RCI est les Antilles : une histoire mêlée

— Dossier de presse —

rci_carnets_secretsVous allez lire un livre passionnant.
La radio est un média magique : la musique fait partie de nos vies; les voix des journalistes et des animateurs parlent à l’intimité des auditeurs. La radio est partie prenante de la société.
Les radios sont aussi des entreprises, elles connaissent les difficultés économiques des entreprises.
Et puis la radio est un moyen d’influence, elle suscite les stratégies des politiques. Peut-être plus encore dans les outre mer, parce que des décideurs parisiens, gauche et droite confondues, recherchent surtout des créneaux d’emprise, ou de manipulation.
C’est tout cela que l’on retrouve dans ces Carnets secrets, sous la plume précise et alerte d’André Berthon, qui fut lui-même un pionnier de la captivante histoire de RCI Radio Caraïbes.
C’est l’Histoire, avec un grand H, des Antilles.
Ce sont aussi les petites histoires qui font la vie d’une radio, où les auditeurs retrouveront mille anecdotes, drôles ou tendres, sur les personnes qu’ils ont connues à l’antenne, sur leurs techniciens, leurs patrons.
L’auteur de cette préface s’est souvenu, dans ses années-lycée, avoir entendu souvent, sur Radio-Tanger, Michel Ferry, le fondateur de ce qui deviendrait RCI. Il s’est amusé de retrouver au fil des pages, tous ces hommes politiques, et notamment les chantres d’une censure gaulliste sourcilleuse, en un temps aujourd’hui oublié mais pas si lointain, du ministre Terrenoire ou du journaliste Raymond Marcillac.
Le livre refermé, le politologue retient surtout deux leçons.
D’abord, la bataille incessante qu’a représentée cette aventure d’une radio, commencée avec une maigre équipe et un petit émetteur, pour devenir peu à peu un puissant média. Une bataille humaine, professionnelle, technique, financière. Une lutte parsemée d’aléas, de progrès (je pense aux pages de Berthon sur l’utilisation de la langue créole) de cocasserie et parfois d’erreurs.
Et puis, l’importance de l’éthique du métier de journaliste. Là encore, un combat permanent, face aux pressions économiques et politiques, face aux défis de l’actualité.
Un combat toujours recommencé.
Une sacrée histoire..!

À travers un demi-siècle de l’histoire secrète de Radio Caraïbes International, c’est une page de l’histoire des Antilles que raconte l’auteur, avec autant de révélations que d’anecdotes savoureuses.
Découvrez comment, de la Martinique à la Guadeloupe, en passant par Saint-Martin, Montserrat, la Dominique, Sainte-Lucie, la Guyane, la Réunion et Paris, une petite radio est parvenue à franchir une multitude d’obstacles jusqu’à devenir la radio la plus écoutée des Antilles françaises et le premier groupe radiophonique de sa région.
Revivez comment, en participant à l’émancipation du créole, en passant outre la censure imposée dans les anciennes colonies où en accompagnant les Antillais dans les pires épreuves comme les cyclones Hugo et Luis, les attentats de Guadeloupe ou la catastrophe aérienne de Maracaibo, RCI est entrée dans le coeur des Guadeloupéens et des Martiniquais.
André Berthon a été le premier rédacteur en chef de RCI à la Martinique avant de poursuivre sa carrière en Guadeloupe où il fut notamment correspondant de Radio Antilles, du quotidien Le Monde et de RTL.
Il a rejoint ensuite l’audiovisuel public à France-Inter, puis à Radio France Internationale, à RFO et à France Télévisions.

andre_berthonAndré Berthon, vous venez de publier chez Caraïbéditions un ouvrage sur RCI. Est-ce le premier ouvrage sur cette radio ?
Oui, c’est le premier. Et c’est précisément lorsque j’ai découvert qu’il n’y avait rien à ce sujet dans les fonds universitaires ou dans nos archives régionales que j’ai proposé à Caraïbéditions de travailler sur ce sujet.
RCI accompagne notre vie quotidienne depuis les années soixante ; comment pourrait-on tout ignorer de cette vieille amie !
Cette histoire vraie se lit comme un roman alors qu’elle aurait pu faire l’objet de travaux universitaires ; pourquoi ce choix ?
