfixe, un moment après l’art qui n’est pas encore absolument émancipé de l’art » (p. 45).

Ce professeur d’esthétique et d’études cinématographiques à l’université de Paris 1 Panthéon Sorbonne, s’interroge tout d’abord sur la complexité à définir le terme « art », en se référant notamment au travail de Walter Benjamin, pour ensuite nous amener à prendre toute la mesure du contexte de lecture de l’œuvre. La réintégration paradoxale d’une œuvre – qui aurait subi un déplacement de tout ordre –, « serait inexplicable sans la reconnaissance possible de la métamorphose singularisante du donné culturel » (p. 45).

En navigant entre les pensées de William John Thomas Mitchell, de Theodor Adorno, de Hannah Arendt, de Harold Rosenberg ou encore de Paul Valéry, Dominique Chateau, sans oublier de faire référence à la créativité créolisée, nous permet de comprendre qu’avant d’être un besoin social, « l’art est un besoin ontologique » (p. 51).

La liberté d’expression, qui est au cœur des problématiques ici posées, revêt une dimension particulière pour Christian Ruby, qui est l’auteur de l’article suivant, intitulé « L’art avant la réception ». Philosophe, docteur en philosophie, formateur de médiateurs culturels et membre de l’Observatoire de la Liberté de Création, il nous indique d’emblée que la notion de réception est « désormais centrale dans les débats sur le spectateur, déployés par les médiateurs et les directeurs d’institutions culturelles » (p. 53).

Dans un contexte où les formes de communication sont en mutation, en mouvement perpétuel, la « réception esthétique n’est que l’un des régimes possibles de l’appropriation des productions humaines » (p. 54), dit-il. En s’appuyant sur des concepts développés par Michel Foucault, Jacques Rancière, Hans Belting, Kant ou Baudelaire, Christian Ruby nous propose une « configuration du spectateur, à considérer sous quatre figures, dont il dresse le portrait dans cet article, spectateur qui s’élabore à la fois en modèle philosophico-politique général, et en dispositif concret. Trois systèmes de lecture du spectateur découleront de cette analyse, systèmes qui parfois se chevauchent : « il reste à savoir comment chacun instaure un processus de réception » (p. 61).

Dominique Berthet entre ensuite en scène, à travers un article intitulé « La réception de l’art, de l’étonnement au geste extrême ». Nous comprenons dans cette communication, que « le » geste extrême, provoqué à la suite d’un contact avec une œuvre, se situe au confluent de deux mondes, de « deux réalités séparées, peut-être inconciliables » (p. 63), dit-il.

En effet, aimer une œuvre, comme nous l’explique André Breton en 1962 dans la courte citation qui est faite, est une première étape. Il appartient ensuite au spectateur épris de s’interroger sur ce qu’il aime « jusqu’à n’en vouloir plus rien ignorer ». Mais si le contraire se produit, que se passe-t-il ?

En s’appuyant sur des pensées développées par Wassily Kandinsky, René Passeron, Jean-Paul Sartre ou Paul Valéry, Dominique Berthet nous rappelle que l’œuvre, dès sa naissance, est toujours une forme de lutte, « un corps à corps » (p. 65) dans lequel on se jette, au sein duquel on s’abandonne avec clairvoyance, en témoignent les observations poïétiques portées sur les travaux de Vincent Van-Gogh ou de Jackson Pollock.

Qui est le producteur ? Quelle est l’œuvre ? Qui est le récepteur ? Qui est le critique ? Autant de facteurs qui structurent l’apparition d’une relation avec un public dont le comportement peut s’avérer imprévisible. Imprévisible au point de susciter le vandalisme, le geste extrême, la détérioration de l’œuvre, l’agression, la mort de l’artiste. Il est alors question de deuil, « question de temps » (p. 70). Car, c’est un fait, l’art, s’il doit être reçu, n’a d’autre vocation que d’avoir une retombée, que d’avoir une répercussion.

« Recevoir c’est donner. La revanche de l’art », le titre de cette communication produite par Leszek Brogowsky, manifeste, dès l’abord l’ambiguïté qui réside dans l’acte de réception de l’art. En effet, le spectateur initie sa propre expérience de l’œuvre, dans la mesure où l’œuvre ne s’impose pas à lui de manière arbitraire, bien que son rayonnement puisse lui parvenir.

Il convient alors de s’interroger sur une anthropologie des échanges dans l’art, exercice que ce professeur des universités, actuel vice-président en charge de la recherche de l’université de Rennes 2, fondateur des Éditions Incertain Sens et président du concours de l’Agrégation externe d’arts plastiques, effectue de manière très approfondie.

Grâce à son examen détaillé, nous comprenons la contradiction qui émerge de la théorie institutionnelle de l’art qui, « en homogénéisant la réalité sociale, n’a finalement que peu de choses à dire sur les relations sociales, dans le cadre du modèle ou une œuvre est destinée, soit à être exposée dans un musée ou dans une galerie d’art pour accueillir le public de masse, soit à s’abîmer dans un néant de la non-reconnaissance » (p. 75), dit-il. Nous comprendrons, au fil de la lecture de son texte, que l’oscillation de l’œuvre entre figure réelle et imaginaire tend à saisir l’évidence d’une incontestable réalité.

