RCM 2017 – Suite (3)

Moonlight, Neruda

— Par Selim Lander —

Moonlight de Barry Jenkins

Oscar du meilleur film cette année, il n’est pas surprenant que la projection en VO dans le cadre des RCM ait fait le plein des spectateurs. On a tellement parlé de ce film dans les médias, avant même qu’il ait reçu l’oscar, que l’on pouvait avoir l’impression de l’avoir déjà vu. Il n’en est rien, évidemment, et, de toute façon, un bon film se laisse voir et revoir. Or Moonlight est incontestablement un bon film.

Une réserve préalable, cependant, concerne la manière dont des esprits fragiles risquent d’interpréter le film. Que montre-t-il en effet ?
– Le petit Chiron (c’est le nom du héros), un enfant noir du ghetto de Miami, maltraité par la vie ne trouve de réconfort qu’auprès de Juan, un dealer (prospère chef de réseau) au grand cœur et de la compagne d’y-celui. Certes, on nous fait savoir que la drogue vendue par ce même monsieur peut faire des dégâts (quoique…, voir la suite) mais il reste qu’il est présenté d’abord comme un homme bon et compatissant.
– Devenu grand, Chiron deviendra lui-même un trafiquant de drogue prospère au cœur gros comme ça, un être pétri de sensibilité, tout comme son mentor auquel il s’est d’ailleurs mis à ressembler physiquement aussi, l’enfant maigrichon et l’adolescent souffreteux s’étant transformés en un adulte à la musculature impressionnante.
– Or, qu’est-ce qui explique cette transformation physique quasi-miraculeuse ? La prison. En effet, alors qu’il était encore adolescent, Chiron, après s’être laissé passer à tabac par des camarades, a finalement décidé de se venger et frappé sauvagement celui qui lui cherchait noise depuis son arrivée au lycée. Il ressort de cet épisode, d’une part, que Chiron a fait de la prison sans être vraiment coupable et, d’autre part, qu’aller en prison peut métamorphoser en vainqueur celui qui avait jusqu’ici aux yeux de tous un statut de victime. C’est en effet grâce à la prison que Chiron se transformera physiquement et nouera les contacts qui lui apporteront la prospérité (à défaut du bonheur).
– Enfin, être intoxiqué au dernier degré n’est pas si grave, puisque l’on peut s’en sortir et devenir quelqu’un de bien. Tel est le cas de la maman de Chiron, perdue dans la drogue quand il était enfant, qui l’a négligé, maltraité, qui fut la cause évidente de son caractère renfermé et malheureux. Cette même maman, désintoxiquée in fine, ne pense qu’à se repentir du mal qu’elle a lui fait, implore son pardon et lui offre enfin tout l’amour qu’elle lui avait  refusé jusque là.

Tout ceci additionné, le message adressé aux petites frappes est clair : allez-y, dealez, cela ne vous empêchera pas d’être les bonnes personnes que vous savez être au fond de votre cœur ! Evidemment, les membres du jury des Oscars et les journalistes qui ont encensé le film ne risquaient pas de devenir dealers et n’envisageaient pas cet avenir pour leur progéniture ! Ils se sont concentrés sur les qualités du film qui sont grandes en effet.

On l’aura compris, le film montre l’évolution d’un noir des cités défavorisées (comme on dirait chez nous) en trois étapes : l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte (Chiron est donc joué successivement par trois comédiens, tous formidables). Le film séduit d’abord en raison de la densité des personnages principaux : Chiron, d’abord, à tous les âges, enfermé dans un mutisme plus éloquent que bien des discours. Et ses deux comparses masculins : Juan, le substitut paternel et Kevin, l’unique ami, que l’on voit, lui, évoluer depuis l’enfance et qui est donc interprété également par trois comédiens. Or Chiron ne reste pas seulement à l’écart à cause de son enfance malheureuse. Il est « différent » et c’est la raison principale pour laquelle il attire sur lui le mépris de ses camarades les plus mauvais, ceux qui reniflent de loin l’homosexualité (même latente) et en font l’objet de leurs moqueries. Kevin est le seul qui se montrera capable non seulement d’accepter son ami tel qu’il est mais encore, bien que lui-même hétéro, de lui donner ce dont il a tant besoin sans pouvoir l’exprimer. L’acte généreux de Kevin est à peine suggéré. Il n’y a pas le plus petit début de ce qui pourrait ressembler à une image pornographique dans ce film centré sur un Chiron présenté avant tout comme un être pur. C’est une autre particularité digne d’être remarquée.

Moonlight est enfin marqué par la qualité de la réalisation qui va de pair avec un film né à Hollywood. La perfection des images, du montage, n’empêche pas quelques idiosyncrasies comme lorsqu’on nous montre Chiron, ou sa mère, disparaître lentement, comme dans un rêve, derrière une cloison de l’appartement familial.

Neruda de Pablo Lorrain

Curieux film que ce Neruda et à plusieurs titres. D’abord parce qu’il ne s’agit pas d’une biopic contrairement à ce que le titre pourrait laisser penser, le film considérant seulement dans la vie de Neruda l’année 1948, celle où il fut destitué de son poste de sénateur du Chili pour communisme et contraint à l’exil. Film étrange, ensuite, en raison de la part prise par le policier qui le traque (joué par Gael Garcia Bernal qui tenait déjà l’un des deux premiers rôles au cours de ces RCM dans le film Desierto – On reconnaît également Michael Silva remarqué dans Le Christ aveugle). Dans Neruda, le policier est présent à l’écran à la fois « physiquement » (si l’on peut dire) et par son monologue intérieur. Film étrange, enfin, en raison de la manière dont Neruda est portraituré (par un Luis Gnecco sans charisme), soit sous la forme d’un bobo capricieux, adepte des bacchanales avec des prostituées, très loin de l’auteur du Canto General, très loin de l’image d’un porte-parole du peuple souffrant que l’on cherche également à faire passer dans le film.

Pour toutes ces raisons, Neruda intrigue et intéresse. On est habitué aux films d’Amérique du Sud qui tranchent sur la production européenne ou nord-américaine, autant par leurs thématiques que par leur manière. Celui-ci ne déroge pas, contrairement à ce qu’on pourrait attendre au vu de son titre.