Une écriture simple et des rebondissements comme dans un feuilleton permettent à tous d’avoir accès à cette histoire ; notre patrimoine, et à mes yeux RCI en est un élément, ne doit pas être réservé à une élite mais mis à la disposition du plus grand nombre. Néanmoins, plusieurs dizaines de références sont données qui permettront aux universitaires d’éventuellement user de ce livre pour leurs recherches.
Quelles difficultés avez-vous rencontré dans l’élaboration de cet essai qui, en effet, se lit comme un roman ?
L’aventure que je raconte se déroule sur plus d’un demi-siècle ! Par conséquent, nombre de témoins ont disparu. D’autres sont éparpillés dans différents pays de la planète et il m’a fallu du temps pour retrouver ceux-là. Tous ceux qui ont accepté de me répondre l’on fait parce que je suis moi-même un témoin de cette saga et ce fut sans doute là un atout.
À qui doit-on la création de RCI ?
Michel Ferry l’a fondée à Sainte-Lucie, Guy Noël est parvenu à l’implanter sur le territoire de la Martinique et Robert Augier en a assuré l’extension en Guadeloupe. Avec ces trois hommes aujourd’hui disparus et que j’ai connu, j’ai eu des différends ; mais ce livre est néanmoins une forme d’hommage que j’ai tenu à leur rendre en toute objectivité car sans eux la première radio des Antilles n’existerait pas.
Y a-t-il eu d’autres expériences du même type ?
Oui, les plus anciens se souviennent probablement de Radio Antilles et de Radio Jumbo. Eh bien, ils retrouveront dans ce livre l’histoire de ces radios que je ne voulais pas ignorer car, à maints égards, elle est liée à celle de RCI.
En général, en quoi la radio est-elle un média à part ?
C’est le vecteur de l’instantanéité, même s’il est aujourd’hui, de ce point de vue, concurrencé par les réseaux sociaux.
Ce rôle de la radio est-il identique aux Antilles ?
Chez nous, la radio est aussi un média d’extrême proximité. Il pénètre dans le plus petit des quartiers où il va permettre, par exemple, aux habitants d’engager avec telle ou telle autorité un dialogue qui s’avérait impossible. Dans nos pays d’oralité, l’expression s’en trouve favorisée. Par ailleurs, que serait devenue la musique antillaise, déjà bien malmenée, si la radio n’en assurait pas la promotion ?
RCI est-elle plus une histoire de journalistes ou d’hommes d’affaires ?
Le succès de cette radio est étroitement lié au travail, parfois au courage, d’une poignée de journalistes tant en Martinique qu’en Guadeloupe. Les financiers et les gestionnaires ont dû s’y faire ; l’union est un combat ! Et finalement, pour les seconds, qui ont parfois grincé des dents, les bénéfices étaient au rendez-vous… La rupture de ce fragile équilibre pourrait entraîner une catastrophe. D’autres, qui ont échoué dans l’audiovisuel généraliste antillais ou sont actuellement au bord du gouffre, illustrent cela.
Quelle est la différence entre RCI est ses principales concurrentes ?
Elle est de plus en plus mince et RCI doit en tenir compte en se réinventant constamment et en faisant preuve de rigueur, ce qui n’est pas toujours le cas. La radio de service public, sa principale concurrente, fait aujourd’hui du bon travail mais subit le handicap de lourdeurs administratives et de son passé, fut-il lointain, de média néo-colonial… Cela étant, le groupe RCI a su très habilement se diversifier avec NRJ et Bel Radio afin d’affronter une autre concurrence, celle des radios musicales.
RCI joue-t-elle un rôle spécifique dans la vie politique locale et a-t-elle su rester neutre ?
Elle a joué et elle joue un rôle important en Guadeloupe comme en Martinique. Y a-t-il eu des dérapages ? Peut-être, car les hommes sont parfois faibles. Mais attention, les auditeurs ne sont pas naïfs et la sanction peut être sévère sur le long terme.
Au fil des pages, vous avez su mêler l’histoire de RCI et l’histoire des Antilles avec un grand H. Quel est l’événement qui vous semble le plus significatif de ce qui représente l’essence même de cette radio ?