L’article suivant amorce la seconde partie de cet ouvrage. Cette partie s’intitule « Réception de l’art et diversité culturelle », et l’auteur du premier article, Bernard Lafargue, professeur d’esthétique et d’histoire de l’art à l’Université Bordeaux Montaigne, développe sa communication autour de « L’art comme expérience festive, démocratique et aristocratique au temps des évènements ».

Le voyage commence dans les années 1930, avec le philosophe et psychologue américain John Dewey. Nous rendrons ensuite visite à Andy Warhol dans les années 1960, puis nous irons en Italie, à Rome et à Venise pour la biennale. Dans cet article, l’auteur nous permet de comprendre qu’un art, qui n’a cessé de s’épandre, ce grand « art à l’état gazeux » (p. 83) qu’Yves Michaud avait mis en lumière, nous empêche, finalement, de sortir d’un cadre où tout est art, ou tout est devenu art.

Mais le voyage ne s’arrête pas là : retour au sein de l’archipel des Antilles, où la question de l’insularité nous habite. À l’autre bout du monde, cette question d’insularité se pose également, et son sens pourtant diffère parfois de celui du nôtre, ou au contraire nous rapproche.

Le professeur originaire de cet archipel grandiose qu’est le Japon, Kenji Kitayama, nous rappelle dans son article intitulé « Questions sur la diversification de l’art », que « le monde de l’art change de critères d’appréciation selon l’époque, et le lieu » (p. 93). Pour lui, « l’art est en relation avec la culture », et en s’interrogeant sur les différents systèmes de représentations culturelles, sur la réception de l’art qui diffère selon un pays ou un autre, ce francophile, auteur de très nombreux ouvrages et de traductions se demande, entre autres, si une diversité de réceptions de l’art pourrait finalement produire un art autre.

Continuons à traverser les frontières, et passons de l’île au continent. Partons en Afrique, au Sénégal avec Babacar Mbaye Diop, qui décortique, « La réception de l’art au Sénégal », vu sous l’angle sociopolitique, mais aussi artistique et esthétique. Il nous rappelle l’importance du rôle de l’État, qui, il faut le reconnaître, a fort investi pour la culture au Sénégal, le « premier acteur de l’art au Sénégal » (p. 111). On y trouve de nombreux espaces institutionnels, des espaces privés, des galeries d’art, des centres et des résidences.

De grands artistes sénégalais nous sont présentés dans cet article, comme Serge Corréa, Séa Diallo, Ousmane Saw ou Viyé Diba, quelques grands collectionneurs également. Pour cet ancien Secrétaire général de la Biennale de Dakar, cette profusion et cette démocratisation de la réception de l’art devraient, entre autres, permettre une « démultiplication des occasions de pratiques artistiques » (p. 115).

À l’occasion de cette épopée, une femme entre maintenant en scène. Il s’agit de Samia Kassab Charfi, professeur en littérature française et francophone à l’Université de Tunis, membre depuis 2009 du Jury du Prix Carbet de la Caraïbe et du Tout Monde.

Dans sa publication intitulée « Descreen Tunisia. L’art du tétramage par Aïcha Filali, variations tunisiennes sur des miniatures persanes », l’auteur nous propose, d’emblée, l’analyse raisonnée de quelques œuvres réalisées par l’artiste Aïcha Filali, qui transgresse « les frontières entre les siècles et les ères, en égratignant la face trop lisse du patrimoine esthétique de la communauté musulmane » (p. 117). En interrogeant de cette manière la notion de patrimoine culturel, cette artiste revisite les grands classiques tunisiens classés, puis elle « dénude les corps et délie les turbans » (p. 119). En opérant un véritable « transfert des adorations » (p. 121), et grâce à des œuvres portant le nom de Chaussures ou de Fatwa, l’auteur nous présente la démarche d’une femme artiste, éprise de liberté d’expression, et ayant baigné dans la culture musulmane.

Restons entre femmes, et installons-nous dans les salles obscures avec Isabel Nogueira, pour entrer, dans le monde du 7e art. Cette chercheuse de l’université de Lisbonne nous propose de nous pencher sur la réception de l’image cinématographique, en prenant appui, entre autres, sur la fiction et sur l’imaginaire selon Lacan, et en analysant quelques œuvres majeures du panthéon cinématographique comme Rear Window d’Alfred Hitchcock, ou Blow Up de Michelangelo Antonioni. L’auteur y perçoit les références faites à l’œuvre de Raphaël, de Giorgione, de Titien ou de Véronèse, elle y dépeint le portrait filmé de Grace Kelly, rappelant le néoclassicisme irréprochable et la rigueur du travail de Jean Dominique Ingres. Isabel Nogueira, dans cet article, nous montre le passage, le lien permanent qui existe entre le cinéma et le monde des arts plastiques, en s’appuyant sur le sentiment de désir que provoque l’œuvre à l’égard du spectateur.