L’histoire de RCI, c’est un demi-siècle de l’histoire contemporaine des Antilles françaises, une histoire que nous avons une fâcheuse tendance à oublier trop rapidement. L’historien Jean-Noël Jeanneney, avec lequel j’ai eu l’honneur de travailler, a dit un jour que « les journalistes sont les historiens du présent ». J’espère avoir ainsi, à ce titre, modestement contribué à ce travail de mémoire dont nos sociétés ont tant besoin.
Des élections municipales de 1977 aux événements de 2009 en passant par la première grande interview de Césaire à la radio et le cyclone Hugo, les événements que je pourrais citer sont nombreux. Le politologue et spécialiste des médias Roland Cayrol, qui a bien voulu préfacer ce livre, insiste sur les pages que je consacre au rôle joué par RCI dans la survivance et la reconnaissance de la langue Créole.
Y a-t-il certains événements ou certaines anecdotes que vous avez décidé de ne pas raconter dans votre ouvrage par crainte des réactions possibles ?
J’ai écris ce livre en toute liberté et sans me préoccuper de savoir si mon récit susciterait des réactions d’hostilité. Il est possible que certains passages ne plaisent pas à tout le monde ; l’essentiel est qu’ils apportent une information au public.
Est-on journaliste aux Antilles en 2016 comme on l’était dans les années 70 ?
Les fondamentaux du métier sont inchangés mais les outils pour recevoir l’information et la diffuser ont naturellement évolué. Mais le journalisme demeure, aux Antilles comme ailleurs, un métier sérieux qu’il faut exercer sérieusement sans jamais se prendre au sérieux !
Apparaît celui qui se fait appeler Guy Noël.
De son vrai nom Samuel Loufti, il a tout du Levantin. De petite taille, la silhouette épaisse trahissant la soixantaine, il est curieusement vêtu d’un pantalon de flanelle grise tombant sur des sandales en cuir enfilées sur des socquettes beiges, le torse recouvert d’une chemise droite de coton clair recouvrant la ceinture, comme on en porte en Orient ou dans l’hémisphère Sud. (…) Associé à Guy Noël, Robert Pradat est le directeur commercial de Radio Caraïbes grâce à laquelle il compte développer son portefeuille publicitaire et accroître son chiffre d’affaires. (…) Marié à une Martiniquaise de la classe moyenne Noire, Marie-Louise Careto, dont il aura deux enfants, il évolue cependant dans tous les milieux, d’autant plus aisément qu’il fait partie de nombreux cercles d’influence dont la fréquentation ouvre bien des portes dans l’île. Ainsi sera-t-il élu président du Kiwanis-Club en 1982. (…) Pour la couverture de l’actualité locale, Robert Pradat, le directeur commercial, a sous la main l’homme de la situation : Alex Kromwell, un journaliste Martiniquais ayant travaillé en France dans la presse quotidienne régionale. Sur le magnétophone qu’on lui confie, il enregistre ses papiers et des témoignages sonores, puis glisse dans une enveloppe de papier kraft les bandes magnétiques et notes explicatives ainsi que les journaux locaux. L’enveloppe est confiée à un jeune coursier, Jean Marie-Florine, qui fonce à l’aéroport du Lamentin où il doit convaincre un passager d’un vol régulier de la LIAT ou d’un vol privé à destination de Sainte-Lucie de transporter ce pli très particulier.
(…)
Avec une constance et un courage que chacun lui reconnaît, Guy Noël multiplie sur les ondes les éditoriaux rageurs dans le but d’obtenir du gouvernement, dirigé par Raymond Barre depuis la fin Août 1976, l’autorisation de transmettre du sol français vers un émetteur implanté à l’étranger. (…)
Le développement, voire la survie de la radio, passe par une installation en Martinique. Les dirigeants de Radio Jumbo ne sont pas inertes et ceux du service public ne vont pas le rester éternellement. Aussi est-il décidé d’enregistrer chaque semaine dans le studio de Fort-de-France un entretien d’une heure entre un journaliste et une personnalité martiniquaise. Ce qui paraît aujourd’hui d’une grande banalité est, à l’époque, totalement nouveau en Martinique. Robert Pradat et Jean-Claude Asselin de Beauville sont à la manoeuvre et usent de leurs réseaux pour convaincre les futurs invités, slalomant habilement entre la nécessité d’ouverture et les limites qu’ils n’entendent pas dépasser. Le second s’envole ainsi à l’aube une fois par semaine à bord d’un avion privé, embarque l’auteur à l’aérodrome de Vigie d’où ils filent vers la Martinique que le journaliste quittera en fin de journée avec la bande magnétique de l’émission sous le bras. Le succès est au rendez-vous. Et le summum de l’audience est atteint lorsque Aimé Césaire accepte de participer à l’émission.
(…)
Dans l’histoire de la radio aux Antilles, l’année 1977 constitue un tournant. Pour la première fois, une radio privée peut exercer sans contrainte son activité sur le sol martiniquais. Le Premier Ministre Raymond Barre a octroyé à Radio Caraïbes le statut désiré de radio périphérique. (…) Au fil des mois, ouvriers, fonctionnaires, élus, chefs d’entreprise, finissent par s’habituer à ces jeunes journalistes si différents de ceux qu’ils côtoyaient jusque-là.
Le travail réalisé par l’équipe des sports contribue également au succès de l’antenne. En premier lieu parce que les dirigeants de clubs sportifs et une partie du public connaissent ces reporteurs amateurs (au sens noble du terme) qui sont souvent enseignants dans la semaine. Ensuite parce que, au fil des week-ends, ils vont mettre en place un multiplex. Faute de liaisons VHF en nombre suffisant, et le téléphone portable n’étant pas encore inventé, les reportages s’effectuent généralement à l’aide d’un téléphone fixe aimablement mis à disposition par un responsable de stade, une municipalité ou… un voisin du lieu où se déroule la compétition ! (…) La mise en oeuvre des multiplex sportifs permettra à RCI de réaliser, sur le même modèle, une de ses plus belles prouesses : la couverture des élections municipales des 13 et 20 mars 1977.
(…)
Passés les moments d’intense actualité, la concurrence n’a pas le temps de souffler. Un électricien de la ville de Fort-de-France, dont le chapeau semble irrémédiablement vissé sur la tête, va bientôt animer la radio chaque dimanche matin en créant un véritable tsunami sociétal. Martel Loutoby, dit Mano, s’exprime dans la langue longtemps interdite, le Créole ! (…) Mano parle le Créole de ceux qui peinent à s’exprimer correctement en Français. Et peut-être est-ce là l’une des clefs du succès de son émission dans laquelle se reconnaissent nombre d’auditeurs. S’appuyant sur son succès, l’émission dominicale connaîtra plus tard différentes déclinaisons comme Mano Noël ou Mano Rétro.
Il reste à Guy Noël, dont le bras de fer avec Radio Jumbo relève de l’obsession (il est persuadé qu’une seule radio périphérique émettant sur les deux départements est économiquement viable), à conclure avec Europe n°1 la fourniture de programmes.
(…)
Dans l’entourage de Jacques Chirac, on est très attentif aux manoeuvres, réelles ou supposées, menées dans la presse par les giscardiens (…) Avec son ami Augier, Jacques Chirac n’y va donc pas par quatre chemins « Robert, rends-moi service, occupe-toi de cette radio ! ».
Soutien sincère, efficace et dévoué, l’intéressé n’en est pas moins un homme d’affaires avisé. Il va
« y aller », comme il dit, mais pas seul.
(…) De l’entreprise artisanale dont il est désormais le manager, Robert Augier entend faire une PME et commence donc par la structurer. Il n’y a pas de temps à perdre, car, ayant conclu un accord pour l’acquisition du matériel de Radio Jumbo, il entend s’implanter en Guadeloupe dès que le gouvernement de Roseau lui aura accordé une licence d’exploitation pour émettre en ondes moyennes.
D’un point de vue économique, c’est parfaitement cohérent.
En Guadeloupe, il n’est cependant pas question que l’implantation de RCI apparaisse comme l’arrivée d’une entreprise martiniquaise de plus. (…) Jean-Claude Asselin de Beauville, nommé Directeur Général Adjoint en charge des programmes (…) installe les premiers animateurs, deux anciens de Radio Jumbo, Edouard Laurent et Gilles Chaumard dit Larsen, et deux Guadeloupéens déjà expérimentés, Michel Rupaire et Max Séverin dit Maxo, chanteur à succès souvent associé à Henri Debs et qui vient de passer quelques mois à FR3-Radio Guadeloupe après avoir été durant des années le responsable de l’animation de l’hôtel Novotel dans la commune balnéaire du Gosier.