Marion Hohlfeldt, Maître de conférences en histoire de l’art à l’Université Rennes 2 et, entre autres, co-directrice de la Galerie Art et Essai, consacre l’article suivant à l’œuvre publique de l’artiste allemande Desiree Palmen.

Cette artiste performer se pare de ce que l’on pourrait présenter comme des vêtements de camouflage, adaptés à un lieu urbain défini et choisi. Elle réalise ensuite une sorte de trompe-l’œil sur tout le vêtement, une photographie du lieu, reproduite sur cette combinaison intégrale qu’elle portera lors d’une performance à ce même endroit. Ainsi, elle se fondra dans le paysage au sens propre, développant ainsi une démarche artistique relevant d’une forme de clandestinité, en interrogeant le rôle de l’artiste dans l’espace public, ainsi que le rôle du public à proprement parler, sur la manière dont il recevra l’œuvre et l’intention de l’artiste.

Il était temps qu’un homme revienne dans le débat. Cet honneur reviendra au docteur en arts et agrégé d’arts plastiques, plasticien et dessinateur, Hugues Henri, qui s’interroge quant à lui, dans un chapitre consacré à la Genèse, à la réception et à la postérité de l’œuvre de Marcel Duchamp Etant donnés 1°) la chute d’eau, 2°) le gaz d’éclairage.

À travers l’analyse exhaustive d’une sélection d’œuvres et d’installations parfois posthumes et avant-gardistes, Hugues Henri nous permet entre autres, de comprendre que ce que l’on recherche dans l’art ne s’apparente pas à une joliesse esthétique, mais à une forme de cruauté sublime, peut-être malsaine, voire destructrice et, au fond, incomparable, extraordinaire, transcendantale.

La dernière partie de cette revue se consacre à « La réception de l’art en Caraïbe ». Dans son article consacré à l’analyse de 17 dessins érotiques portant sur le thème du Minotaure, réalisés par l’artiste guadeloupéen Michel Rovelas, Scarlett Jesus, agrégée de lettres, ancienne inspectrice d’Académie et critique d’art, interroge notre nature profonde et notre mythologie caribéenne.

Cette mythologie, Christian Bracy l’interroge d’une toute autre manière dans l’article intitulé « Aimer, rejeter, comprendre se brouiller avec ». « L’art, en tant que forme d’expression et de communication appelle la réflexion et l’échange» (p. 162). Entre intuitif et discursif, l’auteur, artiste, critique d’art et membre fondateur du centre d’Arts plastiques du Lamentin en Guadeloupe, non sans garder à l’esprit l’importance considérable de l’influence médiatique, nous propose une analyse des œuvres de Michel Rovelas, également, mais aussi d’Ernest Breleur, où de Stonko Lewest, dans lesquelles le corps et le cadre se consultent et prennent mutuellement leur pouls.

Scarlett Jesus, après s’être consacrée à l’œuvre de Michel Rovelas nous emmènera ensuite à Cuba, à l’occasion de la 12e biennale de la Havane, qui s’autorisa en décembre dernier « (…) à la fois, l’extra et l’ordinaire ». Dans cet article, nous accompagnons Scarlett Jesus dans son parcours, dans sa « déambulation poétique dans une ville remodelée par l’art » (p. 172), dans une ville qui « semble mise à la disposition d’artistes qui en usent comme d’un terrain de jeux, transformant le paysage et modifiant à plaisir notre perception de l’espace » (p. 174). Ce voyage, nous dit-elle, ne sera pas le dernier.

Restons à cuba, et continuons notre aventure dans les avenues de cette biennale de la Havane, où « l’aura entretenue du Che, la question de la succession des Castro, alors que l’enclave américaine de Guantanamo persiste, et où les difficultés économiques sont visibles, avec une économie parallèle tolérée » (p. 181). Hélène Sirven, Maître de conférences en sciences humaines appliquées à l’art à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, nous fait ici part de son expérience et des multiples rencontres qu’elle y a faites.

Dans cette communication engagée et captivante, Hélène Sirven, nous propose une visite guidée minutieuse, où « les spécificités, les questions, les paradoxes, les ouvertures, les changements, la créolité et l’histoire en marche », s’inscrivent dans « l’émergence d’un autre regard sur le monde » (p. 199).

L’odyssée touche à sa fin, et nous poserons définitivement nos bagages à Cuba, avec l’artiste guadeloupéen Henri Tauliaut. Dans ce dernier entretien, réalisé avec Dominique Berthet, la démarche de ce plasticien contemporain, dont le travail s’inscrit à la fois dans les domaines du bio-art et des arts numériques, nous y est présenté.

Henri Tauliaut représentait la Guadeloupe, à l’occasion de cette 12e biennale de la havane, et cette exploration approfondie de sa démarche artistique, en collaboration avec la danseuse Annabel Guérédrat, est jalonnée de réflexions esthétiques relatives à la « complexité du vivant », et « de l’artificiel » (p. 205).

Il s’interroge sur les liens qui existent entre les organismes vivants, les espèces et leur environnement, nous permettant ainsi de pouvoir considérer les aspects les plus insaisissables, les plus intimes de cette thématique, qui résonne d’une manière tout à fait singulière dans notre contexte, et à l’heure même où nous échangeons.