Jusqu’à son départ à la retraite le 1er juillet 2008, Maxo sera le poto mitan (en Créole : le poteau central, le pilier) de l’antenne de RCI Guadeloupe, sans jamais réclamer quelque titre que ce soit. (…) La rédaction de Guadeloupe, avec notamment Eric René, Bergette Pierre, Daniel Marival, Alain Carvi, a la tâche moins aisée que celle de Martinique. Contraints de travailler dans un archipel dont certains lieux sont difficilement accessibles en peu de temps, ils sont aussi confrontés à la partition entre la capitale économique, Pointe-à-Pitre, où se tient le siège de RCI, et la capitale administrative, Basse-Terre, distante de quatre-vingt kilomètres, où se trouvent toutes les institutions.
De surcroît, et ce que n’avaient pas prévu les dirigeants de RCI, Radio Antilles a décidé de réagir afin de protéger ses acquis publicitaires.
(…)
Lorsqu’il s’abat sur la Guadeloupe, au moment même où les ingénieurs de Météo France l’avaient prévu, dans la nuit du 16 au 17 septembre 1989, Hugo est en effet devenu un « monstre », un ouragan de catégorie V. (…) En Martinique, balayée par la pluie et les vents modérés qui escortent l’ouragan jusqu’à 600 kilomètres de son centre (Fort-de-France sera en partie inondée), on suit l’évolution de la situation dans l’île soeur grâce au duplex mis en oeuvre par RCI puisqu’elle est la seule station de radio à émettre en Guadeloupe. (…) Au Gosier, le siège de RCI devient le centre opérationnel de la Guadeloupe. Faute de liaisons téléphoniques, la radio est le meilleur moyen pour les responsables des services publics de faire passer des messages ; les maires, notamment ceux de la Grande-Terre, s’y bousculent afin de signaler un lieu d’hébergement pour les sans-abri ou bien un point de distribution d’eau potable (…) Les pouvoirs publics tireront la leçon de cet épisode. Depuis lors, RCI, malgré son statut d’entreprise privée, a été intégrée au plan Orsec pour l’organisation des secours lors de catastrophes naturelles ou accidentelles.
(…)
Le 14 juillet 1989 est inaugurée à Marigot, dans la partie française de Saint-Martin, une nouvelle radio, essentiellement musicale, baptisée RCI 2. Raymond Baysari, un commerçant qui détient des parts dans RCI Martinique et RCI Guadeloupe, a fortement pesé en faveur de ce projet, estimant que Friendy Island, comme on l’appelle, petite île de 90 kilomètres carrés à la charnière des petites et des grandes Antilles, a de l’avenir. (…) Moins de deux mois après son lancement, RCI 2 aurait pu être emportée par le cyclone Hugo, mais le Monstre qui venait de ravager la Guadeloupe évita les petites îles du Nord où cependant soufflèrent de violentes rafales de vent. C’est un autre ouragan, Luis, et une tempête médiatique, qu’affrontera coup sur coup quelques années plus tard RCI 2.
(…)

En ce mois de novembre 1992, le chiffre d’affaires des planteurs Antillais s’est effondré de moitié et certains d’entre eux sont en cessation de paiement. La colère gronde. (…) Petits et grands planteurs martiniquais, hier divisés, sont aujourd’hui décidés à agir ensemble. Noirs, Békés, Mulâtres ou Indiens, ils sont résolus à faire un coup d’éclat et s’y préparent durant tout le week-end.
Le point de rendez-vous de la jacquerie est fixé au lieu-dit Bois Rouge, à une douzaine de kilomètres au Sud-Est de Fort de France, sur la route nationale reliant l’aéroport du Lamentin à la commune du François. Les pick-up, les 4×4 et les tracteurs des planteurs en provenance du Nord comme du Sud de l’île pourront aisément s’y regrouper avant de passer à l’action. (…) Cette fois, les reporteurs de RCI peuvent lancer la nouvelle sur les ondes. L’animateur de la nuit donne l’antenne à Jean-Jacques Seymour qui annonce, emphatique comme il sait l’être dans ce genre de situation : « La Martinique est coupée du Monde ! L’aéroport du Lamentin est sous le contrôle des planteurs de bananes ! »
Partout, dans l’île, des téléphones sonnent : « Ecoute RCI, il se passe quelque chose de grave ! ». Jean-Claude de Beauville et Jean-Jacques Seymour se relaient à l’antenne. « Des hommes en treillis ont pris d’assaut l’aéroport du Lamentin ! » annonce ce dernier.
(…)
En vacances à Saint-Malo, le correspondant parisien de RCI, François Thomas, vient d’apercevoir sur un récepteur de télévision un déroulant annonçant la catastrophe lorsque sonne son téléphone ; c’est la martiniquaise Audrey Pulvar, alors journaliste à France 3, qui vient aux nouvelles. La gorge nouée, ils ont du mal à échanger quelques mots et n’en savent d’ailleurs pas plus l’un que l’autre. François Thomas prend aussitôt le chemin de la capitale où il devra témoigner des réactions et des décisions de l’Elysée, du ministère de l’outre-mer occupé depuis peu par François Baroin et du Quai d’Orsay dès qu’il sera avéré que le bi-réacteur des West Caribbean Airways s’est écrasé au Vénézuela, dans la plaine marécageuse de Machiques, à 120 kilomètres au sud-ouest de Maracaïbo. Et que les 152 passagers Martiniquais et les 8 membres d’équipage Colombiens ont péri dans la catastrophe… Durant les heures et les jours qui vont suivre, RCI sera à l’unisson de la sidération, de l’émotion, de la colère, du deuil. Avec son équipe, Yann Duval appelle tous les Martiniquais à orner l’antenne radio de leur voiture d’un ruban noir. Geste dérisoire, peut-être, mais hautement symbolique et qui sera largement suivi par la population. Une fois encore, RCI est en communion avec son public… Durant plusieurs jours, les auditeurs occupent l’antenne pour témoigner de leur douleur, de leur incompréhension, de leurs interrogations, de leur rage parfois, tandis que les journalistes multiplient les reportages et les flashes spéciaux.
(…)
Une explosion sociale partie de la Guyane en raison du prix élevé des carburants avant de se propager aux Antilles et en premier lieu en Guadeloupe, avec de véritables scènes d’émeutes et un spectaculaire bras de fer entre le gouvernement, représenté par le Secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer, Yves Jégo, installé à la préfecture de Basse-Terre, et le LKP (Liyannaj Kont Pwofitasyon), regroupement d’organisations syndicales, politiques et associatives, dirigé par Elie Domota.
Comme à chaque crise, qu’elle soit d’origine naturelle (éruption volcanique, cyclone, séisme) ou humaine, les collaborateurs des deux antennes de RCI sont mobilisés sans discontinuer. La radio, média de l’instantanéité, rend compte en permanence, jour et nuit, des événements.
C’est sur RCI Martinique que l’on apprend le saccage et l’incendie d’un cybercafé ou la mise en joue d’automobilistes par des groupes de jeunes armés de fusils à pompe ou à canon scié qui s’enfuient à bord du véhicule de leurs victimes.
Pour les parties au conflit, et c’est notamment le cas en Guadeloupe, la radio privée est aussi le moyen le plus rapide et le plus efficace de se faire entendre. Et les journalistes, au centre de ce maelström, sont l’objet de pressions de toutes natures s’ajoutant à la fatigue physique et nerveuse.
(…)
Robert Augier est mort le 21 avril 2014. Sa veuve, remariée sous le nom d’Anne-Marie Bathfiel, a dû alors multiplier les interventions pour faire taire les rumeurs circulant avec insistance tant aux Antilles qu’à Paris (…) Les appétits suscités par cette rumeur sont aisés à comprendre. En un demi-siècle d’existence, RCI est en effet devenue une proie doublement intéressante pour les investisseurs : son audience lui permet d’une part, de réaliser de confortables bénéfices, et, d’autre part, lui confère une réelle influence sur des sociétés antillaises en pleine mutation.
L’histoire de RCI n’est pas près de s’arrêter. Et quoiqu’il advienne demain, la radio en ondes moyennes lancée à Sainte-Lucie en 1961 par Michel Ferry, rachetée et transférée en Martinique par Guy Noël, étendue à la Guadeloupe et transformée en un puissant groupe par Robert Augier, aura marqué l’Histoire contemporaine des Antilles…

Roland Cayrol est Directeur de Recherche associé à la Fondation Nationale des Sciences Politiques.
Il collabore à plusieurs médias (notamment France 5, RTL, BFM-TV, La Chaîne Parlementaire